Si l'on excepte les clichés - la bière, les frites et les gaufres -, on peut affirmer sans trop froisser que la gastronomie belge dans son ensemble rayonne peu sur la scène internationale. Et pourtant, les Belges sont très épicuriens. Cette année, ils fêtent leurs produits de bouche sous les bannières de Brusselicious et de La Wallonie des saveurs. Partout où on voyage dans le pays, on mange bien. Un secret bien gardé, la Belgique culinaire? Ceux et celles qui participeront aux repas de Montréal en lumière le sauront bientôt.

En Belgique, on constate vite l'intérêt que portent au «bien manger» tant les Bruxellois que les Wallons des campagnes éloignées.

À preuve les charmants propriétaires du Clos du peintre, qui offrent en location deux grandes chambres d'hôtes. Leur superbe maison de pierres à Falaën est l'ancienne école du village. Le couple connaît le Condroz comme le fond de sa poche. Il défend les produits et les spécialités du coin comme s'il les avait inventés. Au petit-déjeuner, Dominique sert le pain et le fromage de la région, accompagnés par ses confitures maison. Un régal simplissime.

La veille, grâce aux bons conseils de nos hôtes, nous avons vécu une expérience tout à fait unique. À cinq minutes de Falaën, au bout d'un sinueux chemin de campagne bordé de champs de blé, nous nous sommes retrouvés dans un petit village surplombant la jolie vallée de la Molignée. Salet compte  100 habitants. Cinq d'entre eux vivent dans une autre splendide maison de pierres, où ils reçoivent dans leur salon converti en petit restaurant de cinq tables. L'été, on peut dîner au jardin.

La carte est influencée par les origines italiennes de la maman. Ce n'est pas de la haute gastronomie, mais c'est tout bon. La fille aînée, toujours aux études, joue les pâtissières. Son pain d'épices perdu avec pommes sautées et glace artisanale à la vanille nous fait vivre un beau moment de réconfort.

Falaën, l'un des «plus beaux villages de Wallonie», est reconnu pour sa marche gourmande, qui attire plusieurs milliers de personnes au mois de septembre. La bière locale, la Li Crochon, et le château-ferme qui est son siège social, y jouent un rôle important. Le Crochon est une spécialité faite d'un petit pain (pistolet) évidé, rempli de fromage Maredret, de crème et de jambon en dés, le tout passé au four et dégusté avec une bière artisanale de haute fermentation Li Crochon.

Photo: Marco Campanozzi, La Presse

Sanghoon Degeimbre (deuxième à partir de la gauche) avec sa brigade du restaurant L'Air du temps.

La fraise comme emblème

Ce qui fascine, en Belgique, c'est la vitesse à laquelle le paysage change lorsqu'on sillonne ses petites routes de campagne. Et pour accompagner ces contrastes géographiques, les spécialités culinaires varient d'un petit village à l'autre, avec toujours une grande fierté pour la bière de telle abbaye, le fromage de telle petite ferme, la tarte de telle boulangerie.

À Wépion, petit village situé sur la rive gauche de la Meuse, entre Namur et Dinant, la grande fierté, c'est la fraise. Avec raison. Jamais n'a-t-on goûté des fraises aussi parfumées. Si la Darselect est particulièrement sucrée, l'Elsanta explose dans la bouche tant elle est juteuse. De mai à septembre, on trouve une gamme impressionnante de desserts aux fraises sur les menus de tous les restaurants de Belgique ou presque.

La cueillette de la fraise de Wépion se réalise chaque jour dès 5h. Elles sont cueillies avec le plus grand soin, disposées immédiatement dans les raviers et vendues tous les jours à la Criée de Wépion. Si, sur le plan du prix, la fraise de Wépion est en compétition avec celle qui provient d'Espagne (la Californie de l'industrie agro-alimentaire européenne!), elle tire néanmoins très bien son épingle du jeu.

La saveur particulière de la fraise de Wépion trouverait son origine dans l'orientation des coteaux de la vallée, dans le sol possédant un fond calcaire qui ne retient pas l'eau. Sa terre légère et caillouteuse se réchauffe très vite, favorisant la culture de ce fruit qui aime le soleil et la chaleur. Et, finalement, ce serait le brouillard de la vallée qui donne à ce trésor national son aspect reluisant si appétissant.

La campagne gastronomique

Outre les traditions culinaires plus rustiques de chaque petite région (la tarte au fromage du Brabant-Wallon, la tarte au sucre ou au riz de Liège, le gibier des Ardennes, etc.), il existe aussi plusieurs restaurants gastronomiques dans la campagne belge. Plusieurs des meilleures tables du pays se trouvent dans des petits villages, comme celles de certains chefs invités à Montréal en lumière: Pierre Résimont (l'Eau vive, à Profondeville), Mario Elias (Le Cor de chasse, à Barvaux-sur-Ourthe), Jacques Marit (à Braine-L'Alleud), Laurent Martin (La Frairie, à Perwez), Éric et Tristan Martin (Lemonnier restaurant&hôtel, à Lavaux-Sainte-Anne) et Clément Petitjean (La Grappe d'or, à Torgny).

Des jeunes chefs, dont plusieurs ne pouvant se permettre de payer un loyer exorbitant à Bruxelles, se sont installés dans les campagnes il y a 10, 15, voire 20 ans. Et y sont restés. De toute manière, dans un pays où on ne peut rouler pendant 200 km sans franchir une frontière, les gens se déplacent beaucoup pour aller manger à l'extérieur.

Un des chefs de file de cette jeune cuisine wallonne est le Coréen d'origine Sanghoon Degeimbre, de L'Air du temps à Noville-sur-Mehaigne. Il avait reçu une invitation pour Montréal en lumière, mais son nom ne figure finalement pas dans la programmation.

Dans son restaurant bien contemporain, le sommelier devenu chef autodidacte pratique une cuisine très actuelle. Travaillant avec les producteurs de la région et les végétaux du jardin qu'il s'est fait planter sur mesure à quelques kilomètres, Sanghoon utilise les plus récents équipements et techniques culinaires pour créer des plats vraiment uniques. Pour se rapprocher un peu plus du produit, L'Air du temps doit déménager dans une ferme rénovée cet été. Les amateurs d'expériences multisensorielles seront encore mieux servis.

Sanghoon Degeimbre estime néanmoins que la Belgique francophone accuse un retard sur la Belgique flamande: «En Flandre, il sont plus en avance sur la médiatisation de leur cuisine et plus au fait de l'actualité culinaire internationale, a-t-il déclaré lors de notre passage, l'été dernier. La Wallonie est encore un peu ancrée dans un terroir cireux. Le Wallon se conforte dans une certaine sécurité qui l'empêche d'évoluer.»

Nicolas Darnauguilhem partage cette opinion. Le jeune chef français a ouvert un très charmant restaurant de poche à Bruxelles, qu'il a baptisé Neptune. «Le terroir belge est pour l'instant assez maigre et mal exploité, avec des réseaux de distribution très courts et surtout réservés à une clientèle privée. Les restaurateurs se tournent donc souvent vers d'autres pays producteurs et plus particulièrement la France, ce qui est bien dommage à mon sens.»

Nicolas Darnauguilhem, qui sera de passage à Montréal en lumière, tente pour sa part de s'appuyer au maximum sur les produits qui l'entourent. «Il en découle inévitablement une cuisine qui s'inscrit dans la gastronomie belge plus géographiquement que culturellement.»

Entre innovation et tradition

Bien qu'il soit toujours curieux des nouveautés, Marc de Canck, chef du restaurant La Chronique à Montréal, est de ceux qui apprécient le confort de la tradition. Celui qui recevra Raphaël Sabel, chef du Crowne Plaza Hôtel de Liège, du 19 au  22 février, aime bien retrouver des choses vraies, des institutions quand il voyage en Belgique. «Je n'y vais pas pour le décor, mais pour retrouver certains plats typiques. Ce sont des endroits où le patron n'a pas changé depuis 30 ans. La restauration est très familiale en Belgique. Quand je vais dans les Ardennes, j'en profite pour manger du cerf, de la biche, du sanglier, du lièvre. Lorsque je vais du côté flamand, c'est davantage les poissons qui m'intéressent.»

Il faut dire qu'à l'exception du chef Dirk Myny, à Bruxelles, peu de chefs belges importants revisitent les classiques belges, comme c'est le cas au Québec, par exemple. Il y a bien un «stoemp» de navets au menu de Jacques Marit, mais oubliez le waterzoï et autres plats costauds et gaulois appartenant à la tradition. Dans les cuisines étoilées ou branchées, la gastronomie belge est de plus en plus une histoire de produits locaux, apprêtés de manière contemporaine, comme on le fait partout ailleurs par les temps qui courent. Des pigeonneaux, du foie gras, des escargots, de la biche, des fromages locaux sont jumelés à beaucoup de produits français, accessibles tout juste de l'autre côté de la frontière.

Dirk Myny, des Brigittines, va un peu plus loin dans son exploration du terroir belge. Jambon des Ardennes, soupe de chicons (endives), waterzooï, joue de veau braisée à la kriek (bière à la cerise), faisan rôti à la brabançonne, lièvre et sole de Zeebrugge ne sont que quelques-unes de ses spécialités.

Que nous réservent les chefs belges de passage à Montréal à compter de la semaine prochaine? La joueront-ils «traditionnel» ou «novateur»? Dans le contexte québécois, où la revalorisation du terroir et la définition plus précise d'une gastronomie «nationale» sont au coeur de l'actualité culinaire, parions que les échanges seront vifs et pertinents.

Photo: Marco Campanozzi, La Presse

Dominique prépare le petit-déjeuner dans la cuisine rustique de sa maison d'hôte, Le Cols du peintre.