Méchoui, pastilla, tajine, couscous... la cuisine marocaine est affaire de patience et de tradition. Depuis des générations, les recettes sont transmises de mère en fille, un héritage qui résiste tant bien que mal à la popularité grandissante de la malbouffe et de la cocotte minute.

Pour mon premier repas familial à Casablanca, les cuisinières de la mère de Khadija avaient préparé un tajine d'agneau aux figues, pruneaux, abricots et fruits secs. La viande, la sauce à l'huile d'argan, les fruits, les épices, tout était savoureux. Riche aussi, ce mélange de viande salée et de fruits. Et les odeurs du plat étaient enivrantes. Un voyage planant pour les papilles.Il n'y avait pas de légumes avec le tajine. Dans la tradition, les légumes étaient considérés comme des aliments «communs» réservés aux repas de famille sans invités. Quand il y a des hôtes, on met en quelque sorte les petits plats dans les grands et on sert de la viande. La tradition n'a pas changé, bien que l'on trouve de nombreuses recettes de tajines préparés avec des légumes.

Après le tajine, une des cuisinières a apporté un énorme couscous aux haricots et aux petites courgettes. «Le couscous est le plat du vendredi que l'on mange après la prière», m'a expliqué mon amie.

Les recettes du pays

Latifa Benanni-Smires a été la première Marocaine à écrire un livre de recettes de son pays. Ce livre, La cuisine marocaine, lancé en 1970, a été réédité 2001. Elle défend la bonne cuisine familiale.

«J'étais nulle en cuisine, dit-elle. J'ai donc voulu mettre par écrit les recettes de ma mère, de ma belle-mère et d'autres que l'on m'avait données. Je me suis mise à la place d'une débutante. Je les ai toutes essayées! J'en ai jeté, des plats, je vous jure! On m'a même donné des recettes immangeables, comme une recette de poisson au chocolat!»

Mme Benanni-Smires dit que les recettes marocaines varient peu d'une région à l'autre. Y a-t-il plusieurs cuisines marocaines ? «Il y a la mauvaise et la bonne, répond-elle. La cuisine marocaine ne supporte pas la médiocrité.»

Quel est, selon elle, le plat emblématique marocain? «Le méchoui, la pastilla et le tajine de poulet au citron confit.» La cuisine marocaine est caractérisée selon elle « par des combinaisons d'épices et d'herbes qui doivent mijoter». Pour cette raison, elle estime que l'évolution de cette cuisine n'est pas toujours «positive». Elle regrette la prolifération de la bouffe-minute, qui nuit à la transmission de la cuisine familiale, et rejette aussi les adeptes d'une nouvelle façon de cuisiner. «La cocotte-minute, ce n'est pas pour la cuisine marocaine», dit-elle.

Elle vilipende également les auteurs de recettes marocaines qui proposent par exemple le couscous au caviar - comme notamment Fatéma Hal, anthropologue, propriétaire du plus célèbre restaurant marocain à Paris, le Mansouria, et auteure d'une dizaine de livres de cuisine marocaine.

Savoir prendre et donner

Fatéma Hal était pour sa part au salon du livre de Casablanca en même temps que La Presse. Elle venait y présenter son dernier né, Tajines et couscous, publié chez Hachette. Fatéma Hal se défend de faire la promotion de la nouvelle cuisine marocaine.

«Je me situe plus dans l'urgence de conserver une certaine tradition culinaire, dit-elle. Il faut écouter les vieilles femmes marocaines. Il y a des secrets de famille. La cuisine des pauvres est aussi très intéressante. Mais la cuisine marocaine a toujours évolué. Elle n'est pas figée.»

Fatéma Hal estime que la cuisine marocaine «a toujours su prendre et donner». «Ce qui est nouveau aujourd'hui deviendra traditionnel dans 20 ans», ajoute-t-elle.

«La feuille de la pastilla venait de Chine. Le foie gras n'est pas d'origine française mais égyptienne. Rien n'appartient à personne. Il faut préserver mais aussi évoluer. Pensez-vous que les chefs français Rebuchon et Ducasse seraient où ils sont aujourd'hui s'ils s'étaient contentés de préparer des cassoulets ? Le couscous au caviar est un clin d'oeil pour dire qu'on peut faire beaucoup de bonnes choses avec de la semoule. Il faut se projeter dans l'avenir.»

Fatéma Hal comprend que nos expériences culinaires dans les restaurants marocains de Casablanca, de Marrakech et d'Essaouira n'aient pas atteint le réel plaisir de manger en famille des plats mijotés par des cuisinières aguerries.

Elle estime que cette dichotomie entre la bonne cuisine familiale et la cuisine de restaurant est un problème au Maroc. «Il n'y a pas encore de grands chefs et de grands restaurants marocains, dit-elle. On est dans une situation où la transmission de la cuisine de mère en fille ne se fait plus beaucoup car les filles travaillent, notamment, et vont à l'école. Il faut que la cuisine évolue, avec plus de formation professionnelle. Il y a une bonne école d'hôtellerie à Rabat. Ce n'est pas assez. Mais ça viendra. Le pays est en train de changer depuis une dizaine d'années.»