Qui a dit que la cuisine de montagne devait nécessairement être faite de viandes séchées, de pommes de terre et de fromage, qu'elle était invariablement lourde, grasse et fortifiante? Le chef Emmanuel Renaut, niché au creux des Alpes, tue le mythe à coups de fouet, de mousses aériennes et d'assaisonnements délicats. Reportage à 1100 m d'altitude dans les cuisines de l'un des chefs les plus réputés des Alpes, dont le restaurant Flocons de Sel est doublement étoilé par le guide Michelin.

«Impossible!» Emmanuel Renaut est catégorique quand ce jeune couple lui demande, fin août, de tester le menu de leur mariage prévu en janvier prochain. «Comment voulez-vous que j'élabore un menu d'hiver en plein été? C'est impensable!»

Il est comme ça le chef Renaut. Direct, franc, passionné surtout. Comme il faut l'être pour vivre dans les montagnes les plus hautes d'Europe et s'accommoder de tous leurs caprices. On ne commande pas la montagne, c'est elle qui nous dirige. La cuisine se fait au fil des saisons, en vertu de ce qu'elle veut bien nous accorder, il faut être prêt à tout avec elle.

«Le climat est rude et la cuisine s'en ressent. Elle est très très marquée par les saisons, plus que toutes les autres cuisines», affirme Emmanuel Renaut en tendant le bras. La preuve est sous ses yeux: lors de mon passage, une tempête de neige s'abat sur la région. Les routes sont, sinon impraticables, du moins réservées aux pilotes expérimentés et aux déplacements urgents. Il faudra oublier la livraison de champignons attendue pour le service de midi. Idem pour le poisson et la tournée au marché.

Le chef, lui, ne s'alarme pas. Il apprécie ce genre de défi. Il aime quand les éléments se déchaînent et puis, de toute façon, il déteste planifier son menu à l'avance. À midi, alors que les premiers clients s'apprêtent à arriver, il n'a toujours pas décidé quelle sera l'entrée de son menu du jour. Des topinambours l'attendent en rang d'oignon sur son plan de travail. La coriandre poireaute. La truffe est, comme toujours, à portée de main. Il hume, tâte, se gratte un peu le menton et puis se lance. Une assiette creuse immaculée, un peu de purée de topinambour, quelques rondelles de persil racine, du zeste de citron, quelques gouttes d'huile fumée, puis des graines de sésame rôties. Entre autres choses... Premier test de goût. Il ajoute une pointe de sucre: deux gouttelettes de vinaigre balsamique divin, puis de la truffe, encore et encore. Le chef affirme n'avoir aucun aliment fétiche, mais on lui décèle une dépendance marquée au champignon charbon!

Un délice, mais un délice tout en simplicité, presque sans cuisson ni transformation des aliments. «Il ne faut jamais dénaturer les produits. Il faut qu'on retrouve leur goût, que ce qu'il y a dans l'assiette ressemble à ce qui se passe à l'extérieur». Un extérieur sur lequel il garde toujours un oeil: sa cuisine est pourvue d'immenses fenêtres donnant directement sur les Alpes. Il faut préciser que la montagne n'est pas son amour, plutôt une addiction, pour laquelle il a quitté son Périgord natal, puis son Paris et son Londres d'attache, il y a plus de 10 ans déjà. Avec sa femme et fidèle partenaire d'affaires, Kristine, il a d'abord ouvert un resto en plein Megève, mais c'était encore trop loin des pentes: ils ont ouvert il y a deux ans, à 4 km au-dessus du village, une auberge de six chambres avec spa.

De façon assez surprenante, les clients retrouveront assez peu de viande au menu. «Les vaches dans les montagnes, ce sont des sportives, ce ne sont pas les plus tendres!», lance-t-il comme une évidence. Beaucoup de poissons de lac et, l'été, des fleurs et des herbes fraîches cultivées dans l'un de ses six jardins. Et surtout, en tout temps, des tonnes et des tonnes de légumes. «Ce sont eux qui offrent la plus grande diversité, on n'a aucune limite quand vient le temps de cuisiner les légumes. Et je n'utilise que les produits que j'aime. Je ne vais pas travailler un produit juste sous prétexte qu'il est à la mode et que les clients en veulent.»

Que ceux-ci se le tiennent pour dit. En montagne, c'est la montagne qui commande. En cuisine, c'est Emmanuel Renaut qui commande.