Deux-tiers des foies gras d'oie consommés en France viennent de Hongrie, un affront pour les éleveurs du Sud-Ouest qui réclament la création d'une Indication géographique protégée (IGP) pour garantir l'origine et la spécificité de leurs produits et relancer une filière ayant décliné au profit du canard.

L'oie, le plus noble des foies gras, ne représente que 5% du marché du foie gras en France. En 25 ans, la production française de foie d'oie a même diminué de moitié, dit-on à l'Association de l'oie fermière du Gers.

Les éleveurs qui sont restés fidèles à l'oie s'étonnent qu'on puisse commercialiser des foies d'oie hongrois cuisinés en France sous l'étiquette «transformé dans le Gers» ou «fabriqué dans le Périgord».

Après qu'une AOC eut été envisagée, une demande d'IGP a été déposée auprès de l'INAO (Institut national de l'origine et de la qualité) pour remédier à ce qu'ils voient comme une anomalie. Les producteurs du Gers, du Périgord, des Landes et du Quercy devraient être fixés au cours du premier semestre 2012.

«Dans l'esprit des consommateurs, le foie gras, ça vient du Sud-Ouest. Il faut pouvoir garantir un produit élaboré de A à Z dans le Sud-Ouest, cela permettra de sauvegarder et de renforcer une activité économique dans le monde rural», souligne Marc Roose, directeur de l'Association foie gras du Sud-Ouest, qui a déjà obtenu l'IGP «Canard du Sud-Ouest» en 2000.

L'IGP garantit une origine et la préservation d'un savoir-faire, par rapport à des produits qui ne répondraient pas aux mêmes exigences, selon le délégué territorial Sud-Ouest de l'INAO, Laurent Fidèle.

Au fil des ans, les éleveurs de la région ont délaissé l'oie, animal fragile, pour le canard, robuste et plus facile à gaver, dont la consommation s'est envolée.

En 2010, 470 tonnes de foie gras d'oie ont été produits en France, le Gers et le Périgord se taillant la part du lion, alors que les importations de Hongrie fluctuent autour de mille tonnes par an.

Dans sa ferme de Montesquiou, dans le Gers, Jean-Pierre Brazalotto travaille à l'ancienne, il engraisse ses oies avec du maïs blanc qu'il cultive lui-même. Pour lui, il est inconcevable que des foies d'oie «venus de pays étrangers soient conditionnés dans le Sud-Ouest et vendus comme produits du Sud-Ouest». «Ils trompent le consommateur», rouspète-t-il.

Pour le chef étoilé André Daguin, «il ne faut pas se polariser sur les importations de l'Est, il faut cependant encadrer autant qu'on peut» avec des labels de qualité, «car il n'y a pas mieux qu'un foie d'oie».

Vendu frais de 32 à 50 euros le kilo, contre 22 euros en moyenne pour le canard, le foie d'oie, produit d'excellence, reste cantonné à l'épicerie fine et se trouve rarement dans les étals des supermarchés.

Si la grande distribution n'en commande pas, c'est «peut-être à cause du prix élevé», dit Jean-Philippe Brial, un responsable du distributeur toulousain Fargos.

Xavier Dubois, PDG de Foie Gras Partners, est lui un promoteur du foie d'oie hongrois. Il en importe chaque année plusieurs centaines de tonnes. La Hongrie, rappelle-t-il, est le premier producteur mondial d'oies, détient un savoir-faire multi-centenaire et les chefs de restaurants 3-étoiles ne rechignent pas à mitonner des foies magyars.

C'est quand l'obligation de préciser l'origine de la marchandise est apparue, il y a une quinzaine d'années, que les consommateurs se sont rendus compte que du foie venait de Hongrie. Le foie gras d'oie de Hongrie en France, reconnaît Xavier Dubois, «ce n'est pas politiquement correct, mais c'est très bon».

«Les fèves de cacao viennent d'Afrique et le chocolat est fait en Suisse, et ça dérange quelqu'un?» demande ce chef d'entreprise basé au marché de Rungis. «Ce qui fait la différence, plaide-t-il, c'est le chef, le pays d'origine ne fait pas la qualité».

Selon lui, le seul effet de l'IGP serait de «faire augmenter les prix» pour le consommateur.