Face à la pression de la notoriété et la course aux étoiles, plusieurs grands chefs jettent l'éponge, abandonnant leur restaurant ou s'éloignant un temps à l'instar de l'Espagnol Ferran Adria, qui a annoncé la fermeture provisoire de son restaurant El Bulli.

Pape de la cuisine avant-gardiste espagnole, le chef catalan, dont la cuisine «moléculaire» a fait couler beaucoup d'encre, avait acquis trois étoiles au guide Michelin.

Il a fait part de sa lassitude de devoir travailler 15 heures par jour: «C'est comme si on demandait à Galliano (le grand couturier britannique, ndlr) d'aller à l'usine». Il a annoncé la fermeture provisoire de son restaurant en 2012 et 2013, le temps de se ressourcer.

Une nouvelle qui ne surprend pas Patrick Jeffroy, deux étoiles au Michelin, dont le restaurant se trouve à Carantec (Finistère, France), et qui raconte avoir eu «plaisir à rencontrer ce créateur fantastique il y a 12 ans».

«Mais plus que la pression des étoiles, c'est ce tourbillon dans lequel on est aspiré, pour faire toujours mieux, pour ne jamais décevoir le public, qui est pesant. C'est 18 heures par jour, midi et soir, le dérapage qui peut arriver très vite en cuisine...On est responsable de toute la chaîne...Quand c'est raté, on est atteint.», confesse-t-il.

«Je lui tire mon chapeau, il a créé une cuisine qui a révolutionné le XXIème siècle, même si je n'y ai jamais vraiment adhéré, préférant croquer et manger les produits», raconte le chef breton, 42 ans d'expérience en cuisine à son actif et qui dit «ne pas pouvoir imaginer» d'arrêter son activité.

Avant Ferran Adria pourtant, plusieurs autres grands chefs ont préféré renoncer à la course aux étoiles.

Olivier Roellinger a fermé son restaurant trois étoiles à Cancale en 2008 à 53 ans. Fatigué physiquement et souhaitant «partager avec un plus grand nombre» sa passion.

Alain Senderens, chef du Lucas Carton à Paris, a également renoncé aux trois étoiles que le guide Michelin lui accordait depuis 28 ans, en 2005. «Ce que je veux c'est mettre moins de service, moins ampoulé et plus sympa, plus en prise directe avec l'air du temps», confiait-il, disant aussi vouloir «troquer le bar contre la sardine».

En 2006, c'est Antoine Weestermann qui avait rendu son tablier pour ouvrir comme Senderens une adresse plus accessible.

Pour Guy Savoy, autre grand-chef à la renommée mondiale, «la décision du chef catalan est sans doute personnelle et on n'a pas tous les éléments pour comprendre». Toutefois, il ne partage pas l'avis de beaucoup de ses confrères : «je travaille aussi 15 heures par jour. Je prends un immense plaisir, arrêtons de dire que nos métiers sont des supplices ! Je ne vis pas mon métier comme un bagne. Paul Bocuse est trois étoiles depuis des décennies !».

Joël Robuchon, qui a renoncé lui aussi à ses trois étoiles en 1996, après avoir été gratifié du titre de «cuisinier du siècle», voyait souvent le chef catalan. «Il disait, raconte-t-il, +tu as eu raison. je te promets je m'arrêterais+». «Je ne savais pas qu'il le ferait si vite. Il y a eu toutes ces attaques contre la cuisine moléculaire...ça fatigue».

«Moi maintenant je n'ai plus de pression, avant j'étais toujours tendu, anxieux», poursuit-il.

«Arriver a ce niveau ce n'est pas facile. Maintenant, je fais ce que j'ai envie de faire, je ne m'occupe plus de ce qu'on dit, je suis un homme libre», conclut-il.

Pour le critique gastronomique François Simon, qui qualifie de «bagne de luxe» les établissements trois étoiles, le choix du cuisinier catalan est «cohérent», le choix de ceux «qui ont l'élégance d'être en accord avec eux-mêmes».