Les escargots sont arrivés au Québec avec la cuisine française classique. Avec la soupe à l'oignon gratinée et le boeuf bourguignon. Les cuisinières audacieuses apprêtaient leurs escargots avec beaucoup de beurre. Et autant d'ail. Dans son Encyclopédie de la cuisine canadienne, édition 1963, Jehanne Benoît ne propose qu'une seule recette d'escargot: beurre, échalote, ail, persil, sel et poivre.

«On les faisait même parfois à la margarine à l'ail!» rappelle le restaurateur Jean-François Plante. Ce qui fait qu'on est resté avec cette idée de petites bêtes très caoutchouteuses dont le seul goût venait de l'ail. Et on a cessé d'en manger. Dans son livre Bistro, le propriétaire des deux restaurants L'Aromate n'a pas hésité à se lancer dans une réhabilitation de l'escargot. «Travaillé intelligemment, il donne des résultats très intéressants», dit-il. Il utilise des escargots en conserve. Pratique et très bon marché. Une fois la conserve ouverte, la seule limite est l'imagination. Plante aime bien les faire macérer dans l'alcool. Utiliser ensuite cet alcool pour en faire une sauce qui, dit-il, contiendra aussi les arômes d'escargots. «Ils deviennent très moelleux», précise-t-il. Et pour pousser l'audace, il propose dans son recueil de servir escargots et os à la moelle. Esthétiquement magnifique, mais tout de même surprenant.

 

Jean-François Plante travaille maintenant un plat d'escargots braisés dans le vin rouge, avec des lardons de pancetta qu'il servirait sur un pain brioché aux fines herbes, pour ses salles à manger.

Les Québécois sont-ils prêts à remettre le joli gastropode au menu? «Oui, répond-il, sans hésitation. Plus on va le cuisiner et le présenter dans des sauces qui lui rendent justice, plus on va en manger. On en voit de plus en plus aux menus des restos. Je crois vraiment qu'il est en voie de réhabilitation.»

Les cuisiner plus, mais mieux

L'important avec les escargots, explique de son côté le chef Thierry Baron, c'est de ne pas essayer de masquer son goût boisé. Au contraire, dit le proprio du Vertige, il faut le célébrer. Et s'amuser avec les textures pour arriver à ce que dans la bouche, son côté moelleux soit encore plus mis en valeur avec un croustillant qui se trouve dans un tout autre registre.

Preuve à l'appui, cette bouchée d'escargot tempura, sauce coco-curry faite de fumet de poisson et de vin blanc qu'il a préparée spécialement pour confondre les sceptiques. La pâte est légère, elle est composée de farine de riz, de blancs d'oeufs, d'un soupçon d'ail et de sel. Le contraste est frappant, mais le goût, délicat.

Le truc, dit-il, est d'abord de revigorer la bête dans un court-bouillon (qu'elle soit congelée ou en conserve). Juste pour dire. Moins d'une minute pour détendre les chairs. Question texture. Ensuite, il faut s'amuser pour lui donner du goût. Par exemple, avant d'être camouflé dans un ballotin de pâte filo, l'escargot est saucé dans un beurre aux herbes. Encore une fois, la texture de la pâte vient contrebalancer celle de l'escargot.

Bien sûr, à la carte, il sert ses escargots au beurre à l'ail. Un classique. «Mais il faut bien le faire, dit-il. Il faut blanchir l'ail pour ne pas couvrir le goût de l'escargot.» Parfois, il met au menu un plat de gnocchis avec des cèpes et des escargots, ces deux derniers ayant un goût de sous-bois qui se marie à merveille, dit-il. «Il y a un million de recettes à faire avec l'escargot. L'important est de ne pas se laisser intimider», dit le jeune chef

Baron est né en France. Les escargots, il connaît. Petit, il les ramassait en forêt. «On y allait après la pluie et c'était comme aller aux champignons. C'était une fête!»

Son collègue chef et coproprio du Vertige, Johnny Zaki, aime aussi les petits mollusques, mais à sa façon. Le chef est né à Alexandrie et est d'origine grecque. «Partout autour de la Méditerranée, on mange des escargots», dit-il. Et chacun s'approprie la petite bête. Lui n'hésite pas à le déposer sur un lit de vermicelles kadaïf. La pâte filo, c'est aussi son inspiration grecque. L'escargot est au menu du régime crétois, rappelle-t-il. Et ce régime est célébré partout sur la planète, depuis qu'on a remarqué que ceux qui le mangent vivent en santé et longtemps. Peut-être que l'escargot a quelque chose à y voir...

 

Photo: François Roy, La Presse

Un élevage très délicatSale temps pour les escargots: les récoltes ont été plutôt moyennes ces dernières années en France, et les producteurs français souffrent énormément de la concurrence des pays de l'Est et de l'Asie, où les petits mollusques de terre coûtent beaucoup moins cher.

On ne parle pas encore de crise, mais au début du mois, une partie des éleveurs de l'Hexagone se sont donné rendez-vous dans l'île de Ré pour faire une espèce d'états généraux de l'escargot. Une rencontre en haut lieu de l'héliciculture - la culture des escargots - pour trouver des solutions à la délicate situation qui a déjà mené à une augmentation du prix du petit mollusque.

Au Québec, on trouve des escargots vivants marocains, parfois. Interdit d'en importer des vivants d'Europe. Quelques courageux ont tenté l'expérience de l'élevage d'escargots ici, mais apparemment, le petit gastéropode tolère mal l'hiver québécois. Le ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation n'a aucun héliciculteur à son registre.

On peut alors en dénicher des congelés, mais assez difficilement. En cuisine, la conserve reste la norme. Les escargots offerts ici viennent surtout d'Indonésie, bien qu'on en trouve aussi de France, plus rares et plus chers. Surtout s'il s'agit d'escargots sauvages.

Et le goût? Assez semblable, finalement. Que l'escargot soit d'élevage ou sauvage. De France ou d'Asie. Tout est dans la façon de le travailler, vous diront les chefs qui l'ont dompté en cuisine.

Il y a entre 300 et 800 producteurs d'escargots en France. Si l'estimation est si imprécise, c'est que la taille des élevages varie grandement. Cela va du tout petit producteur qui fait des escargots parmi d'autres cultures, presque pour le plaisir et la consommation de la famille. Et il y a de grandes fermes d'élevage. Elles ressemblent, à première vue, à des champs ou des serres de légumes tout ce qu'il y a de plus ordinaire. En y regardant de plus près, on y aperçoit les milliers d'escargots. Ils sont tenus à l'intérieur par une clôture électrifiée qui leur rappelle les limites à ne pas dépasser.

Il y a plusieurs espèces d'escargots. Le type hélix compte les populaires petit-gris, gros-gris et l'escargot de Bourgogne. Ce sont les plus répandus en France. Ceux qui viennent d'Asie et qu'on trouve plus communément ici sont les achatines.

En France, ils sont plus rares sur le marché. «Ça ne plaît pas aux consommateurs français, mentionne Jean-Claude Bonnet, spécialiste de l'héliciculture. D'ailleurs, on ne les nomme pas escargots en France.»

Les Français mangent surtout des escargots locaux et des escargots des pays de l'Est, poursuit celui qui a dirigé durant 25 ans l'unité escargot de l'Institut national de recherche en agronomie de France, référence mondiale en la matière. Le prix des escargots d'Europe de l'Est a toutefois monté dernièrement, explique M. Bonnet, car la main-d'oeuvre bon marché qui ramassait les espèces sauvages se désintéresse de la cueillette en bois, au profit d'activités plus lucratives.

«En France, la production et la consommation d'escargots est constante, mais stationnaire, poursuit-il. On en mange à Noël, au jour de l'An et à Pâques. Ça reste un repas de fête.»

Mais, les temps ayant changé, la plupart des consommateurs achètent leurs escargots en prêt-à-manger. «Il ne reste qu'à les mettre au micro-ondes!» dit Jean-Claude Bonnet, une pointe d'amertume dans la voix.

C'est que les gourmets qui utilisent les escargots vivants ont du boulot. L'opération n'est pas simple. Le cuisinier doit les faire jeûner une dizaine de jours. Puis, il les arrose de sel et de vinaigre pour - coeurs sensibles s'abstenir - les faire baver à mort. D'où l'importance de bien rincer les petits-gris avant de passer à l'étape cuisine, pour les libérer des excès de substances muqueuses.