En plus de mettre l'eau à la bouche des téléspectateurs, les plats gastronomiques mitonnés par les membres de la brigade des Chefs! ont également éveillé l'appétit de plusieurs aspirants cuisiniers. Avec les émissions de cuisine, qui se multiplient, cette téléréalité incite plusieurs personnes à vouloir porter la toque et, du coup, à s'inscrire dans un programme de formation professionnelle en cuisine.

«C'est assez commun, depuis cinq ou six ans, que les jeunes viennent avec des émissions de télé comme référence. Ils vont nommer certains chefs, certains personnages, raconte Pasquale Vari, juge à l'émission Les chefs! - qui a pris fin lundi - et professeur à l'Institut de tourisme et d'hôtellerie du Québec (ITHQ). Il y a des gens qui viennent et qui disent: je regarde Jamie Oliver, Josée di Stasio, Ricardo.»

Et tant du côté de l'ITHQ que du collège LaSalle ou encore en région, au Centre de formation professionnelle de Jonquière par exemple, les demandes d'admission dans les programmes de cuisine sont en augmentation depuis deux ans. «La télé étant un média très populaire, l'influence part de là», estime Leidy Ojeda, directrice des communications au collège LaSalle. À l'automne 2007, 20 élèves étaient inscrits au programme de cuisine alors que 60 «chefs en devenir» font leur entrée dans les salles de classe de l'établissement cet automne.

«Qu'il s'agisse de Ricardo ou des Chefs!, plus il va y avoir de chefs vedettes, plus ça va inciter les jeunes à s'en aller en cuisine», ajoute pour sa part le directeur adjoint du Centre de formation professionnelle de Jonquière, Carl Dumont. Son école s'inspire d'ailleurs des épreuves et des défis que doivent relever les participants des émissions de téléréalité culinaires lorsque vient le temps de proposer des ateliers aux élèves. Par exemple, il arrive que ceux-ci disposent de deux heures pour préparer un mets avec des aliments du terroir ou avec des produits typiques de la région. Le Centre de formation invite également des chefs connus, comme Louis-François Marcotte, à venir donner des conférences, histoire d'inspirer la relève.

Portrait idéalisé

Toutes ces émissions où les aspirants chefs transforment un crabe des neiges en bisque ou préparent une perdrix farcie à l'ancienne en un tournemain reflètent-elles vraiment la réalité? Projettent-elles plutôt une image romancée du maître des cuisines?

«Je pense que les émissions de télé, ça rend la profession plus glamour», estime Érick Tessier, réalisateur des Chefs!.

«Avec Les chefs!, on retourne sur le côté humain de l'artiste. Et c'est là qu'on veut les voir suer, on veut les voir se tromper, illustre Frédéric Blaise, président de l'agence Enzyme, spécialisée en communication de questions d'alimentation et de nutrition. On veut casser le moule du chef béton qui ne fait pas d'erreur. On veut du drame. On vit la même chose en rénovation.»

Ces concepts feraient toutefois une légère entorse à la réalité. «En général on dit: si on savait comment ça se passait, on ne le ferait pas. C'est un petit prix à payer, celui de peut-être truquer la réalité, pour motiver les gens à s'intéresser à la nourriture», ajoute-t-il.

Professeur en marketing alimentaire à l'Université Concordia, Jordan LeBel affirme, quant à lui, que ces émissions ne sont que du divertissement. «Cela ne représente pas vraiment la réalité de ce qu'est une profession, dit-il. On en fait un portrait idéalisé, romantique...»

Autre remarque de M. LeBel: «D'un côté, on se rend compte que la planète est en train de manquer de ressources, il y a 3 milliards de personnes qui souffrent de malnutrition. Et là, on fait des émissions où on fait venir du crabe des Îles-de-la-Madeleine et des ingrédients rares... Ça contribue à cette espèce de paradoxe, de malaise auxquels doit faire face l'industrie alimentaire.»

Pasquale Vari n'est toutefois pas de cet avis. Selon lui, l'émission à laquelle il a collaboré colle à la réalité. «Les chefs!, ça donne l'heure juste sur ce que c'est la cuisine, croit-il. Je pense que ça va au moins donner une idée de la réalité: le coup de feu, le stress, les bonnes techniques, les méthodes, les assiettes...»

Selon Ricardo Larrivée, qui anime quotidiennement une émission de cuisine sur les ondes de Radio-Canada, la téléréalité «demeure un spectacle qui rend la cuisine plus intéressante».

Il pense néanmoins que toutes ces émissions ont énormément de bienfaits puisqu'elles contribuent à redonner ses lettres de noblesse à la profession de cuisinier.