Le sucre a beau avoir mauvaise presse et être accusé de tous les torts du monde, il n'en demeure pas moins que les sodas sont souvent ce qui s'accorde le mieux avec de chaudes températures ou un hamburger bien garni. En boire moins, mais en boire de meilleurs, voilà ce que proposent les nouvelles marques québécoises de sodas.

Les sodas sont souvent remplis de souvenirs et il suffit d'en mettre quelques-uns à la vue pour qu'autour de soi, les vieilles marques remontent à la surface dans les conversations : Sun Crest et Kik, un temps livrés à domicile chaque semaine, Saguenay Dry, Jumbo. La « liqueur au raisin » et celle aux fraises qui n'avaient de fruité que le nom. Voilà souvent les saveurs de l'enfance, si chimiques soient-elles.

Quand il a racheté les sodas Bull's Head avec son frère Carl il y a sept ans, Dominic Pearson mettait la main sur une entreprise de 120 ans bien connue dans les Cantons-de-l'Est. Au fil des ans toutefois, la marque avait perdu de son lustre. Et de ses clients.

« On a gardé les bouteilles jaunes de 2 L et de 500 ml de soda gingembre, parce que ça fonctionne bien depuis longtemps. Mais pour le reste, on a tout changé », dit le copropriétaire. Tout en conservant une partie de son histoire, Bull's Head s'est adaptée à son époque.

La recette du soda gingembre contenu dans les bouteilles jaunes est restée presque la même. Mais les nouveaux produits lancés il y a quelques mois dans ce qui ressemble à de vieilles bouteilles de bière, comme le soda gingembre au thé vert et la bière au gingembre, tranchent avec la tradition.

MISER SUR L'AUTHENTICITÉ

« Ce n'est pas de la luzerne. » Gwendal Creurer, l'un des trois cofondateurs de Bec Cola, ne raconte pas de bobards lui non plus. Il ne produit pas un cola auquel on pourrait accoler l'étiquette « santé », mais ce n'est pas le but recherché.

« On ne voulait pas faire un cola élitiste, mais la diversité des ingrédients qu'on utilise est intéressante. Habituellement, des extraits chimiques de synthèse donnent le goût du cola. On a développé notre saveur de cola avec de la fève de cola du Brésil, de la vanille, de la bergamote », explique-t-il.

C'est dans le même esprit d'authenticité que Jean-François Leduc et Étienne Côté ont conçu les trois saveurs commercialisées par Henri Sodas depuis septembre dernier.

« Le soda moyen a été tellement massacré par l'industrie, on est rendu tellement loin du soda de base qu'on voulait ramener le soda à son essence, une boisson faite à base d'ingrédients naturels. » Attablé au café Saint-Henri dont il est également propriétaire, Jean-François Leduc reconnaît qu'il existe une certaine contradiction entre le discours actuel sur les méfaits du sucre et l'engouement pour les sodas.

« Notre soda est un produit haut de gamme, c'est une récompense qu'on s'offre pour se faire plaisir. Je ne vais pas dire aux gens d'en boire deux par jour. Mais quand on en boit un, buvons-en un vrai fait avec des ingrédients locaux. Et oui, buvons moins de sucre raffiné. »

Si les sodas d'Henri Sodas sont, comme ceux de Bull's Head, sucrés au sucre de canne, le sirop d'érable fait aussi partie des ingrédients des colas 1642 et Bec Cola.

La recette semble porter ses fruits pour Bec Cola. Deux nouvelles saveurs de sodas seront bientôt lancées et le cola des trois associés commence à s'exporter en Europe. « Depuis janvier 2015, on a produit un demi-million de bouteilles. Ça fait un peu mal à la tête de se dire ça », dit avec étonnement Gwendal Creurer.

Chez Henri Sodas, la production se fait encore « bouteille par bouteille, étiquette par étiquette ». Bientôt, les deux associés derrière la marque aimeraient ouvrir les portes du local où ils embouteillent.

« C'est rare qu'on peut visiter une usine de sodas. L'idée, c'est que les gens puissent venir boire un soda sur place et voir comment il est embouteillé, de la même manière que les gens peuvent aller acheter des bagels chez Fairmount et voir comment ils sont cuits », explique Jean-François Leduc.

L'ÉPREUVE DU GOÛT

Pour mettre à l'épreuve les sodas artisanaux, nous avons soumis cinq colas à une dégustation à l'aveugle. Y figuraient le cola de Bull's Head, le Kola d'Henri, le 1642, le Bec Cola et, bien entendu, le Coca-Cola.

Trois testeurs sur quatre ont choisi le Coca-Cola comme leur favori ! Question d'habitude ? Chose certaine, son côté plus pétillant que les autres a été apprécié. « Il me semble être le plus équilibré », a aussi noté une goûteuse.

Parmi les colas artisanaux, le 1642 s'est démarqué. Malgré son goût « un peu léger » aux papilles de certains, il a semblé à d'autres se rapprocher le plus du goût d'un vrai cola. Quant au Bec Cola, sucré uniquement au sirop d'érable, son goût « atypique » mais « peu subtil » n'a pas fait l'unanimité. L'arrière-goût épicé du Kola d'Henri a déconcerté (du girofle ? de la cannelle ?) et certains des participants ont trouvé qu'il goûtait davantage la racinette que le cola.

Quant au cola de Bull's Head, sur les tablettes depuis deux semaines seulement, son manque d'effervescence et son goût trop sucré ont déçu les goûteurs.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Quels sont les résultats de notre test de goût?

RED CHAMPAGNE: LE RÉSISTANT DU LAC-SAINT-JEAN

Le Lac-Saint-Jean n'a pas attendu la nouvelle vague des sodas artisanaux pour s'intéresser aux marques locales de boissons gazeuses. Depuis la fin des années 30, on y boit du Red Champagne, une boisson pétillante qui est presque aussi connue que la grosseur des bleuets de la région.

« Les gens aiment vraiment le goût. À certains endroits, ça remplace presque le café le matin », dit Frédéric Simard, copropriétaire des Breuvages Red Champagne.À ceux qui n'y ont jamais goûté, il décrit la saveur comme un mélange de cidre de pomme auquel on aurait ajouté des essences de cerise et de soda mousse.

Cette curiosité régionale est née dans les années 30 au terme des expérimentations d'Herménégilde Plourde, qui avait créé une entreprise de boissons gazeuses avec son père. Le Red Champagne, appelé un temps « Mélodie » ou encore « cidre champagne », a rapidement fait le tour du Lac et y est resté confiné longtemps, même si la boisson était fabriquée au Saguenay.

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Le Red Champagne du Lac-Saint-Jean.

«  On vendait 80 000 caisses par année au Lac, mais juste 20 000 au Saguenay », se souvient Frédéric Simard, dont la famille distribue depuis trois générations les produits de... Coca-Cola !

Les ventes ont depuis augmenté dans la région du Saguenay, mais la fameuse boisson, elle, n'y est plus embouteillée et ne peut se réclamer de la vague des boissons artisanales. Pour des questions économiques, c'est à Saint-Jean-sur-Richelieu qu'on fabrique le Red Champagne. C'est aussi pour réduire les coûts qu'on le trouve essentiellement au Saguenay-Lac-Saint-Jean, bien que la demande soit de plus en plus forte dans la région de Montréal. « On travaille fort pour élargir notre distribution », assure Frédéric Simard.