À New York, la chef dont tout le monde parle, April Bloomfield, aime le hockey, les sauces au beurre et le porc bien braisé. Et à un de ses restaurants, le Breslin, elle prépare des cochons de lait entiers que des femmes convives viennent régulièrement partager. De la même façon, un peu partout à New York, dans les cuisines, à table et même dans les coulisses de la gastronomie, les femmes sont partout et ont de l'appétit pour tout. Au revoir, la salade avec la vinaigrette à côté.

Si on vous sert un cochon de lait entier, avec pommes de terre rôties au gras de canard et bourgogne à l'avenant, qui, croyez-vous, surgira derrière le passe-plat pour s'assurer que tout est bien accueilli?

Un chef aux airs d'Obélix, bien français, à l'appétit et au rire aussi gras que les sauces accompagnant ses plats de viande? Ou une petite Britannique venue de Birmingham, réservée pour ne pas dire timide, au calme imposant et au coup de couteau précis?

Eh oui. À New York, ces jours-ci, les stéréotypes passent au hachoir.

La coqueluche des médias et des carnivores est une femme de 36 ans. Elle s'appelle April Bloomfield, adore qu'on la compare à Martin Picard - «Vous voulez dire pour tout le gras?» - et dirige les cuisines du Breslin, du Spotted Pig et du nouveau John Dory Oyster Bar. Et si elle aime le citron, elle adore aussi le beurre et le sel.

Lorsqu'on mange sa soupe aux huîtres - avec tartine à la pommade d'oursins -, on a l'impression de boire du beurre blanc.

S'il y a quelqu'un qui croit encore que la cuisine féminine est délicate, allégée et a peur de se mettre les mains dans la chair et les lipides, détrompez-vous. Comme l'a montré le festival Montréal en lumière, la gastronomie vue par les femmes prend toutes sortes de formes. Et aux États-Unis, en ce moment, elle a une forte tendance animale.

Du New York de Julie Powell - la blogueuse du film Julie&Julia - qui est allée faire un stage en boucherie pendant six mois pour en faire un nouveau livre, à celui d'Ariane Daguin, grande distributrice de viandes haut de gamme et figure de proue du mouvement de défense du foie gras aux États-Unis, en passant par Brooklyn où une des boucheries les plus à la mode s'appelle Marlow and Daughters, les femmes tranchent, cuisinent et vendent de la viande partout.

«Ah! ça oui, on a dépassé le stéréotype de la nana à salade», lance Mme Daguin, gasconne d'origine, qui a toujours aimé la viande et a fondé il y a 25 ans la société D'Artagnan, fournisseur de la plupart des grands restaurants new-yorkais en foie gras, charcuteries et viandes bios et nature. «En fait, parfois on se demande si les filles n'en font pas un peu trop. Veulent-elles prouver quelque chose?»

Il est rendu courant, à Manhattan, de voir par exemple une dizaine de femmes se retrouver ensemble à la table de Mme Bloomfield pour partager un cochon de lait ou alors choisir le Momofuku Ssam Bar de David Chang pour commander la fesse de cochon entière.

Évidemment, dans les blogues, on cause boucherie, saucisses, charcuteries - lu dans l'un d'eux: «Meat is the new black» («la viande est le nouveau noir»).

La semaine dernière, même le New York Times a consacré un papier au fait que maintenant, les actrices d'Hollywood, jadis à l'eau et à la salade, aiment bien qu'on les voie manger de la cuisine costaude.

Selon Mme Daguin, il faut faire la différence entre les femmes qui ont embarqué dans une certaine vague actuelle très pro-viande, celles qui le font peut-être pour montrer qu'elles peuvent être aussi fortes que les gars dans les cuisines et celles qui n'ont rien à prouver et la cuisinent depuis toujours. Dans cette dernière catégorie, elle pense à Anita Lo de chez Anissa - qui était invitée chez Koko pour le festival - ou alors à Alexandra Guarnascelli, de Butter.

Une autre figure incontournable dans ce créneau est sûrement Barbara Lynch - invitée au Pullman, pour le festival - qui a plusieurs rewstaurants à Boston et a ouvert il y a quelques années un établissement appelé... The Butcher Shop. Installé dans le sud de la ville, cet établissement propose des charcuteries artisanales, mais aussi du steak, du steak et encore du steak.

Cochons québécois

Il y a de bonnes raisons de croire que Mme Bloomfield, amatrice de hockey et de baseball, au centre de cette mouvance viande féminine, fait partie de celles qui ne deviendront pas végétaliennes demain matin, quand le vent aura tourné. Sa cuisine est sérieusement et totalement ancrée dans la richesse de la viande et des produits laitiers. Son premier restaurant new-yorkais, celui pour lequel son associé est allé la chercher en Angleterre alors qu'elle travaillait au River Café, ne s'appelle-t-il pas The Spotted Pig?

Et d'ailleurs, l'an dernier, si Mme Bloomfield est venue à Montréal - elle a été invitée par le festival cette année mais n'a pas pu trouver le temps -, c'était pour aller donner un atelier de cuisine sur la viande de porc chez Gaspor, producteurs de Saint-Canut. Évidemment, elle en a profité pour aller manger au Pied de cochon - «Martin Picard, isn't he a trip?» -, et chez DNA, où la pannacotta au chocolat et au sang de porc ne lui fait pas peur. «La texture est effectivement très chocolatée», dit-elle en riant. «Mais bon, je lui laisse sa recette. Moi, je fais mon boudin.»

Cela dit, ce ne sont pas les produits étranges qui lui font peur. Un jour, pour suivre les traces de Fergus Henderson, chef britannique devenu célèbre avec les abats et les viandes régionales mais excentriques, elle promet d'essayer de cuisiner l'écureuil.

Femmes chefs américaines: des noms à retenir

Les femmes chefs sont loin d'être majoritaires dans les bons restaurants aux États-Unis et elles ne sont pas toutes aussi carnivores que April Bloomfield, mais elles sont de plus en plus présentes dans plusieurs grandes villes dans toutes sortes de différents établissements.

New York en compte des dizaines, dont Anita Lo d'Annisa, Alex Guarnaschelli chez Butter et Rebecca Charles du Pearl Oyster Bar. Sara Jenkins chez Porchetta et Missy Robbins chez A Voce font aussi beaucoup parler d'elles.

À Los Angeles, les femmes qui ressortent des dizaines de bons restaurants sont Suzanne Goin de Lucques et Nancy Silverton de la Pizzeria Mozza, tandis qu'à San Francisco, Nancy Oakes du Boulevard est incontournable, tout comme Michelle Bernstein de Michy, à Miami, et Susan Spicer de Bayona, à La Nouvelle-Orléans.

À Boston, Barbara Lynch - qui a plusieurs restaurants dont No9 Park, The Butcher Shop et Menton - souligne le travail d'Ana Sortun chez Oleana, de Jody Adams au Rialto, de Lydia Shire chez Locke-Ober et de Joanne Chang de Flour. Et évidemment, on ne peut passer sous silence la chef et restauratrice Lidia Bastianich, copropriétaire notamment de Del Posto à New York, figure clé de la restauration italienne aux États-Unis, et la dernière mais non la moindre, Alice Waters, de chez Panisse, figure de proue de la révolution gastronomique américaine lancée en Californie dans les années 70.

Photo: The Boston Globe

La chef Barbara Lynch