Quand c'est votre conjoint ou votre mère qui cuisine, c'est systématiquement plus savoureux que lorsque c'est vous qui êtes aux fourneaux, et ce, même si vous suivez les recettes à la lettre ? Les chefs Danny St Pierre et Pasquale Vari ainsi que les nutritionnistes Geneviève O'Gleman et Mario Lalancette vous expliquent pourquoi.

D'où vient la déception ?

LA RECETTE

> Pasquale Vari, chef enseignant à l'Institut de tourisme et d'hôtellerie du Québec

La recette est-elle précise ?

Si le résultat d'une recette est insatisfaisant, ce n'est pas toujours la faute du cuisinier : la façon dont la recette est rédigée est souvent en cause, estime Pasquale Vari. La plupart du temps, se désole-t-il, les auteurs demandent de mesurer les ingrédients solides au lieu de les peser. C'est très imprécis, souligne Pasquale Vari, selon qui les solides - farine, viande, épinards, etc. - devraient être présentés en grammes. Des recettes omettent aussi de préciser le type de récipient à utiliser pour la cuisson. « On veut que la recette soit la plus claire possible et que la personne à la maison comprenne la philosophie derrière », résume M. Vari.

> Danny St Pierre, chef propriétaire du restaurant Petite Maison

Saisissez-vous l'intangible ?

Votre grand-mère vous a donné sa recette de gâteau, mais vous n'arrivez pas à reproduire le résultat ? Normal. « Dans les recettes, il y a quelque chose de très intuitif et tactile. Ta grand-mère, c'est sûr qu'elle a deux ou trois trucs qu'elle ne met pas dans sa recette. Elle ne le fait pas exprès ; c'est juste des affaires de gros bon sens. Il y a de l'intangible que les gens oublient d'écrire dans les recettes ou qu'ils n'expliquent pas assez bien », résume Danny St Pierre, qui rappelle qu'« une recette n'est pas une formule scientifique ».

> Geneviève O'Gleman, nutritionniste à Cuisine futée, parents pressés et coauteure de Famille futée 3

Avez-vous lu (et suivi) la recette ?

« Quand les gens font une recette pour la première fois, il faut vraiment la lire jusqu'au bout, même si on a plein d'expérience. Des fois, on réalise en cours de route qu'on n'a pas tout ce qu'il faut, qu'on n'a pas assez de temps ou qu'on ne comprend pas tout », énumère Geneviève O'Gleman, qui se souvient de cette dame qui ne connaissait pas le cidre... et qui a mis une tasse de vinaigre de cidre à la place. Ensuite, souligne-t-elle, il faut la suivre, cette recette, sans sauter (ou combiner) des étapes, sans monter le feu en pensant que ça va cuire plus vite, sans se faire croire que le beurre fondu aura le même effet que le beurre ramolli...

TECHNIQUES ET EXPÉRIENCE

> Pasquale Vari

Maîtrisez-vous vos techniques ?

La maîtrise d'une technique simple peut tout changer dans le résultat définitif. Pasquale Vari donne l'exemple de cette fois où sa femme était déçue du goût de sa sauce tomate, pourtant réalisée avec les bons ingrédients. Au lieu de faire suer les oignons (une étape qui devrait durer 20 minutes), elle les avait simplement colorés. « C'est un détail qui fait en sorte que le suc de l'oignon n'est pas sorti et le goût de l'oignon ne s'est pas mélangé dans l'huile », explique-t-il. Ces techniques s'acquièrent avec la pratique, avec des démonstrations, mais aussi avec de bons cours, dit-il.

> Danny St Pierre

Jouez-vous dans la bonne ligue ?

« Si tu joues trois accords de guitare, ne t'achète pas une méthode de flamenco en pensant que ça va marcher », lance Danny St Pierre, qui invite les gens à s'attaquer à des recettes qui sont à leur portée, à opter pour des aliments qu'ils connaissent et à cuisiner avec des gens qui sont bons en cuisine. « Cuisinier, dit-il, c'est un métier d'artisan. Tu ne deviendras pas cordonnier demain matin. Ça va prendre du temps. Chaque métier nécessite de la main et de l'oeil. Les heures mises sur le métier, ce n'est pas une fantaisie. »

> Geneviève O'Gleman

La recette est-elle à votre portée ?

Il y a des recettes simples, qui accompagnent les utilisateurs étape par étape, et il y en a d'autres, plus complexes, qui s'adressent à une clientèle expérimentée. « Il est fréquent que des gens qui ont peu d'expérience en cuisine s'attaquent à des recettes costaudes, techniques, qui requièrent un haut degré de contrôle, constate Geneviève O'Gleman. Si on n'a pas l'habitude de cuisiner et qu'on s'attaque à des recettes trop compliquées, le degré de difficulté augmente et le risque de se tromper aussi. »

PRODUITS ET INSTRUMENTS

> Pasquale Vari

Vos aliments sont-ils frais ?

« Si je vais chez le poissonnier et que j'achète du poisson qui n'est pas tout à fait frais, les enfants à la maison vont dire : "Papa, ce n'est pas bon." Déjà, on part avec une recette ratée », indique Pasquale Vari. Le consommateur devrait choisir les aliments avec attention. En épicerie, donne-t-il en exemple, il arrive qu'on vende des aubergines trop mûres ou encore qu'on fasse passer des cubes de viande à griller pour des cubes de viande à mijoter. Enfin, il faut opter pour les bons instruments, ajoute l'enseignant, qui déplore la surutilisation de la poêle en téflon (« on ne peut pas déglacer ! ») et la sous-utilisation du thermomètre de cuisson.

> Danny St Pierre

Maîtrisez-vous vos instruments ?

Quand on sait maîtriser les instruments, leur qualité a un impact sur le résultat définitif. « Par exemple, il y a une bonne différence entre utiliser un pied mélangeur et un mélangeur sur socle haute performance. Tu vas faire la même recette de soupe au chou-fleur et il y en a une des deux qui va te faire ressentir des émotions vraiment louches », résume Danny St Pierre. Mais il y a une limite à dépenser : rien ne sert d'acheter une poêle en cuivre à 575 $ si on fait toujours coller ses steaks et brûler son beurre, illustre-t-il. Quant à la fraîcheur des aliments, c'est un incontournable : « Si tes carottes sont fanées, jette tes carottes. »

> Geneviève O'Gleman

Un ingrédient est-il rance ?

« Si la personne utilise une poudre à pâte qui date de plusieurs années, c'est sur que le résultat va être décevant, résume Geneviève O'Gleman. Même chose pour les épices : quand on achète des épices en super quantité chez Costco et qu'on ne les utilise presque pas, elles vont perdre beaucoup de la saveur. Oui, ça va être fade. La chose qui nous arrive le plus, ce sont les huiles, les noix et les farines qui deviennent rances. L'odeur monte au nez. Ça va gâcher carrément la recette. » Idem pour les tomates granuleuses, les pêches dures, les citrons secs... « Ça ne va pas donner le même résultat. »

DES ERREURS FRÉQUENTES

Lors de l'exécution d'une recette, mille et une erreurs peuvent nuire au résultat. En voici quelques-unes énumérées par le nutritionniste Mario Lalancette, chef du service Nutrition de Sobeys Québec, et par le chef Danny St Pierre, propriétaire du restaurant Petite Maison.

SUBSTITUER LES INGRÉDIENTS

« Par exemple, si on a une recette qui demande un rôti de surlonge, on ne peut le remplacer par un rôti de palette. Le rôti de palette se prépare à cuisson lente, tandis que l'autre se fait griller. La substitution d'ingrédient, ça ne se fait pas toujours en criant ciseau. »

- Mario Lalancette

NÉGLIGER LA PRÉPARATION

« Avant de commencer sa recette, on peut mesurer et couper nos ingrédients et les mettre dans des petits bols. Comme ça, si j'ai besoin d'ajouter un oignon haché, je pourrai l'ajouter au bon moment et éviter que la préparation continue de cuire pendant que je le coupe. »

- Mario Lalancette

NE PAS GOÛTER

« Les gens ne goûtent pas en cuisinant, ils ne rectifient pas l'assaisonnement. Les chefs goûtent constamment ce qu'ils préparent ! Un peu plus de sel, un peu plus de poivre, plus de ci, plus de ça... Il faut se faire confiance ! »

- Mario Lalancette

FAIRE TROP CONFIANCE À SON FOUR

« Chaque four est différent. Souvent, les temps de cuisson sont donnés à titre indicatif. Vous pouvez mettre un thermomètre dans votre four pour vérifier si le four est bien à 400° quand on le met à 400°. »

- Mario Lalancette

BOUDER LE BEURRE ET LE SEL

« Du monde dit : "Ah ! non, moi, je ne mets pas de sel. Ah ! non, il y a trop de beurre là-dedans, je vais grossir." Eille ! Veux-tu que ce soit bon ? Mets moins de beurre sur tes toasts le matin et paie-toi la traite le soir : fais cuire ton steak dans du beurre, s'il te plaît. »

- Danny St Pierre

CRAINDRE LE FEU VIF

« Si on dit de mettre ton poêle à feu vif, ça ne veut pas dire de mettre ton poêle à feu moyen parce que toi, tu as peur de ça, le feu vif. Ça veut dire de mettre ton poêle à feu vif. »

- Danny St Pierre

DOUBLER, TRIPLER SES RECETTES

« Il y en a qui veulent doubler, tripler leur recette pour se faire des lunchs ou des collations. Ils vont simplement multiplier les ingrédients par trois. Mais ça ne marche pas toujours : par exemple, tout ce qui est épicé et les agents levains ne se multiplient pas comme ça. C'est une question de chimie alimentaire. »

- Mario Lalancette

TRANSFÉRER LE TOUT DANS LA MIJOTEUSE

« Des gens vont prendre leur recette de boeuf bourguignon ou d'osso buco qu'ils font dans le four et vont la faire dans la mijoteuse. Mais la mijoteuse, c'est un endroit hermétique : il faut que je diminue ma quantité de liquide si je veux que ça marche. »

- Mario Lalancette

CONFESSIONS D'UNE FILLE QUI RATE SES RECETTES

À la maison, c'est surtout son conjoint qui cuisine. Mais de temps en temps, quand son chum n'est pas à la maison ou quand elle a envie de lui faire plaisir, Marise Paradis se met aux fourneaux. Et le résultat la déçoit la plupart du temps. Confessions d'une fille de 38 ans qui n'aime pas cuisiner.

« J'ai déjà raté du Jell-O. Il y a trois ingrédients : la poudre, l'eau froide, l'eau chaude. Mais je l'ai déjà raté, il n'a pas gélifié ! Pas pire, hein ? Et mes carrés aux Rice Krispies, je les rate une fois sur deux. Ils deviennent durs comme de la roche. Il faut que je les mette au four à micro-ondes avant de les servir pour ramollir la guimauve. Je pense que je fais trop cuire la guimauve, mais ce n'est pas marqué sur la boîte de Rice Krispies combien de temps faire cuire les guimauves ! Il manque de détails ! [rires]

« Quand je cuisine et que je trouve que la recette a l'air bonne, j'ai certaines attentes. Mais quand j'y goûte, je suis souvent déçue. Je n'ai aucun renforcement personnel. Les recettes que je fais ne doivent pas avoir trop d'étapes, parce que c'est sûr que j'en rate une. [...] »

« J'ai quand même des recettes gagnantes, mais il a fallu que je les pratique. Je suis rendue bonne pour les omelettes, que je fais pour ma fille de 8 ans. Mais j'en ai brûlé... des omelettes trop cuites ! »

- Marise Paradis

« L'ail, par exemple. Ils disent de le faire cuire à feu doux. C'est quoi, ça, feu doux ? C'est relatif, on s'entend ! Mon doux à moi, est-ce le doux du cuisinier ? Je ne le sais pas ! [rires] Il manque de certitudes ! [...] Je pense qu'il faut du talent pour cuire de l'ail. Mon timing est vraiment mauvais. Et si tu fais trop cuire l'ail, tout le reste de la recette est gâché ! C'est des détails que tu acquiers, je pense, avec expérience... mais je n'ai pas d'expérience.

« Je trouve ça plate, cuisiner. Et long. Je ne suis pas bonne pour couper les ingrédients. Ils marquent tout le temps que ça va prendre 35 minutes de préparation. C'est faux ! Ça en prend le double quand tu n'es pas bon. C'est vraiment de la fausse publicité. Le temps de préparation, ils mettent ça pour les champions de la coupe. [rires]

« En fait, je pense que ça vient du fait que je n'aime pas manger tant que ça. Je mange surtout par nécessité. Je ne suis pas une foodie, je ne tripe pas pantoute à jumeler des saveurs. Il y a des textures que je n'aime pas. Moi, manger un bol de céréales ou manger une lasagne super bien cuisinée, sérieusement... je m'en fous. [...] Il manque d'amour dans ma cuisine. Je pense que c'est ça, l'ingrédient qui manque. »