Sous le périphérique parisien, dans une sorte de no man's land du 19e arrondissement qui n'a rien d'invitant, se cache un restaurant hors norme qui combat à son échelle le gaspillage alimentaire. Le Freegan Pony propose des plats végétariens préparés uniquement à partir des invendus du marché de Rungis, en banlieue de Paris, le plus grand marché d'Europe.

Oubliez les brasseries parisiennes, les bistrots de quartier ou les nouveaux temples de la bistronomie, le Freegan Pony fait figure d'outsider dans le paysage culinaire parisien. Cet immense espace de 1000 m2 aux poutres de béton armé qui appartient à la mairie de Paris était vacant depuis une quinzaine d'années lorsque Aladdin Charni, squatteur aguerri, a décidé de l'investir. Après y avoir organisé des fêtes, il a reconverti le lieu en restaurant. Le Freegan Pony, qui avait déjà élu domicile dans un appartement squatté du Marais il y a deux ans, a donc pu renaître de ses cendres en novembre dernier.

« Les plats que nous proposons sont cuisinés à partir de fruits et légumes voués à la destruction », nous explique Aladdin Charni en s'assoyant à notre table alors que nous venons de terminer notre entrée, une crème de potimarron. Des aliments qui - trop abîmés ou trop mûrs - ne pourront être vendus, mais qui sont encore tout à fait comestibles. « Ce qu'on veut avec ce restaurant, c'est sensibiliser les gens au gâchis alimentaire », ajoute le jeune homme de 32 ans qui s'affairait quelques minutes plus tôt en cuisine au côté d'une dizaine de bénévoles et du chef du soir.

PHOTO FREE RUBENS, TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE FREEGAN PONY

Squatteur aguerri, Aladdin Charni (à droite) a investi un espace vacant de 1000 m2 appartenant à la mairie de Paris pour le convertir en restaurant.

Invendus à l'honneur

Neuf chefs professionnels se relaient ainsi quatre soirs par semaine pour créer un menu pour 60 couverts en fonction des aliments qui ont été rapportés le matin même. Au menu ce soir : croquette marquise, semoule romanesco et condiment salé en plat (bon, mais un peu sec) et mousse de melon, ananas rôti et croquant nougatine (frais et délicieux) en dessert. Le montant de l'addition est quant à lui laissé à la discrétion du client.

La faune du Freegan Pony ? De jeunes Parisiens, un peu hipsters, mais pas trop. Certains clients, qui ne se connaissent pas, partagent une même grande table éclairée à la bougie. Quelques lampes posées çà et là sur des tables d'appoint complètent l'éclairage de la salle. Tous les meubles, disparates, ont été donnés par l'oeuvre caritative Emmaüs. L'ambiance est détendue, décontractée et bon enfant. La loi antitabac ne s'applique pas en ce lieu.

PHOTO FREE RUBENS, TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE FREEGAN PONY

Sept chefs, originaires de Syrie, d'Inde, d'Iran, de Côte d'Ivoire, de Tchétchénie et du Sri Lanka et ayant le statut de réfugiés, participent à cette opération qui implique dix établissements à Paris. Parmi eux, le Freegan Pony (notre photo), restaurant-squat du 19e arrondissement qui utilise les invendus du marché de Rungis.

Une démarche militante

Squatteur depuis neuf ans et « freegan » - il se nourrit d'aliments trouvés dans les poubelles des supermarchés - depuis sept, Aladdin Charni a tout naturellement mis sur pied ce projet associatif de resto-squat-freegan. Un concept profondément ancré dans une démarche militante et citoyenne. 

Pour le moment, le gérant du lieu récupère auprès des maraîchers la quantité de nourriture dont il a besoin pour le soir même, mais il voudrait à terme remplir son camion de vivres pour les redistribuer aux habitants du quartier et en faire des conserves à donner aux bénévoles ou à vendre aux clients. Il verrait bien aussi un Freegan Pony en version camion de rue.

PHOTO FREE RUBENS, TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE FREEGAN PONY

Au Freegan Pony, le montant de l'addition est laissé à la discrétion du client. 

« On est amenés à s'élargir, à faire plus de couverts. On voudrait bientôt ouvrir tous les jours », dit Aladdin Charni. Et qu'en pense le propriétaire des lieux ? « Tout le monde soutient le projet, on va bientôt signer un bail avec la mairie », annonce-t-il. Ce qui impliquera une fermeture provisoire pour pouvoir se mettre aux normes sans pour autant perdre l'esprit du lieu. Il veut continuer notamment à proposer un « prix libre », mais voudrait inscrire de plus en plus son restaurant dans un projet social en s'occupant davantage des migrants du quartier, ce qu'il fait déjà, d'ailleurs.

Ils sont une vingtaine de jeunes migrants à donner un coup de main au Freegan Pony. Aladdin les laisse même dormir à l'intérieur quatre soirs par semaine. « Je voudrais qu'ils deviennent indispensables, qu'ils se sentent importants », conclut l'homme aux mille projets.

PHOTO FREE RUBENS, TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE FREEGAN PONY

«Ce qu'on veut avec ce restaurant, c'est sensibiliser les gens au gâchis alimentaire», soutient Aladdin Charni.