Bien décidée à regagner sa suprématie de jadis sur le marché mondial des ventes de caviar, la Russie mise aujourd'hui sur le développement des élevages d'esturgeons pour ravir de nouveau le palais des gourmets du monde entier.

À Gamziouki, minuscule hameau de la région de Kalouga à près de deux cents kilomètres au sud de Moscou, une usine piscicole a ouvert ses portes fin 2008, avec l'espoir de produire d'ici 2014 jusqu'à 16 tonnes de caviar chaque année.

Dans une immense salle aux allures de hangar, des milliers d'esturgeons, ces longs poissons au museau pointu et muni de barbillons, s'ébattent frénétiquement dans plusieurs dizaines de bassins ultra-modernes.

Plusieurs fois par mois, les ingénieurs de l'usine prélèvent des femelles pour en retirer les oeufs en leur laissant la vie sauve grâce à une technique qui consiste à inciser légèrement le poisson et à presser son abdomen pour en faire sortir les précieux grains noirs.

Une technologie qui permet à un esturgeon de fournir du caviar plusieurs fois au cours de son existence. «C'est avantageux du point de vue économique, nous élevons ainsi trois fois moins de poissons que si nous devions les tuer», explique Vladimir Kalachnikov, directeur de l'usine.

Pour l'instant, la ferme ne produit pas plus de cinq tonnes de caviar par an. «Nous n'en sommes pour l'instant qu'au stade préliminaire, il faut laisser du temps aux poissons pour faire du caviar», souligne M. Kalachnikov.

Pour cet ancien pêcheur originaire d'Astrakhan, une ville située en amont de la Caspienne d'où provenait autrefois 90% du caviar sauvage, les perspectives sont bonnes pour l'aquaculture en Russie, d'autant qu'un moratoire interdit la pêche industrielle de l'esturgeon dans cette mer.

«Il est difficile de croire que la population d'esturgeons va se rétablir d'ici vingt ans», comme certains le prévoient, dit-il.

«L'industrialisation implacable et le braconnage ont gravement nui à cette population», explique de son côté Alexandre Saveliev, porte-parole de l'Agence fédérale pour la pêche.

Face à la baisse inquiétante du nombre de spécimens dans la mer Caspienne, la Russie a été contrainte de renoncer à ses exportations de caviar pendant neuf ans.

Jusqu'à février dernier, quand l'Agence pour la pêche a signé une première autorisation pour exporter 150 kg de caviar d'élevage vers l'Union européenne, avec l'objectif de lui en vendre au total 2,5 tonnes en 2011.

«Nous estimons que nous pouvons redevenir les premiers sur le marché», assure M. Saveliev, estimant ce marché à environ 350 tonnes.

D'autant qu'une douzaine de fermes piscicoles sont récemment apparues en Russie.

«Un boom des investissements a débuté il y a trois ans dans le domaine de l'aquaculture, quand les hommes d'affaires ont senti que le gouvernement mettait en place des règles fiables, claires, à long terme sur ce marché», explique encore le porte-parole.

Les autorités ont notamment engagé une «lutte sérieuse» contre les ventes sur le marché noir, qui selon les estimations rapportaient environ un milliard de dollars il y a quelques années, selon M. Saveliev.

Et même si la Russie est loin d'être un précurseur dans le domaine du caviar d'élevage, de nombreux pays, parmi lesquels la France, Israël ou encore la Chine s'étant lancés dans l'aventure bien avant, elle peut compter sur sa réputation d'antan pour rattraper son retard.

«C'est la marque qui joue le rôle le plus important» au final, souligne M. Saveliev, se disant certain qu'entre une boîte chinoise, canadienne, française et une estampillée «caviar russe», l'acheteur choisirait sans aucun doute cette dernière.