Mondialisation et américanisation ne semblent pas avoir eu raison de l'art de manger à la française, où le repas a un rôle central, associé à la notion de convivialité et de plaisir, selon une enquête conduite par le spécialiste des comportements alimentaires Claude Fischler.

Les Français voient toujours l'alimentation comme une affaire avant tout sociale, collective, restant attachés au rituel du repas à heure fixe, pris en commun.

Pendant la dernière décennie, les attitudes «typiquement françaises» vis-à-vis de l'alimentation ont peu évolué, se renforçant même, montre Claude Fischler, directeur de recherche au CNRS, dans une enquête dévoilée mardi devant les Deuxièmes Assises de la Fondation Nestlé France.

Le sociologue a réitéré en 2011, sur les Français, une enquête conduite en 2002 dans six pays qui faisait apparaître le caractère «très particulier» de leur rapport à l'alimentation, en contraste avec celui des Américains.

La part accordée par les Français à la convivialité, c'est-à-dire à la dimension sociale de l'alimentation, «a clairement augmenté».

En témoigne le «test de sociabilité», qui propose trois façons de payer l'addition lors d'un repas au restaurant entre amis du même sexe: chacun paie uniquement pour ce qu'il a bu et mangé; on partage en parts égales; quelqu'un paie pour tout le monde. Les Français sont en 2011 encore plus attachés (63% contre 56% en 2002) au partage en parts égales.

«Ce pour quoi ils vont payer, c'est le fait d'être ensemble», décrypte Claude Fischler.

«On transige avec la norme»

Les Français confirment leur attachement à des horaires de repas stricts, réprouvant «snacks» et grignotage (61% estiment qu'il ne faut pas manger entre les repas contre 57% en 2002), et leur méfiance vis-à-vis des compléments alimentaires comme des régimes.

«En France, on mange des plats, de la cuisine, etc., alors qu'aux États-Unis, on mange de la nourriture», explique le sociologue.

Mais si les Français apparaissent «de plus en plus français» dans leurs conceptions de l'alimentation -l'enquête n'a pas étudié les comportements réels-, des questions permettent «d'identifier un certain malaise, une tension», face à des pressions croissantes ou des «contraintes sous-jacentes».

«On arrive à transiger avec la norme pour garder la convivialité à laquelle on tient tant, on conserve les principes et on cherche à s'accommoder de la valorisation accrue de l'individualité», explique le sociologue.

Par exemple, si une écrasante majorité des Français interrogés (98%) pensent qu'il faut apprendre aux enfants «à goûter de tout et à ne pas être difficiles», près de la moitié ne sont pas d'accord avec la proposition selon laquelle il ne faut pas montrer qu'on n'aime pas quelque chose.

Claude Fischler y voit «une forme de contradiction, voire de tiraillement».

Il y a un an, le «repas gastronomique des Français» était inscrit au patrimoine immatériel de l'Humanité, signant l'exception française en matière de culture alimentaire.

Le sociologue développe la transmission du patrimoine culinaire aux jeunes générations dans un ouvrage publié par la fondation Nestlé, «Manger, Mode d'emploi?» (www.fondation.nestle.fr).

(Enquête réalisée par l'agence Le Terrain auprès d'un échantillon représentatif de 2100 adultes, dont 1000 interrogés par téléphone et 1100 par internet).