Pavel Rogojine fait sauter des cuisses de poulet dans de la crème à l'estragon et caramélise des pommes pour accompagner une mousse au fromage blanc: en Russie, il est temps de prendre son temps pour bien manger, assurent les organisateurs du premier festival de Slow Food.

Le cuisinier, adepte des produits «100% bio» présente sa classe de maître au milieux des étals de bouchers au marché Dorogomilovski, l'un des plus chers de la capitale russe, haut lieu de la manifestation qui a fermé ses portes dimanche.

Au rythme effréné de la mégapole, beaucoup de Moscovites ont opté pour les conserves et le produits surgelés et «trouvent que les produits purs n'ont pas assez de goût», regrette M. Rogojine dont la démonstration prouve le contraire.

Les conséquences de ces nouvelles habitudes alimentaires se font sentir: les Russes deviennent de plus en plus gros, 55% des adultes âgés de plus de 30 ans souffrent d'excès de poids, selon l'Institut de l'alimentation de l'Académie des sciences russes.

Les enfants sont particulièrement touchés, souligne Natalia Grigorieva, une diététicienne.

«Les enfants mangent de 8 à 15 fois par jour. Hot-dogs, barres chocolatées, bonbons remplacent fruits, légumes et plats chauds», déplore-t-elle, interrogée par l'AFP.

Résultat: «90% des enfants à l'âge de 6 à 8 ans ont une gastrite» et à cause d'éléments chimiques ajoutés dans des produits «fast food», «nos enfants deviennent hyperactifs, et leurs résultats scolaires baissent», ajoute-t-elle.

Pour les habitués des chips et hamburgers, le marché Dorogomilovski est un autre monde avec ses fromages blancs bien épais, ses gigots et rôtis, des montagnes d'herbes aromatiques et l'huile de tournesol pressée devant le client.

«Tous nos produits sont 100% naturels. Je les fabrique comme à l'époque de mes grands-parents», se vante la fermière Olga Korovanova, qui fait goûter son fromage blanc avec de la crème fraîche.

Ce premier festival de Slow Food «est appelé à redonner aux produits paysans leur attrait perdu face à la marchandise des supermarchés», explique Victor Michaelson, porte-parole de Slow Food en Russie.

Cette organisation fondée en Italie en 1989 pour promouvoir la cuisine régionale s'est implantée en Russie dans les années 2000 après l'essor des établissements de restauration rapide.

«Le marché, comme lieu de vente, considéré jusqu'à présent comme "not cool", redevient à la mode», se félicite M. Michaelson.

D'autant plus qu'en saison, les produits fermiers y coûtent moins cher que dans les supermarchés, souligne-t-il.

Les Russes les plus riches ayant découvert les saveurs des produits locaux lors de leurs voyages en Europe se sont dotés de leurs propres fermes, mais près de la moitié de la population se contente de produits surgelés, selon des études.

Malgré la popularité des «datchas», ces maisons de campagne où l'on cultive souvent un petit lopin de terre, les récoltes particulières de pommes de terre et de tomates restent modestes.

«Le marché des produits congelés en Russie augmente chaque année de 13 à 15%», estime Mme Grigorieva.

Dans un pays où historiquement on mange beaucoup de viande (plus de 20 kg par personne), «ces dernières années, on remplace de plus en plus souvent la viande naturelle par des produits à base de soja», souligne-t-elle.

«Il faut habituer les gens à lire les étiquettes avant d'acheter n'importe quoi», conclut Victor Michaelson.