Pour la majorité, les Fêtes ont été bien carnées. Prenez un peu d'avance sur vos résolutions avec cet aïoli dans lequel végétal et marin se partagent le rôle principal. Un délice festif à créer selon vos goûts avec les judicieux conseils d'un chef et d'un sommelier, Armand et Ange Forcherio.

Le «grand aïoli» ou «aïoli garni» est un plat festif qui prend son nom d'une de ses composantes principales, une mayonnaise à l'ail. On le prépare pour quatre ou pour 20. C'est une composition polyvalente, qui connaît plusieurs variantes et à laquelle on peut facilement ajouter ses petites fantaisies personnelles.

La spécialité provençale est généralement préparée avec de la morue bouillie, des escargots (de terre ou de mer), des carottes, des haricots et du chou-fleur bouillis, des pommes de terre en robe, des artichauts cuits à l'étouffée, des oeufs durs et des encornets (calmars).

Si l'on souhaite réaliser dans les règles de l'art ce plat en apparence tout simple, il faudra se lever de bonne heure. Chaque ingrédient exige sa cuisson individuelle, al dente, dans sa propre eau. Si l'on manque de temps, il est toujours possible de faire comme notre chef niçois en cuisant tous les légumes progressivement, dans un gros faitout. Mais prenez garde, car vous risquez comme nous de surcuire au moins un ou deux de vos légumes!

«Comme on peut le voir, l'apprêt de ce mets demande une grande mise en scène. Cependant, tous les articles que nous venons d'énumérer ne sont pas de rigueur. Il n'y a pas là-dessus de règles fixes. On fait selon les goûts et les moyens dont on dispose», peut-on lire dans La cuisinière provençale, ouvrage de référence centenaire que les initiés appellent plus familièrement Le Reboul (du nom de son auteur, J.-B. Reboul).

Traditionnellement, on fait l'aïoli avec de la morue salée, qu'il faut faire tremper entre 12 et 36 heures, selon la salinité du poisson. Mais on peut aussi passer chez le poissonnier le jour même et acheter à peu près n'importe quel poisson blanc, idéalement issu de la pêche durable. En Provence, le saint-pierre, le colin, le pageau, le congre, la rascasse sont les espèces les plus courantes. Pour être sûr de faire des choix éthiques, un petit coup d'oeil aux listes de seachoice.org ou d'oceanwise.ca s'impose avant les courses. On peut également réduire la quantité de produits de la mer pour favoriser les légumes.

Vous avez deviné que ce plat se sert normalement à température ambiante, puisqu'il serait impossible d'apporter chauds tous ces ingrédients à table.

Aïoli

Dans le livre Provence - The Beautiful Cookbook, l'auteur Richard Olney raconte que les Marseillais considèrent qu'un aïoli devrait contenir au moins deux gousses d'ail par personne. On y va au goût et selon la taille des gousses. Les oeufs et l'huile devraient être à température ambiante. Plusieurs chefs préfèrent un mélange (moitié-moitié) d'huile d'olive et d'huile végétale plus neutre, comme l'huile de pépins de raisins.

Vous aurez besoin d'un très grand mortier en marbre, mais celui-ci n'est pas indispensable. Un bol et un fouet peuvent très bien faire l'affaire, pourvu que vous prépariez une purée avec l'ail et le sel.

Afin de réaliser un aïoli pour une douzaine de personnes, on comptera donc entre 12 et 24 gousses d'ail. Celles-ci doivent être réduites en une pâte un peu visqueuse, avec une bonne pincée de sel assez grossier, au fond du mortier. On peut ensuite ajouter une cuillère à soupe de moutarde de Dijon, puis trois ou quatre jaunes d'oeufs. Richard Olney, pour sa part, n'utilise pas de moutarde, mais ajoute une grosse pincée de chapelure fraîche juste avant les oeufs. Dans le livre L'art de vivre selon Joe Beef, on fait l'aïoli au robot culinaire et on ajoute une petite pomme de terre cuite pour la texture.

La prochaine étape est cruciale et, si vous travaillez un gros volume au mortier, vous n'aurez pas trop de deux paires de bras. Pour 12 convives, vous aurez un bon litre d'huile à incorporer. Tandis que la première paire de bras verse l'huile en filet sur la paroi intérieure du mortier, l'autre tourne énergiquement le pilon. Puis on change lorsque la crampe s'installe dans le biceps, idéalement en tournant toujours le pilon dans la même direction. Il est bon de garder un peu d'eau tiède à proximité, au cas où la mayonnaise se séparerait. Il suffit d'en ajouter une cuillère à thé de temps en temps pour éviter un tel accident. Une fois que la consistance désirée est atteinte, on ajoute le jus d'un citron et du sel au goût.

S'il fallait que l'huile se sépare du reste, pas de panique! On sort le tout du mortier, au fond duquel on remet un jaune d'oeuf et quelques gouttes de jus de citron. Une cuillerée à la fois, on ajoute l'aïoli raté en tournant sans arrêt avec le pilon. Voilà! L'aïoli est «relevé».

Les poissons et fruits de mer

Armand Forcherio a préparé un grand aïoli pour nous. De son expédition à la poissonnerie La Mer, il a rapporté tout un festin marin: une morue, un vivaneau, un saint-pierre, des moules, des vernis, des bourgots et de magnifiques petits calmars.

Les poissons se cuisent individuellement au court-bouillon, c'est-à-dire qu'il faut d'abord faire suer dans l'huile oignon, poireau, céleri et ail, avec un peu de thym et une feuille de laurier. On ajoute le poisson en darnes ou en filets, de l'eau froide et un petit verre de vin blanc pour mouiller à hauteur. Amener à ébullition, réduire le feu et cuire le poisson à découvert ou à l'étouffée pendant une dizaine de minutes. Certains poissons, comme le saint-pierre, peuvent être cuits entiers de cette manière. Une fois le point d'ébullition atteint, on enfourne à 350 °F pendant 8 à 10 minutes.

On peut faire cuire les moules et les vernis ensemble. Il est normal que les vernis soient entrouverts et même que la petite bête à l'intérieur se mette à explorer son nouvel environnement. Quant aux moules, il faut jeter celles qui sont ouvertes. Pour faire simple, on dépose les coquillages dans un grand faitout avec un petit fond d'eau. Cuire à l'étuvée jusqu'à ce que les coquilles soient toutes ouvertes. Jeter celles qui sont restées fermées. M. Forcherio préfère pour sa part préparer moules et venis «à la marinière». La cuisson des bourgots peut être plus délicate. Frédéric Morin, chef du Joe Beef, suggère de les faire pocher doucement, si vous insistez pour les prendre frais. Il recommande toutefois de se simplifier la vie en les achetant en pot, dans une saumure, à la poissonnerie Atkins.

Pour les calmars, il faut émincer des oignons, couper deux gousses d'ail en deux et faire suer avec une branche de romarin. Après avoir ajouté les calmars, on déglace au vin blanc, on assaissonne (sel,poivre), puis on laisse cuire à couvert pendant 15 minutes.

Photo: Marco Campanozzi, La Presse

Moules Honey de la Colombie-Britannique.

Les légumes

L'artichaut est l'ingrédient végétal du grand aïoli qui demande le plus de travail. Les pros vont «tourner» l'artichaut au couteau en un rien de temps (taper «tourner un artichaut» dans YouTube!). Quant au commun des mortels, il pourra parer le légume en retirant les feuilles à la base, couper le bout noir de la tige et la peler au couteau ou à l'économe. Ensuite, éliminer environ un pouce de la partie supérieure des artichauts. Ne pas oublier de bien citronner les parties coupées avec 1/2 citron, tout au long de l'opération.

Dans une casserole suffisamment grande pour contenir juste les artichauts, verser de l'huile d'olive pour couvrir le fond. Faire suer de l'oignon et de l'ail avec du thym. Ajouter les artichauts. Mouiller à hauteur avec de l'eau (et peut-être un peu de vin blanc), puis cuire à l'étouffée pendant environ 30 minutes. Retirer les artichauts de leur liquide de cuisson et laisser refroidir un peu avant de les couper en deux et de retirer le foin à l'intérieur.

Les autres légumes du grand aïoli ont tout simplement besoin d'être parés, puis bouillis ou cuits à la vapeur selon leur temps de cuisson. Les betteraves peuvent être emballées individuellement dans du papier aluminium et cuites au four jusqu'à tendreté. Et pourquoi ne pas ajouter quelques crudités, comme du fenouil, du concombre et des radis?

Aïoli pour 12

1 tête d'ail du Québec

4 jaunes d'oeufs

1 cuillère à soupe de moutarde de Dijon

500 ml d'huile d'olive mélangée à

500 ml d'huile de pépins de raisins ou autre huile végétale neutre

1 citron

Sel, poivre

Pour le court-bouillon,

les calmars, les artichauts

Quelques échalotes françaises

1 ou 2 oignons

La partie verte des poireaux

Quelques gousses d'ail

1 ou 2 citrons

Vin blanc

Thym, romarin, feuilles de laurier

Eau

Suggestions de poissons et fruits de mer

Flétan

Saint-pierre

Morue fraîche ou salée

Calmars

Bourgots

(ou bigorneaux ou bulots)

Moules Honey de Colombie-Britannique

Vernis (coquillage marin proche des palourdes, on le trouve le long des côtes de l'Atlantique, de la Manche et de la Méditerranée)

Crevettes nordiques

Homard

Suggestions de légumes

Pommes de terre

(la ratte fonctionne bien)

Choux-fleurs

Haricots

Artichauts

Poireaux

Fenouil

Carottes

Céleris-raves

Betteraves

Courgettes

Concombres

Radis

Tomates

Oeufs cuits durs

Photo: Marco Campanozzi, La Presse

Bien citronner les artichauts et les déposer ensuite dans un bassin d'eau froide pour éviter l'oxydation.

Les jumeaux Forcherio

En décembre 2010, Armand et Ange Forcherio mettaient la clé dans la porte de leur restaurant du boulevard René-Lévesque, Nizza. Un an plus tard, Armand travaille comme chef privé pour une riche famille de Westmount. Ce poste l'amène à cuisiner autant des plats familiaux que des menus de grandes réceptions. Ange, le sommelier, a pour sa part "pigé" toute l'année, faisant des remplacements de quelques mois dans plusieurs restaurants bien en vue de Montréal. Les jumeaux n'écartent pas la possibilité de rebondir un jour et d'ouvrir un restaurant plus intime, plus à leur image.

Nés de parents italiens, ils ont grandi à Nice, gavés d'une cuisine simple et ensoleillée. Leur oncle était poissonnier, ce qui leur donnait accès à un buffet marin hors du commun. Ange se rappelle la cuisinière de son oncle, qui serrait les jeunes jumeaux contre son tablier bleu sentant fort le poisson et qui préparait des calmars farcis tout à fait divins. Armand a des souvenirs émus du colin avec légumes que préparait sa mère, un plat se rapprochant un peu de l'aïoli qu'il a préparé pour nous.

Photo: Marco Campanozzi, La Presse

Armand Forcherio à l'oeuvre dans sa cuisine.