L'histoire des épices, c'est un peu l'histoire du monde.

Rappelez-vous, si les Espagnols sont venus ici dès la fin du XVe siècle, c'était pour éviter les taxes des royaumes musulmans qui s'enrichissaient des caravanes venues d'Orient. Depuis l'époque de l'Empire romain, ils apportaient à dos de chameau et de cheval les épices aux Européens. Qu'en faisaient-ils? Ils s'en servaient pour leurs vertus médicinales - on croyait que le cumin empêchait la viande de pourrir ou que la coriandre retardait les menstruations. Ou pour les services religieux, pour faire fuir les démons, purifier les maisons, marquer les étapes de vie - naissance, mariage, mort. Et pour ponctuer le goût fade des cuisines européennes.

On dit même qu'au Moyen-Âge, les cuisines européennes aristocratiques avaient le parfum des caris indiens d'aujourd'hui tant on couvrait les viandes et légumes d'épices. C'était le cas de la muscade, du clou de girofle indonésien, de la cannelle ceylanaise, de la cardamome et du poivre de l'Inde du Sud. Si elles étaient si chères, ce n'est pas dû qu'à leur rareté, mais surtout parce qu'elles incarnaient la richesse, le pouvoir, l'ostentatoire. Qui pouvait se payer le luxe d'une poivrière sur la table avait un statut très dominant à l'époque.

Les épices ne se limitaient pas qu'aux fruits et écorces rares venus de l'Orient. Certaines arrivaient de l'est de la Méditerranée et étaient connues depuis des siècles. Ainsi, les Romains usaient de deux épices locales, qui poussaient partout dans la péninsule: la coriandre qu'ils employaient avec excès (ce qui a nui à sa réputation en Europe où les Italiens ne l'utilisent plus jamais), et le cumin, plante gracile de la famille des fenouils, carottes et autres ombellifères dont on saupoudrait même les fruits frais ou bouillis.

Le même sort lui a été réservé. Nulle part en Europe, de nos jours, le cumin a-t-il une place prépondérante dans le placard à épices.