Le temps des cerises se vit maintenant aussi au Québec. Depuis quelques années, les plantations de petits fruits vermillon se multiplient, d'un bout à l'autre de la province, avec un certain succès. Tout cela grâce, entre autres, à la détermination d'un homme qui rêvait de planter... des pommiers.

Gilles Beaulieu est ce qu'on pourrait appeler un pionnier malgré lui. Le premier cultivateur de cerises à grande échelle du Québec l'est devenu parce qu'il n'a pas pu accomplir son rêve de jeunesse! Quand, après quelques revers de fortune, il décide de retourner dans sa Mauricie natale pour y cultiver des pommes, les agronomes ne l'encouragent point du tout. Des vergers, il y en a déjà beaucoup dans le reste de la province, et le climat au nord du Saint-Laurent n'est pas idéal. Mauvaise idée, donc. Il faut trouver autre chose. Mais quoi?

Le hasard faisant parfois bien son travail, et plus d'une fois dans ce cas-ci, Gilles Beaulieu verra au même moment un reportage télévisé sur la culture des petites cerises dans l'Ouest canadien. «J'ai vite compris que si on était capable d'en faire pousser là-bas, malgré le temps assez rigoureux, elles pousseraient aussi ici.» Ne faisant ni une ni deux, le voilà donc qui s'embarque pour le Manitoba avec, dans ses valises, une liste de questions formulées par un agronome. Mais il n'attendra même pas l'analyse des réponses et se portera immédiatement acquéreur d'un millier de plants. À son retour, le voilà propriétaire de la première cerisaie commerciale du Québec même si, dans les faits, il s'y connaît à peine!

Trois ans plus tard, nouveau coup de pouce, l'Université de la Saskatchewan annonce qu'après 60 ans de travaux, elle vient de mettre au point six nouveaux cultivars à partir d'arbres importés de Mongolie et de Sibérie, supportant très bien le froid, et aux fruits un peu plus sucrés. Gilles Beaulieu en achète 7000.

Car les cerises cultivées au Québec ne sont pas tout à fait celles qui nous arrivent de la Colombie-Britannique ou de la France, de type bigarreau ou Bing, entre autres, à la chair sombre et très sucrée. Les arbres - nains - adaptés à notre climat produisent des fruits plus petits, rouge vif et plutôt aigres: des cerises-griottes ou cerises acides. La première croquée active la salivation, comme lorsqu'on croque dans une pomme d'été, et il n'y a pas de doute que, à leur état naturel, posées sur une table, les Bing s'envoleront plus vite. Mais la popularité de ces petites cerises ne se dément pas, assure M. Beaulieu. «Nous avons de la chance au Québec, la canneberge nous a ouvert le chemin depuis quelques années. Les gens se sont habitués aux fruits un peu acides et ils aiment ça.»

Le plus souvent, donc, on les utilisera pour en faire des clafoutis, des tartes, des confitures, on les marinera dans l'alcool, etc. «Mais on veut aussi montrer aux gens que les cerises peuvent accompagner les plats salés», dit M. Beaulieu. Comme avec le cassis, cette petite baie aussi reconnue pour son acidité, il suggère de les intégrer dans les sauces des viandes rouges, dans les vinaigrettes et même, pourquoi pas, dans une étonnante soupe de griottes et betterave (recettes: croquecerise.ca).

Les fruits se cuisinent aussi congelés, ou séchés, et c'est fort heureux parce que le temps des cerises au Québec est à peine plus long que la pièce d'Anton Tchekov: 10 jours au maximum, variant selon les régions. Entre le début de juillet, en Montérégie, et la fin du mois plus au nord et à l'est.

Il faut faire vite, donc. Surtout que, bon an, mal an, les fruits des 5000 arbres du domaine trouvent preneur au moment de l'autocueillette - un arbre donne en moyenne 25 livres de fruits -, si bien que, pour la fabrication des produits maison (principalement des fruits séchés enrobés de chocolat ou de yogourt, des sirops, tartinades et vinaigrettes vendus dans les supermarchés et des épiceries fines sous l'étiquette Croque-Cerise), Gilles Beaulieu doit importer des griottes de l'Ouest canadien et des États-Unis.

C'est une preuve, aussi, de la faiblesse de la production québécoise. Même si elle a été multipliée par 5 depuis ses débuts, il y a 10 ans, la superficie consacrée à la cerise acide n'était que de 29 hectares en 2011, contre 6500 hectares pour la pomme! La centaine de cultivateurs en sont toujours au stade expérimental, d'où la petite taille de leurs plantations. Les cerisiers demandent beaucoup de soins, sont sensibles aux maladies fongiques et craignent les étés et les printemps très humides. Cette année, les producteurs ont aussi été durement touchés par le redoux du mois de mars, suivi d'un gel en avril. «C'est plus difficile que prévu, remarque aussi Pauline Samson, qui a planté, en 2007, 1400 cerisiers qu'elle réussit néanmoins à cultiver de manière biologique avec succès sur la ferme familiale, les Délices de Compton.

Gilles Beaulieu a perdu 2000 des 8000 arbres plantés en 2009, année particulièrement pluvieuse.

N'empêche, cette culture a un bel avenir devant elle, estime Pierrot Ferland, agronome au ministère de l'Agriculture (MAPAQ).

Les cerises séduisent particulièrement les fermiers voulant diversifier leurs cultures pour étirer la saison des récoltes, comme Odette Riverin, de Saint-Ambroise, qui a ajouté à ses cultures de fleurs 2000 cerisiers en 2009. «On a des problèmes ici et là, mais aucun obstacle majeur au développement. Les nouveaux cultivars sont bien adaptés à notre climat, dit M. Ferland. On arrive même à en faire pousser au Lac-Saint-Jean!» Il suffit, maintenant, que Dame Nature y mette un peu du sien.

Quelques endroits où se procurer des cerises québécoises. La saison étant très courte, appelez avant tout déplacement pour vérifier l'état des stocks:

Le Temps des cerises

473, 1er Rang Nord, Charette. 819-221-3055.

Autocueillette, vente de cerises congelées et produits transformés.

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Verger de l'Anse


1485, boulevard de l'Anse, Roberval. 418-630-1243.

Autocueillette, confitures, gelées, jus. Biologique.

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Les délices de Compton

6360, route Louis-S.-Saint-Laurent, Compton. 819-835-5580

Cerises fraîches et congelées, produits transformés. Biologique.

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Évolution de la production de cerises au Québec

2001: 6 hectares

2006: 8 hectares

2011: 31 hectares