D'emblée, sans même se demander pourquoi, la plupart des gens associent tout ce qui concerne l'alcool à un univers très masculin. Il est vrai que les brasseuses et distillatrices sont encore peu nombreuses. Et pourtant...

« Ah ! Vous êtes seule ? »

Lorsqu'elle s'accoude au comptoir de dégustation d'une distillerie, Isabelle Rochette se fait souvent demander où est son chum. Mais rapidement, les gens derrière le comptoir réalisent que c'est elle, la professionnelle des spiritueux. Madame est distillatrice. Elle fait de la vodka, du gin et du whisky chez Cirka.

Pour l'instant, Isabelle est la seule femme à dompter l'alambic au Québec. « Oui, c'est un boys club, les spiritueux, mais ce n'est pas fermé. Au contraire. Lorsque les autres distillateurs réalisent que j'y connais quelque chose, ils sont impressionnés et s'ouvrent facilement. »

La femme au parcours tortueux est aujourd'hui l'ombre, le miroir, la protégée proactive de Paul Cirka, cofondateur et maître distillateur de la jeune entreprise installée dans le quartier Côte-Saint-Paul (au nord de Verdun).

Déjà, celui qui a développé les premières recettes de la maison est pris pour passer beaucoup plus de temps qu'il ne le souhaiterait devant un ordinateur. Au Québec, la microdistillation est encore un sacré cauchemar légal et bureaucratique.

C'est donc l'élève qui a pris la relève à la production. C'est elle qui pellette kilo sur kilo de céréales pour faire le moût, qui charrie des poches d'enzymes, qui manipule de l'équipement très spécialisé et parfois brûlant, qui assure le bon entretien des « machines » et se tient sur ses pieds pendant des heures et des heures.

« Ici, toutes les parties de ma tête et de mon corps sont sollicitées. Mes sens sont en alerte de manière permanente. C'est un métier vraiment complet, qui est créatif, scientifique et très physique tout à la fois. »

Avant, Isabelle travaillait chez Ubisoft. Elle a aimé son emploi d'assistante de production jusqu'au jour où... elle ne l'a plus aimé. Puis, d'autres malheurs sont arrivés en même temps : rupture amoureuse et maladie.

Mais une fois toutes ses facultés retrouvées, la volontaire quadragénaire a pris sa vie à bras-le-corps. Celle qui avait déjà des diplômes en graphisme, en photographie et en gestion du tourisme a ajouté des études de sommellerie à son curriculum. Puis, elle a amassé son argent pour réaliser un autre rêve, celui de faire le tour du Canada et des États-Unis en motocyclette. Une de ses motivations ? Rencontrer des producteurs de bière, de vins et de spiritueux pour ensuite ouvrir un bar de dégustation.

Mais Cirka s'est présenté sur son radar tandis qu'elle sillonnait encore les routes nord-américaines sur deux roues. À son retour, la chimie avec la petite équipe de la rue Cabot s'est révélée bonne. Et même si les heures sont longues et le travail, parfois ardu, Isabelle se sent bien à sa place, au pied de la grande colonne de distillation cuivrée.

Photo Martin Chamberland, La Presse

« Ici, toutes les parties de ma tête et de mon corps sont sollicitées, explique Isabelle Rochette. Mes sens sont en alerte de manière permanente. C'est un métier vraiment complet, qui est créatif, scientifique et très physique tout à la fois. »

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, LA PRESSE

Isabelle Rochette fait de la vodka, du gin et du whisky chez Cirka.