Dans le livre Papilles et molécules, du sommelier François Chartier, vous avez appris que pour accompagner un sauvignon blanc, il n'y a rien comme une recette généreusement aromatisée à la menthe. Ou alors, vous avez découvert que les plats contenant des ingrédients fumés convenaient particulièrement bien aux vins élevés en barrique, marqués par le chêne. Le tout, parce que vins et plats ont des molécules aromatiques en commun. Maintenant, où trouver les recettes maximisant ces rencontres moléculaires ? Dans Les recettes de Papilles et molécules, un nouvel ouvrage qui arrive en librairie, conçu en équipe avec le chef Stéphane Modat.

Ils ont jonglé avec une idée de restaurant, même de traiteur, mais c'est finalement la création d'un livre de recettes qui s'est imposée. «Il fallait qu'on fasse quelque chose ensemble», explique le sommelier François Chartier au sujet de sa nouvelle collaboration avec le chef de Québec, Stéphane Modat. «Dès qu'on a commencé à travailler ensemble, on s'est compris. Il se passait de quoi. Il fallait aller plus loin. Ça a donné ce livre.»Le livre en question, c'est Les recettes de Papilles et molécules, un ouvrage qui résume une rencontre entre un spécialiste du vin et un autre des chaudrons, et qui permet aux lecteurs comme vous et moi de préparer des plats maximisant les accords moléculaires lancés dans Papilles et molécules.

Menthe et autres saveurs anisées et sauvignon blanc vont bien ensemble ? Eh bien voici une recette de jarret d'agneau au pastis. Ou de tagliatelle à la réglisse noire et aux petits pois.

Vous me suivez ?

Photo: Stéphane Modat

«Dans le premier livre, je lançais des idées d'accords. Avec ce livre, on les met en oeuvre», explique François Chartier, attrapé au téléphone entre un voyage à San Francisco pour y rencontrer le Wine Spectator, et un autre à New York, où les démarches vont bon train pour la traduction de Papilles, qui a gagné un premier prix au Paris World Cookbook Awards. «Car j'ai toujours dit que ce qui faisait l'accord c'était les arômes des sauces et des accompagnements. Mais parfois, cela bouscule les idées reçues, comme celles du rouge avec la viande et du blanc avec le poisson.»C'est donc pour convaincre les lecteurs d'aller de l'avant avec ces combinaisons d'allures peu orthodoxes, que Chartier s'est allié avec Modat, que l'on a connu jusqu'à tout récent à la défunte Utopie à Québec, pour créer des recettes concrètes, précises, qui disent exactement quoi faire pour arriver à cette symbiose moléculaire aliment-vin.

Sans marche à suivre, feriez-vous des accords boeuf-gewurztraminer ? Pourtant, c'est bien ce que l'équipe Modat-Chartier, ou MC2 si vous préférez - c'est le nom qu'ils se sont donnés - propose dans son «baklava de boeuf en bonbons, miel de menthe à la lavande et eau de géranium, viande de grison». Et dans le même ordre d'idées, c'est du riesling que les deux comparses proposent pour tenir compagnie, à table, à un gigot d'agneau au romarin. Oui, un blanc.

Photo: Stéphane Modat

Combinaisons excentriques qui s'expliquent

La nouvelle approche de François Chartier face aux accords mets et viens est excentrique. Ce n'est pas pour rien que le célébrissime chef Ferran Adrià, le père de la cuisine moléculaire, lui a demandé de collaborer avec lui l'an dernier. Ses théories sur la rencontre des arômes bousculent les idées reçues et nous amène loin des lieux communs. Quand le pot-au-feu s'aromatise à la cardamome, à la badiane et au thé noir, on est loin des classiques. Et où ailleurs avez-vous vu une recette de mozzarella en bulles gonflées aux vapeurs de clou de girofle, avec viande des Grisons et piment d'Espelette ?

On s'entend, on n'est pas exactement sur le même terrain que les livres de cuisine de Martha Stewart et de Jehane Benoit. C'est clair.

Mais le chef Stéphane Modat, qui a pensé, cuisiné et testé toutes ces arabesques folles avec Chartier, promet aux lecteurs l'accessibilité des recettes.

Photo: Stéphane Modat

«C'est tout à fait faisable, promis et il y a peu de produits difficiles à trouver. Quand on se donne la peine de chercher, on déniche beaucoup de choses, en commençant par les supermarchés», assure le chef, qui a adoré son aventure du côté du livre.D'ailleurs, il n'a aucune recette préférée dit-il. «Mon coup de coeur, c'est l'expérience de création, c'est l'envie de vouloir en faire plus.» Le chef a notamment beaucoup apprécié son rôle de photographe. (C'est lui qui a pris les photos du livre publié aux Éditions La Presse). «J'ai aimé être baigné dans le projet dans sa totalité.»

En outre, le chef affirme avoir beaucoup plus de recettes que les 84 choisies pour ce premier ouvrage. «On a eu beaucoup de facilité à travailler ensemble», note Modat, observation qui trouve parfait écho chez Chartier. «Dès qu'on a fait les recettes ensemble pour le repas du lancement de la Sélection Chartier 2009, on s'est compris», dit-il.

Pour sa part, Chartier a quelques recettes chouchou. La sauce soya-érable-réglisse qui se sert notamment avec le boeuf et scelle des accords réussis avec du Sauternes, des madère, le vin santo et le vin jaune, notamment, bref des vins marqués par une molécule appelée sotolon. En discutant, il revient aussi souvent à cette recette de feuilles de vignes farcies mais grillées, servies avec du riz sauvage soufflé et des notes de café, qui conviennent parfaitement, aux vins en barrique, dont bien des cabernet sauvignon.

La rencontre des pyrazines qui a lieu lorsque la verdeur d'une asperge et d'un petit pois, combinée à du blanc de volaille et de la crevette croise un sauvignon blanc, fait aussi partie des bons coups dont il est heureux. «Il faut sentir cette signature verte, la présence en bouche...» dit Chartier, qui planche déjà sur Papilles et molécules tome 2 et rêve de continuer longtemps à faire valser les combinaisons gagnantes mais surprenantes toujours un peu plus loin.

Les recettes de Papilles et molécules, de François Chartier et Stéphane Modat, Éd. La Presse, 240 p., 39,95$

Photo: Stéphane Modat