Elles auraient pu faire mille métiers. Elles ont toutes choisi le fromage. Par passion, par détermination. Découvrez six des meilleures fromagères du Québec. Et leurs fromages...

SUZANNE DUFRESNE

On a du mal à croire aujourd'hui, en entendant Suzanne Dufresne défendre avec autant d'ardeur les fromages québécois au lait cru, qu'elle a d'abord fait carrière... comme technicienne en informatique!

Le virage s'est imposé en 1995, quand Suzanne et son mari, Daniel Gosselin, ont eu l'opportunité de grossir leur ferme. «Mais comme on ne se voyait pas avec plus d'animaux, on a eu l'idée de se tourner vers la transformation», explique la jolie blonde. Suzanne Dufresne se retrouve quelques mois plus tard sur les bancs d'école de l'Institut des technologies alimentaires de Saint-Hyacinthe, tout en peaufinant un plan d'affaires pour que, cinq ans plus tard, soient dégustées leurs premières meules. Son mari veille au bien-être de leurs 60 vaches et à la production du lait que Suzanne transforme avec l'aide de deux autres fromagères. La philosophie à la ferme a évolué. Ce n'est plus tellement la quantité de lait qui prime que la qualité tout court. Ses vaches ne sont nourries qu'avec du foin biologique de première qualité.

Fait rare au Canada, la fromagerie Au gré des champs commercialise deux pâtes au lait cru affinées moins de 60 jours, le Péningouin et le Pont Blanc, de type Saint-Marcellin. Elle aimerait d'ailleurs que davantage de ses collègues suivent son exemple: «Le lait cru, c'est notre seule expression du terroir», affirme-t-elle avec aplomb. Or, la crise de la listériose en 2008 a laissé des traces. «Il reste une peur, une incompréhension qui n'est pas du tout justifiée, et de plus de fromages au lait cru disparaissent, remplacés par des versions thermisées ou pasteurisées*.» «J'ai peur que mes petits-enfants ne puissent pas manger de fromages au lait cru».

* Le lait thermisé est chauffé quelques secondes entre 57 ºC et 63,5 ºC et le lait pasteurisé est chauffé à 61,6 ºC durant 30 minutes ou à haute température - entre 72 et 85 ºC - durant 15 à 20 secondes.

Fromagerie Au gré des champs, à Saint-Athanase

www.augredeschamps.com

Son fromage fétiche

Le Gré des champs, au lait cru de vache certifié biologique, affiné trois mois et vendu en meule de 2,2 kg. Parfait pour relever ses pizzas et lasagnes... au 14 fromages!

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Photo Marco Campanozzi, La Presse

Suzanne Dufresne

MARIE-CHANTAL HOUDE

Le moins que l'on puisse dire, c'est que Marie-Chantal Houde, 31 ans, a fait une entrée remarquée dans le monde de la fromagerie. Un an à peine après l'ouverture de sa fromagerie, son Zacharie-Cloutier, préparé avec le lait des brebis de son frère Jean-Paul, se voyait déjà sacré meilleur du Québec au concours Caseus en 2011. Et il faut ajouter que plusieurs artisans québécois lui doivent aussi une partie de leur succès, ayant eu recours à ses précieux services de consultante depuis 2005 pour élaborer ou stabiliser une recette, Marie-Chantale Houde étant l'un des rares artisans de la province voire du Canada à avoir reçu une formation académique dans le Jura, spécialisée dans l'élaboration des fromages fins.

Son expertise est même maintenant réclamée aux États-Unis, où elle donne régulièrement des formations.. . à des femmes fromagères. « Au Vermont, la profession est clairement en train de se féminiser : mes élèves sont toutes des filles », dit-elle.Et au Québec ? «Quand j'ai commencé la consultation (il y a sept ans), c'était vraiment un milieu de gars et ce n'était pas toujours évident.

Maintenant, je dirais que c'est assez bien équilibré.»

C'est d'ailleurs en association avec un homme Jean Morin, de la Fromagerie du Presbytère qu'elle a créé son prochain fromage mi-brebis, mi-vache, dont les premières meules devraient être mises en vente dès le mois prochain. Un projet parmi tant d'autres qui anime la jeune femme d'une énergie étonnante.

«C'est le plus beau métier du monde. Un métier d'épicurien où, pour être bon, il faut savoir profiter de la vie», dit-elle. Mais à la voir se démener pour dynamiser son coin de pays (Racine) et promouvoir l'achat local, on ne peut s'empêcher de se demander si ce n'est pas plutôt par militantisme social que par gourmandise qu'elle a embrassé cette carrière.

FROMAGERIE NOUVELLEFRANCE, À RACINE

www.fromagerienouvellefrance.com

Son fromage fétiche

Le Zacharie-Cloutier, au lait de brebis thermisé, affiné 6 mois et vendu en meules de 3 kg. À découvrir aussi au petit déjeuner, gratiné sur un croissant avec de la gelée de pommes.

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Photo Marco Campanozzi, La Presse

Marie-Chantal Houde

CHANTAL MATHIEU

Chantal Mathieu est une enfant du bitume. Rien ne prédestinait cette fille de fonctionnaires, élevée à Québec et mariée à un gars de Brossard, à devenir fromagère, sinon qu'elle rêvait, petite, d'«être Heïdi» et nourrissait une passion irrépressible pour le lait.

Après des études en agronomie, elle loue une fromagerie à Victoriaville, où elle fait ses premières armes. «J'ai perdu une couple de litres ; les débuts n'ont pas été couronnés de succès », dit-elle, visiblement heureuse de produire aujourd'hui, à 37 ans, après maints essais et erreurs dans sa cuisine et quelques cours à l'Institut des technologies alimentaires de Saint-Hyacinthe, le Cornebique, une pâte molle pasteurisée, une feta, du fromage frais et des yogourts. « Je suis fière d'amener un produit fini sur les tablettes, de le regarder et de me dire : je suis capable de faire ça!».

Son copain, Raphaël Morin, l'a suivie et s'occupe maintenant à temps plein de leurs 80 chèvres. N'empêche que chaque année, le couple ose faire une remise en question et se demander s'il ne serait pas plus heureux dans une autre carrière. «C'est sûr que nos filles (de 9, 11 et 12 ans) ne vont pas en vacances à Walt Disney chaque année, dit Chantal d'une voix posée.

On travaille 7 jours sur 7, c'est difficile ; mais on leur montre comme c'est beau la campagne, comme la vie y est agréable. On leur offre autre chose.» Quelque chose d'autrement plus nourrissant.

LA FERME À MATHURIN, À SAINTE-SOPHIE-D'HALIFAX

www.chevremathurin.com

Son fromage fétiche

Le Cornebique, buchette de lait de chèvre pasteurisé affinée 14 jours. À déguster sur un pita, avec quelques tranches de poires.

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Photo Marco Campanozzi, La Presse

Chantal Mathieu

ISABELLE COUTURIER

C'est le café qui a mené Isabelle Couturier, 37 ans, au fromage. Ou plutôt UN café tout particulier, dégusté au Costa Rica, adouci d'un nuage de lait de chèvre. «J'ai craqué. C'était tellement velouté, onctueux, que j'ai décidé sur le coup qu'un jour, j'aurais des chèvres pour retrouver ce goût tous les matins», raconte-t-elle.

L'action suivra sans tarder et à son retour au Québec, Isabelle Couturier s'est installée en Beauce, où elle a acheté cinq chèvres qui ont tôt fait de se multiplier, devenant 20, puis 120 aujourd'hui. « J'ai commencé à faire du fromage dans ma cuisine, tout simplement parce que j'avais trop de lait », explique-t-elle. Elle travaille d'instinct, se laissant guider par ses coups de coeur.

Elle aime les pâtes fermes ?

Alors elle fera une Tomme au lait cru, à croûte lavée, affinée de 60 à 90 jours, vendue maintenant jusqu'à Terre-Neuve.

«C'est un vrai fromage artisanal fermier. On s'adapte au lait à chaque fabrication. Les laits d'été ne sont pas comme ceux d'hiver, c'est beaucoup une affaire de senti.»

Son conjoint l'a rejointe deux ans plus tard et travaille désormais à temps plein avec elle. Ils s'échangent désormais certaines tâches : parfois, c'est lui qui prépare la Tomme et elle qui s'occupe des animaux, ce qui «permet d'éviter la routine». Et la recette du prochain fromage sera cette fois réalisée à quatre mains de A à Z. Sa seule chasse gardée : la mise en marché. On comprend sans peine pourquoi en voyant son visage sans cesse éclairé d'un large sourire. Pas la peine de demander pourquoi son business s'appelle Les Joyeux Fromagers.

FROMAGERIE LES JOYEUX FROMAGERS, À SAINT-LUDGER

joyeuxfromagers.wordpress.com

Son fromage fétiche

Tomme des Joyeux Fromagers, au lait cru de chèvre, vendu en meules de 2 kg. À déguster sur un pita grillé, recouvert de pâte de tomates et de légumes.

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Photo Marco Campanozzi, La Presse

Isabelle Couturier

LÉA LEHMANN

Léa Lehmann se souvient très bien du choc qu'elle a eu la première fois qu'elle s'est retrouvée devant une cuve de 500 litres de lait, effrayée à l'idée de rater son coup et de gaspiller tout ce précieux liquide. Le fromage, elle a ça dans le sang: son arrière grand- mère en fabriquait déjà, son père aussi. N'empêche qu'entre les cours théoriques et la pratique, elle a trouvé la marche haute. «Malgré tous les stages en Europe, dit-elle, c'est vraiment en pratiquant tous les jours qu'on apprend!» dit-elle.

Et la jeune femme de 32 ans a bien appris. Lorsque la famille Lehmann a décidé, en 2001, de transformer le lait de son troupeau de Suisses Brunes, c'est elle qui a eu la tâche d'élaborer les trois fromages fermiers le Valbert, le Kénogami et le Pikauba qui font aujourd'hui le succès de la maison Lehmann, à Hébertville.

Sa passion, innée, est de celles qui ne s'essoufflent pas. Quand le destin a voulu qu'elle quitte le Lac-Saint- Jean pour Montréal, elle a abandonné la fabrication, mais s'est débrouillée pourcontinuer à vivre par et pour le fromage. Elle s'est proclamée « fromagère urbaine» et a mis au point un concept unique de traiteur-fromager, organisant des soirées de dégustation qu'elle anime en démystifiant la transformation du lait à la meule.

Elle forme aussi des commerçants à goûter et reconnaître les arômes et à amener les produits à leur maturation optimale. Et elle continue à l'occasion de conseiller et d'épauler l'entreprise familiale.

«Les femmes ont-elles un don particulier pour le fromage ? Peut-être bien ! » dit-elle en réalisant que ce sont... trois femmes qui ont pris sa relève !

FROMAGÈRE URBAINE, À MONTRÉAL

www.surunplateau.biz

Son fromage fétiche

Le Valbert, un fromage au lait de vache thermisé affiné de quatre à six mois, vendu en meules de 6 kg. Convient bien aux plats de pâtes gratinés.

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Photo Marco Campanozzi, La Presse

Léa Lehmann

MARIE-JOSÉE BLACKBURN

Marie-Josée Blackburn est une femme pragmatique. Quand, à 21 ans, elle décide de faire sa vie dans la ferme de ses parents, grands-parents et arrière-grands-parents, elle comprend vite que la laiterie familiale ne suffira pas à subvenir aux besoins de ses deux frères et de son cousin. « Il fallait absolument développer un nouveau créneau pour faire vivre quatre familles de plus!» dit-elle.

Cette quatrième génération de Blackburn flaire un bon filon dans le fromage et Marie-Josée, qui étudie en biologie à l'Université Laval, s'en voit tout naturellement confier la responsabilité.

« J'adore voir évoluer les fromages. Il sont blancs la première journée et le lendemain,ils commencent déjà à prendre de la saveur et de la couleur avec le développement bactérien», explique la scientifique. Si la passion pour le métier n'était pas innée, elle a visiblement été bien intégrée !

Six ans plus tard, la fromager ie transforme près de la moitié du million de litres de lait produit à la ferme familiale en six fromages pasteurisés différents, dont le Mont-Jacob (classé parmi les 50 meilleurs au concou r s Wor ld Cheese Awards en 2011, sur quelque 2500 produits) et le colossal Blackburn, dont les meules font près de 10 kg!

«C'est un métier très dur physiquement. Si un fromage pèse 10 kg à maturité, il en fait 15 le jour de sa fabrication et il faut le retourner et le laver aux deux ou trois jours.

C'est beaucoup de manipulation alors on a des rendez-vous chez le chiropraticien tout le temps ! dit-elle à la blague. Je travaille avec trois autres filles. La prochaine fois, il faudrait peut-être que j'engage un homme!»

FROMAGERIE BLACKBURN, À JONQUIÈRE

www.fromagerieblackburn.com

Son fromage fétiche

Le Mont-Jacob, un fromage au lait de vache pasteurisé semi-ferme, affiné un mois, en meules de 3 kg. Une option québécoise pour les repas de raclette.

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Photo Marco Campanozzi, La Presse

Marie-Josée Blackburn