Exit le thon rouge en voie d'extinction mais part belle aux petits producteurs: de plus en plus de grands chefs ont pris le parti de se recentrer sur le produit et son origine, de préférence biologique.

Plusieurs cuisiniers étoilés réunis à Madrid au congrès culinaire Madrid Fusion, ont expliqué chercher désormais à mieux «cibler» leurs produits, en allant par exemple à la rencontre des producteurs.

Un retour aux sources qui semble marquer un virage après des années d'emballement pour la «cuisine moléculaire» qui a vu se développer une gamme de gélifiants, d'épaississants, d'émulsifiants, pour des recettes toujours plus spectaculaires.

Le gourou mondial de cette école, l'Espagnol Ferran Adria, vient d'ailleurs d'annoncer la fermeture provisoire de son restaurant El Bulli en 2013 et 2014 afin de se «ressourcer» dans la création.

«À mon sens il y a des limites dans l'expression culinaire, c'est à dire qu'on ne peut pas aller trop loin dans la transformation et dans l'expression du cuisinier», a expliqué à l'AFP Michel Troisgros, patron de la Maison Troisgros à Roanne (trois étoiles au guide Michelin.

«Il y a eu, même dans la cuisine classique des manies, des techniques, des présentations, des stupidités, des aberrations, des excès, des méconnaissances», dit-il.

Partisan d'une plus grande attention portée au produit, il explique avoir récemment «rencontré des producteurs de caviar, en Espagne à Grenade (sud)».

«C'est la première fois de ma vie que j'ai vu un élevage d'esturgeons, que j'ai pu voir le caviar extrait de la bête», souligne le chef, décrivant cette expérience comme «merveilleuse».

«Maintenant quand je fais des endives au caviar, je sais d'où vient le caviar, qu'il est biologique, et je sais que l'endive vient de mon producteur local, je connais les hommes et le produit», poursuit-il.

«Nous n'en sommes encore qu'à un stade initial, mais c'est une tendance qui va s'imposer, pas seulement dans la haute gastronomie», prédit-il.

Même tonalité chez Alain Ducasse, à la tête d'un empire international de restauration et de trois restaurants cumulant neuf étoiles au Michelin, un à Monaco, un à Paris et un promu tout récemment, le «Alain Ducasse at The Dorchester» à Londres.

«J'ai arrêté le thon rouge il y a trois ans dans mes restaurants. Il y a longtemps que j'ai commencé à faire attention à acheter des poissons qui ne sont pas en voie de disparition, à des petits producteurs», a-t-il expliqué.

Pour lui, les cuisiniers ont aujourd'hui «un rôle de leaders d'opinion dans ce domaine» et doivent «prendre conscience que s'ils veulent continuer à travailler longtemps il faut protéger la planète».

Il explique avoir accepté cette année de participer à Madrid Fusion parce que pour «la première fois on y parle de produits, de producteurs, de développement durable, de la planète, de choses que je soutiens depuis tellement longtemps».

Pendant ce congrès, plusieurs cuisiniers qui se sont succédé sur scène pour faire des démonstrations sont allés dans le même sens.

L'Italien Igles Corelli a ainsi proposé de la truffe blanche et oeufs biologiques dans de la pâte filo, défendant l'utilisation de produits authentiques.

Le japonais Yoshihiro Narisawa a inclus dans ses ingrédients de la sciure de cèdre japonais. Tout aussi original, le jeune chef montant espagnol Andoni Luis Aduriz, fait baigner ses salsifis et topinambours dans de l'eau et de la chaux avant de les faire cuire.