Pour réaliser notre dossier annuel barbecue, nous sommes allés au bord du lac Tremblant, dans les Laurentides. Et, pour faire changement, nous avons concocté un menu d'inspiration indienne - non! authentiquement indien, inspiré de ce qui se fait dans les rues de Delhi, la capitale indienne mais aussi et surtout la capitale des kebabs, ces brochettes d'origine perses.

Avant de partir, les consignes: vérifier la météo; éviter le piège de la pluie, qui nous obligerait à manger à l'intérieur cette cuisine très estivale et surtout inspirée de la «rue»; faire le plein de bière, de vin, d'épices, de légumes frais qui serviront à compléter, sinon à équilibrer, ce menu surtout constitué de protéines animales.

Car les kebabs sont des brochettes de viande, de toutes les parties de tous les animaux consommés chez nous: agneau, volaille, boeuf et veau, porc (sauf si, comme la plupart des Indiens qui mangent de la viande, vous êtes musulman, bien entendu), et aussi des choses plus inhabituelles: lapin, pintade, oie, canard, sanglier. Tout se prête à la grillade sur un feu ardent.

À la campagne, nous choisissons aussi de faire les choses comme nos ancêtres chasseurs. Le copain de notre amie Louise prépare le feu. Il creuse d'abord un trou au bord du lac, puis installe des pierres et du bois bien sec. Il s'assure de la stabilité de la structure qui devra soutenir des grilles en métal (seul compromis à la modernité). Une fois le foyer construit, il allume le bois qui chauffera les pierres pour en faire des braises ardentes, ce qui donnera à la viande ce goût si particulier qu'on ne trouve nulle part ailleurs, entre la cendre, le calciné et le roussi.

La maison est construite directement au bord de l'eau. La fenêtre de la cuisine donne sur le lac. On peut ainsi jeter un oeil sur la braise qui laisse échapper des volutes de fumée grise et odorante.

Pendant ce temps, les invités arrivent un à un, certains les bras pleins de caisses de bière et de bouteilles de vin, d'autres portant des sacs de maïs frais et de tomates. Pendant qu'on prépare les sauces, les chutneys et les accompagnements de légumes, on fait chauffer les samosas et les pakoras (petites fritures de légumes dans une pâte de farine de pois chiches), les conversations s'animent dans le soleil couchant, qui donne au lac une apparence de miroir.

Si la nature se calme, les hommes eux, s'agitent. Les viandes sortent des glacières et des marinades dans lesquelles elles ont absorbé le goût des aromates. Les chairs sont souples, parfumées et détendues. Les enfants rient, les adultes conversent et on met la table. On ouvre les bouteilles, on commente la braise, chacun épilogue sur le menu et on se met à table lorsque disparaît la lumière du jour. On n'entend plus que les oiseaux de nuit, les grillons et le crépitement des flammes. Dire que le barbecue rassemble et permet le synchronisme entre les hommes est un euphémisme, il nous permet de nous sentir, pour une rare fois, en harmonie avec la nature.

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CARNET D'ADRESSES

Pour trouver des samosas, pakoras et autres bouchées qui serviront d'entrées ou de coupe-faim en attendant les grillades et aussi pour une très bonne sélection de desserts à base de lait concentré et de noix:

• Shalimar 638, rue Jean-Talon Ouest, 514-273-0080

• Malhi Sweets

880, rue Jarry Ouest, 514-273-0407

Bonne sélection d'épices

Chacune de ces adresses propose la liste complète des épices indiennes utilisées dans nos recettes - et plus, car le choix, la quantité et l'usage varient selon les régions. Les épiceries indiennes vendent des épices déjà emballées. À la boutique Olives & Épices, on soutient qu'elles sont de meilleure qualité... mais elles sont aussi bien plus chères. Au choix.

Marché Victoria Oriental 6324, rue Victoria (Côte-des-Neiges)

Marché Jolee 5493, avenue Victoria (Côte-des-Neiges)

Apna Bazaar4852, boulevard des Sources, (Dollard-des-Ormeaux)

Marché Thurga 444, rue Jean-Talon Ouest (Parc-Extension)

Marché Janata517, rue Saint-Roch (Parc-Extension)

Olives&Épices7070, rue Henri-Julien(Marché Jean-Talon)

 

La rue indienne

L'Inde est un beau paradoxe. Elle est belle, fascinante, brillante et totalement chaotique. C'est un chantier perpétuel d'échanges et de contacts intimes. Ses rues désordonnées sont une déflagration d'énergie perpétuelle. On se demande comment les habitants peuvent fonctionner et, certains jours, se nourrir. Ici, la rue sert d'autel, de bureau, de temple, de marché. Et de cuisine. Car avec des clivages religieux, sociaux, tribaux et de castes qui se traduisent par un choix kaléidoscopique et démesuré, la rue indienne propose des cuisines et des rituels de tous les genres qui composent cet immense damas culturel. Le soir venu, les grillades sont reines et on en trouve dans toutes les villes du Nord -où le végétarisme exclusif des hindous et des bouddhistes côtoie la consommation de viande des musulmans et des chrétiens. L'odeur des braises mêlée à celle des épices et des encens est omniprésente une fois que le soleil brûlant fait place à la fraîcheur (toute relative) de la nuit. Chaque coin de rue de Delhi a son tandouri mobile ou son karwa (une sorte de wok portable), certains marchands ambulants font même des barbecues à même le sol, sur lequel ils confectionnent de splendides kebabs. Dans le quartier musulman du Vieux-Delhi, à l'ombre de la plus grande mosquée d'Asie, les restaurants et les dabbahs (les tea-shops) alignent les grils à même la rue, lesquels font alterner brochettes, pain nan, carcasses de volailles juteuses et jaunies par la marinade au curcuma. La cuisine de rue est fondamentale en Inde. Tant les banquiers que les prêtres et les ouvriers y ont recours quotidiennement. La rue est en fin de compte le seul grand égalisateur qui existe ici.

Photo André Tremblay, La Presse