Le pape de la gastronomie d'avant-garde, le chef catalan Ferran Adria, a annoncé mardi la fermeture en 2012-2013 du restaurant El Bulli (trois étoiles au Michelin) qui a forgé sa renommée mondiale, le temps de se ressourcer dans la création pour rebondir en 2014.

«On ne servira pas de repas à El Bulli en 2012 et 2013. Mais El Bulli ne ferme pas» définitivement, a lâché Ferran Adria, 47 ans, les traits tirés, lors d'une conférence au congrès de haute gastronomie Madrid Fusion.Son restaurant El Bulli, situé sur le littoral de la Catalogne (nord-est) à Cala Montjoi, près de Barcelone, a été classé à plusieurs reprises «meilleur restaurant du monde» par la revue britannique Restaurant.

«Ce ne seront pas deux années sabbatiques, j'ai besoin de temps pour décider comment sera l'année 2014. Nous voulons marquer cette année 2014». L'année 2014 coïncidera avec le 30e anniversaire de sa nomination comme co-chef de cuisine de El Bulli.

«Quand je reviendrai, ce ne sera pas pareil», a-t-il promis.

Ferran Adria a exprimé sa lassitude de devoir travailler 15 heures par jour: «C'est comme si on demandait à Galliano (le couturier britannique) d'aller à l'usine».

De nombreux grands chefs ont éprouvé avant lui l'angoisse permanente de se maintenir année après année au firmament étoilé du Michelin, à l'instar du Français Bernard Loiseau, qui s'était suicidé en 2003.

Ferran Adria a reconnu que son retrait allait lui faire perdre ses étoiles et autres récompenses: «J'ai beaucoup de respect pour les guides et quand on s'en va, on s'en va». Mais «il est impossible avec le format actuel d'El Bulli de continuer à créer».

Sur le site internet du restaurant, un communiqué intitulé «El Bulli fait un pas en avant» explique que pendant ces deux années d'interruption, Ferran Adria animera «deux centres créatifs», afin de «programmer et préparer le nouveau format pour les années à venir».

Le chef catalan a révolutionné la haute gastronomie depuis le milieu des années 1990, avec sa cuisine moléculaire, en développant une gamme de gélifiants, d'épaississants, d'émulsifiants et de kits à base d'éléments naturels pour reproduire ses recettes, qui lui vaut aussi des détracteurs.

L'utilisation, dans ses préparations, d'additifs ne fait pas l'unanimité auprès des autres cuisiniers, dont certains s'inquiètent de voir son exemple de plus en plus imité par des chefs moins talentueux et moins scrupuleux.

Ferran Adria a ainsi été au centre d'une controverse en Espagne en 2008, lancée par un autre chef trois étoiles catalan, Santi Santamaria, qui lui reprochait de «remplir les assiettes de gélifiants et d'émulsifiants de laboratoire» présentant un «problème pour la santé publique».

Dans l'industrie alimentaire, l'usage d'additifs est soumis à une réglementation très stricte, mais pas dans la restauration.

Avant d'annoncer sa parenthèse professionnelle, Ferran Adria avait effectué à Madrid Fusion un show de présentation de sa carte 2009, montrant les différentes étapes sur un écran vidéo d'un «dos de lièvre aux fruits rouges», d'un «cannelloni de cèpes» ou encore d'un «cocktail solide» à base de canne à sucres.

Le chef basque Juan Mari Arzak, dont le restaurant affiche également trois étoiles au Michelin, ne doute pas qu'Adria, «qui n'a jamais travaillé comme un ouvrier», sortira régénéré de ses deux années de réflexion créative.

«C'est El Bulli. Et il fera des choses que personne ne peut encore imaginer. C'est lui qui a organisé la recherche (dans la cuisine mondiale) et il continuera de penser et de créer», a déclaré à l'AFP M. Arzak.