Mais d'où vient la malbouffe, cette nourriture du diable, divinement bonne pour le moral? Chose certaine, ses icônes ont fait leurs preuves et continuent d'inspirer certains chefs, qui en produisent des versions maison. Dans cette série, notre journaliste Ève Dumas retrace les origines de quelques grands classiques.

À 15 ans, Rémy Couture avait déjà le sens de l'entrepreneuriat gourmand. Pour gagner un peu d'argent de poche, il vendait des «turtles» maison et des barres de corn flakes trempées dans le chocolat - «une recette de Coup de pouce 1985!» Il avait un faible pour ce qu'il appelle la «junk de luxe».

À la pâtisserie Crémy, ce faible prend aujourd'hui la forme de beignes aux garnitures nostalgiques, mais aussi de tentants carrés qui rendent hommage au Ah Caramel et, surtout, de belles «pucks» chocolatées inspirées du Jos Louis.

Il y aura toujours une place dans notre coeur... et dans notre ventre pour les nourritures de l'enfance. Dans le cas des pâtisseries Vachon, cette enfance remonte souvent à loin, constate Rémy Couture. La clientèle qui achète ses Joe Crémy et ses petits pavés au caramel écossais est plus âgée. «Ce sont surtout les gens de 35-40 ans et plus qui sont attirés par ça, je dirais», constate le pâtissier. Il est vrai que le May West et le Passion Flakie sont moins présents dans les boîtes à lunch des jeunes, de nos jours.

C'est à la boulangerie Arhoma que le Joe Couture a vu le jour. Il y est d'ailleurs toujours offert. Lorsqu'il a quitté la boutique d'Hochelaga pour ouvrir Crémy, en 2011, le pâtissier a rebaptisé son petit gâteau rond.

Il a même voulu réaliser le plus gros «Jos Louis» du monde pour le simple côté ludique de la chose. Un peu naïvement, Rémy avait écrit une lettre à Saputo, propriétaire de Vachon à l'époque, pour demander à l'entreprise si elle voulait l'appuyer dans cette décadente aventure. C'est le service juridique qui a répondu! On ne badine pas avec les grandes marques de commerce. Une autre pâtissière montréalaise, qui s'inspirait du gâteau Deep'n Delicious de McCain, l'a appris cet hiver. Même le Pied de Cochon a eu des démêlés avec Campbell's, dans le passé...

L'histoire d'une icône

Un des fils Vachon, Paul, a étudié la mécanique fixe à Chicago, ce qui permettra à l'entreprise familiale d'innover constamment. C'est le 24 juin 1933 qu'il aide sa mère, Rose-Anna Giroux, femme de Joseph-Arcade Vachon, à mettre le Jos Louis au monde. La dame souhaite distribuer des petits gâteaux aux enfants de Sainte-Marie-de-Beauce.

«À ce moment, le Jos Louis n'est pas recouvert de chocolat, il est seulement composé de deux morceaux de chocolat divisés par une crème Marianne. La création du Jos Louis a peut-être débuté en 1933, mais le nom de Jos Louis lui a été donné seulement en 1939», peut-on lire dans un document de la Maison J.-A. Vachon et tiré du livre Le rêve de Rose-Anna Vachon. Il vient des deux têtes fortes de la famille de 11 enfants: Joseph et Louis.

«Fait intéressant, les gens associaient le nom du gâteau au célèbre boxeur américain de l'époque qui portait ce nom. Pour éviter toute confusion du genre, on a finalement décidé de mettre un "&" entre les noms de Jos et de Louis», peut-on lire dans le même document.

Rapidement, le petit gâteau chocolaté devient l'un des plus aimés de toute la collection Vachon. La boulangère-pâtissière les fait d'abord cuire dans des couvercles de poudre à lever, huit à la fois. Ils sont plongés dans le chocolat manuellement, un à un.

Éventuellement, le volet «gâteaux» de Vachon commence à rapporter beaucoup plus que le côté boulangerie, si bien que la famille déménage ses activités dans une ancienne usine de chaussures, puis décide de se consacrer uniquement aux petits péchés sucrés.

Dans les années 40, les pâtisseries sont distribuées un peu partout au Québec, en Ontario, aux bases militaires de Halifax et Vancouver et même en Nouvelle-Angleterre. Il y a eu jusqu'à 110 produits différents dans le répertoire de l'entreprise de Beauce. Aux États-Unis, la société Hostess a commencé à produire le Ding Dong (d'abord appelé Big Wheel), un gâteau très semblable au Jos Louis, en 1967.

Vachon a continué de prendre de l'expansion au fil des décennies, jusqu'à ce qu'elle soit intégrée au groupe Saputo en 1999. Celui-ci a payé la somme de 283 millions pour acheter Culinar (alors propriétaire de Vachon). La division boulangerie de Saputo fut finalement vendue à des intérêts mexicains (Grupo Bimbo S.A.B.), en 2014, pour la modique somme de 120 millions.

Dans la cuisine

Le Jos Louis n'est pas un gâteau au chocolat, mais un gâteau de type red velvet, avec très peu de cacao. Sa forme s'apparente au whoopie pie (recette typique de la Nouvelle-Angleterre). N'oublions pas que Paul Vachon avait fait ses études aux États-Unis. Peut-être s'y était-il entiché de pâtisserie à l'américaine?

Le glaçage blanc est aujourd'hui fait de substances laitières modifiées et d'autres ingrédients figurant sur une liste de 22 éléments. Le tout est trempé dans un «chocolat» de qualité discutable.

Dans leur cuisine de l'avenue du Mont-Royal Est, Rémy Couture et son équipe font un red velvet maison, une mousse au chocolat blanc et vanille, et plongent la rondelle dans du chocolat noir à 70 %. «On a tout simplement voulu proposer une version moins sucrée et, disons-le, juste meilleure!»

Pour être efficaces, les pâtissiers de Crémy ne font pas cuire les gâteaux dans des couvercles de poudre à lever, huit à la fois, comme le faisait Rose-Anna Giroux, en 1933. On utilise plutôt de grandes plaques, des cadres et des emporte-pièces. Il y a entre 200 et 300 rondelles qui sortent de la cuisine chaque semaine. Le mini-Joe Crémy, qui se mange en deux bouchées, figure au menu traiteur. On en produit parfois jusqu'à 600 dans une semaine, pour des événements. Et toujours, ils s'envolent comme des petites pucks chaudes!