Il y a des traditions plus fortes que d'autres. Le sapin de Noël. La bûche. Et la maison en pain d'épices, prétexte par excellence pour rassembler toute la famille et lancer la saison des Fêtes.

L'ARCHITECTE EN PAIN D'ÉPICES

Quarante? Cinquante? Plus encore? Jean Cantin a perdu le compte au fil des ans. Il avait 8 ans, «peut-être 10», quand il a fabriqué sa première maison en biscuits pour Noël. Il en a 69 aujourd'hui. «Je n'oserais pas dire que j'en ai fait chaque année... Il y a eu quelques exceptions, mais pas beaucoup!», lance-t-il en relevant la tête, satisfait de son bilan de pâtissier amateur.

Ce matin-là, le temps est gris et mouillé, Noël est encore bien loin, mais il règne déjà une ambiance des Fêtes chez les Cantin. La radio diffuse de vieux classiques qu'on ne se permet généralement qu'en décembre. La table est recouverte de bonbons, des rouges et des verts, des brillants, petites bombes de sucre qui commencent à produire un effet certain sur Pavel (12 ans), Mirko (10 ans) et Harold-Philippe (bientôt 3 ans). Les trois cousins tournent autour de la table en riant de plus en plus fort. Ils ont les joues rouges. L'oeil brillant. Jean Cantin les rappelle doucement à l'ordre. «Les garçons, faites attention! Il faut que ce soit beau.» Devant lui, objet de fierté, repose une maison qui sera bientôt entièrement recouverte de biscuits en pain d'épices et de bonbons. Jean Cantin sourit. Il n'a plus 69 ans, plutôt quelque part entre 8 et 10 ans, cet âge où un article du journal local qui expliquait comment construire une maison de bonbons est tombé entre ses mains habiles. «On allait dans la parenté, j'ai décidé de reproduire la maison de la tante qui nous recevait», se rappelle-t-il. On l'a félicité. Alors il a récidivé l'année suivante. Puis encore et encore, presque sans interruption jusqu'à ce jour, pour ses enfants d'abord et ses petits-enfants maintenant.

«On est toujours curieux de voir à quoi ressemblera sa maison», dit son fils Jean-François. Cette année, c'est la demeure de sa fille Geneviève qu'il a reproduite, un modèle pas si simple, inspiré des chalets alpins, avec cheminée, balcon et escalier extérieur, rien de moins. Fidèle à son habitude, Jean Cantin a préparé la structure de sa maison en carton épais, solide, plutôt qu'en biscuits. C'est plus résistant, et plus facile d'assembler du carton que des biscuits dont la taille varie à la cuisson, explique-t-il. Et d'un grand format. Elle est au moins deux, si ce n'est trois fois plus grande que celles qui sont proposées dans les kits en boîte. Le toit est recouvert de tuiles en biscuits tandis que les murs sont tapissés de meringue sur laquelle on colle directement les bonbons et les personnages en pain d'épices.

Jean Cantin a un faible pour les bonbons emballés, surtout les pères Noël en chocolat aux couleurs vives, qui ne risquent pas de s'assécher. «Il ne faut pas juste que ce soit beau, il faut que ce soit bon!», précise-t-il.

Beaucoup de bonbons

«On n'a pas le droit d'en manger avant Noël», se plaint Mirko, sans trop insister: les enfants profitent amplement de la conception de la maison pour avaler les bonbons à la chaîne, avec un ratio consommation directe/décoration qui frise le 1 pour 1. La structure en carton permet les essais et les erreurs: on colle, on décolle, on recolle pour trouver la composition la plus jolie. Jean Cantin travaille méticuleusement. Il a même acheté ces petites spatules utilisées par les artistes peintres pour appliquer le glaçage jusque dans les recoins les plus difficiles d'accès.

Les enfants, qui ne manquent pas d'imagination, bousculent un peu leur grand-père dans ses habitudes. Ils utiliseront des guimauves pour faire des bonshommes de neige, puis une patinoire avec des guimauves trempées dans quelques gouttes de colorant alimentaire bleuté. Car oui, il faut aussi décorer le terrain de la maison. On fera des sapins de Noël avec des cornets de crème glacée nappés de glaçage vert qu'on saupoudre copieusement de paillettes de sucre blanc. «Le secret d'une belle maison, c'est qu'il y ait beaucoup de bonbons, et de beaux bonbons», explique Jean Cantin. Pas d'objection des petits-enfants sur ce point.

Au total, ils passeront plus de deux heures à décorer la maison. Jean Cantin a mis autant de temps à construire la structure de carton. «L'an dernier, on l'a toute mangée le 25 décembre», se rappelle Pavel. «C'est beaucoup de travail, mais c'est tellement beau, et ça décore la maison pendant presque un mois!», insiste Jean Cantin. Derrière lui, son fils Jean-François regarde la scène en souriant: c'est surtout un beau moment en famille.

«Il faut comprendre que Noël, chez nous, c'est quelque chose de gros!», insiste Jean-François. La liste des préparatifs des Fêtes chez les Cantin est longue: la variété de bonbons cuisinés par Jean pour offrir aux proches, les bas de Noël, le sapin géant chez Geneviève, la musique et l'immense village de Noël qui accapare une partie du sous-sol. «Ça fait tellement partie de nous, raconte Jean-François. On a transposé chez nous plusieurs des traditions: je fais un village de Noël chez moi maintenant, même si je me limite un peu en attendant que mon fils grandisse.»

Visiblement, Jean Cantin n'en est sûrement pas à sa dernière maison en bonbons et sa tradition n'est pas à la veille de se perdre. Il y a de la relève dans cette famille à l'esprit de Noël épanoui.

Photo Édouard Plante-Fréchette, La Presse

Première étape: la famille décore le toit de la maison avec les biscuits.

GUIDE PRATIQUE

Quelques suggestions pour trouver tout ce qu'il faut pour une maison en pain d'épices de rêve.

Accessoires

> Ares cuisine, pour les emporte-pièces de toutes sortes et les douilles pour le glaçage. Plusieurs adresses

https://www.arescuisine.com/fc/

> Lee Valley (oui, la quincaillerie!), pour des tampons à l'ancienne destinés à imprimer des motifs (étoile, flocon), directement sur la pâte, de même que pour les outils (spatule, pelle) pour appliquer le glaçage (on en trouvera aussi chez Omer DeSerres et autres boutiques de matériel d'artistes).

1600, boulevard le Corbusier, Laval

http://www.leevalley.com/fr/hardware/index.aspx

Décorations

> Oscar: une adresse formidable pour trouver de jolis bonbons, d'antan ou d'ailleurs, du plus banal au plus rare. On a ici affaire à des pros: Oscar a été fondée en 1929! Deux adresses à Montréal.

- 3755, rue Ontario Est, Montréal

- 6356, rue Saint-Hubert, Montréal

https://oscar.qc.ca/

> La Guilde culinaire, pour une grande variété de colorants alimentaires aux couleurs vives, des paillettes dorées et autres petits extras de l'ordinaire.

6381, boulevard Saint-Laurent, Montréal

https://www.laguildeculinaire.com/

Épices

Épices de cru. La qualité d'un pain d'épices repose évidemment sur la qualité des épices qui seront utilisées. Pour ce, on va faire ses emplettes chez de grands connaisseurs: Épices de cru, directement au marché Jean-Talon, à Montréal, ou dans l'un de leurs nombreux points de revente.

https://epicesdecru.com/

Photo Édouard Plante-Fréchette, La Presse

CUISINER AVANT DE CONSTRUIRE

Des recettes pour réaliser soi-même sa maison en pain d'épices.

Pains d'épices

Pour deux douzaines de biscuits moyens

Ingrédients

- 875 ml de farine tout-usage

- Une pincée de sel

- 5 ml de poudre à pâte

- 10 ml de gingembre moulu

- 10 ml de cannelle moulue

- 5 ml de quatre-épices

- 5 ml de clou de girofle moulu

- Une pincée de poivre blanc moulu

- 225 g de beurre non salé, en pommade

- 180 ml de cassonade, tassée

- 125 ml de mélasse

- 1 oeuf

Préparation

1. Dans un grand bol, mélanger les épices, la farine et la poudre à pâte. Réserver.

2. Blanchir le beurre et la cassonade au batteur, dans un autre bol, jusqu'à ce que le mélange devienne léger et clair (deux minutes environ). Ajouter la mélasse, puis l'oeuf, jusqu'à ce que la pâte soit bien homogène.

3. À vitesse réduite, incorporer à petites doses la farine épicée pour former une pâte souple.

4. Envelopper la pâte dans une pellicule alimentaire, placer au réfrigérateur de quelques heures à une nuit entière (la pâte peut être faite jusqu'à 2 jours avant son utilisation).

5. Préchauffer le four à 180 °C (350 °F) et préparer deux tôles à biscuits, recouvertes de papier parchemin. Abaisser la pâte sur une surface farinée: la pâte doit avoir une épaisseur d'environ 5 mm au maximum (des biscuits plus épais seront plus moelleux, mais aussi plus difficiles à faire tenir sur la maison). Pour faire le toit de la maison, tailler au couteau des tuiles d'environ 3 cm sur 5 cm, en prenant soin de les espacer sur la tôle à biscuits parcheminée. Tailler aussi des bonshommes, des sapins, etc., pour décorer la maison.

6. Cuire les biscuits une dizaine de minutes. Laisser refroidir complètement sur une grille. Répéter avec le restant de pâte.

Glaçage royal

Ingrédients

- 3 blancs d'oeufs

- 1/4 de c. à thé de crème de tartre

- 3 tasses de sucre à glacer

- Colorant alimentaire, au goût

Préparation

1. Monter les blancs d'oeufs en neige. Mélanger la crème de tartre avec le sucre à glacer. Ajouter graduellement aux blancs d'oeufs. Verser quelques gouttes de colorant, au choix. Le glaçage tiendra mieux s'il est utilisé juste après sa fabrication et doit être recouvert d'un film alimentaire rapidement pour éviter qu'il ne sèche si les pâtissiers prennent une pause. Répéter au besoin.

4500 ans de pain d'épices

Popularisée au XIXe siècle avec le conte Hansel et Gretel, la maison en pain d'épices a des origines bien plus anciennes encore qu'on ne le soupçonne souvent. La première recette de pain d'épices a été retracée en 2400 avant Jésus-Christ, même s'il faut plutôt attendre au Moyen Âge pour qu'on en fasse de petites oeuvres d'art. On attribue à la reine Élisabeth Ire l'idée de cuire des biscuits épicés ayant la forme des dignitaires lui rendant visite, parfois même décorés de feuille d'or, une pratique qui s'est répandue petit à petit dans la population en Angleterre, en France et en Hollande au fil des ans, alors que les biscuits prenaient la forme de fleurs, d'oiseaux, etc., et étaient offerts comme porte-bonheur. Les premières maisons en pain d'épices comme telles sont apparues au XVIe siècle.

Source: Making Gingerbread Houses, de Rhonda Massingham Hart

Photo Edouard Plante-Fréchette, La Presse

Pour obtenir une maison en pain d'épices suffisamment solide, les biscuits ne doivent pas être trop épais.