Au Québec, de génération en génération, on mange le pâté chinois en famille, généreusement arrosé de ketchup. Plat rassembleur, il a su traverser les époques en se réinventant constamment, poussant même l'audace jusqu'à devenir un personnage de La petite vie. Mais malgré toute cette gloire, l'origine de ce mets reste un mystère... Sophie Ouimet fait le point.

ODE AU PÂTÉ CHINOIS

Steak, blé d'Inde, patates. Trois ingrédients tout simples qui, une fois combinés, donnent un plat profondément ancré dans notre patrimoine culinaire: le pâté chinois.

Il fait généralement l'unanimité grâce à son caractère réconfortant. Quelle famille n'a jamais dégusté un bon pâté chinois autour de la table, un soir d'hiver? « Pour qu'un plat soit considéré comme emblématique, il faut qu'il soit partagé sur plusieurs générations, mais aussi qu'il fasse partie de la table au quotidien, soutient Nathalie Lachance, doctorante en sociologie de l'alimentation à l'UQAM. Dans ce sens, je crois qu'on est vraiment en présence d'un objet gastronomique patrimonial. »

Son côté rassembleur joue aussi en sa faveur. «Le pâté chinois, on n'a pas envie de le manger seul, poursuit Nathalie Lachance. On s'assoit à table et on a hâte de partager ensemble ce moment avec un bon pâté chinois.»

La poutine, un autre plat typiquement québécois, ne possède pas ce caractère rassembleur. « Il s'agit d'un mets très populaire, mais on ne mange pas de poutine en famille », souligne le sociologue Jean-Pierre Lemasson, spécialiste du patrimoine culinaire québécois. Il faut dire que la poutine est apparue beaucoup plus tardivement que le pâté chinois dans nos assiettes.

« Il y a des plats qui traversent les époques, qui traversent le temps », note Jean-Pierre Lemasson. Si le pâté chinois a survécu aux modes et aux années, c'est notamment parce qu'il possède un nombre infini de variations. D'ailleurs, les chefs adorent le réinventer.

Photo tirée du site 3 fois par jour

UNE ORIGINE MYSTÉRIEUSE

Étrangement, on n'a aucune idée de l'origine du pâté chinois. Jean-Pierre Lemasson y a même consacré un livre entier, avant d'arriver à la conclusion qu'il ne résoudrait jamais l'énigme. Son ouvrage déboulonne toutefois deux hypothèses souvent évoquées. D'abord, celle des travailleurs chinois venus construire le chemin de fer canadien - qui mangeaient probablement du riz, et non du pâté chinois -, et celle selon laquelle le plat viendrait de la petite ville de China, dans l'État américain du Maine. Tout au plus trouve-t-on des traces de sa présence dans les États du nord-est des États-Unis comme le Vermont et le New Hampshire, où des immigrants québécois ont élu domicile au début du XXe siècle.

«Le livre démonte toutes les explications qui prétendaient connaître l'origine du pâté chinois. Par contre, aucun élément ne me permet, au bout du compte, de dire avec précision d'où il vient, concède l'auteur. C'est pour ça que mon livre s'appelle Le mystère insondable du pâté chinois! »

On sait par contre qu'autour des années 30, il faisait déjà partie du quotidien des gens. Le mets a même été mentionné dans le numéro de La Presse du 19 novembre 1930, il y a donc 85 ans jour pour jour!

THÉRÈSE ET SON PÂTÉ CHINOIS

La diffusion de la série La petite vie dans les années 90, où le pâté chinois tenait presque un rôle principal, a cimenté encore davantage l'importance de ce plat dans la culture québécoise. L'auteur de la série, Claude Meunier, ne pensait jamais que le phénomène prendrait une telle ampleur. «C'est devenu un running gag tranquillement dans la série, au fil du temps, explique-t-il, joint au téléphone. Ça permettait d'abord de faire descendre Thérèse chez ses parents, et c'était un bon départ de conversation avec Môman. Ça servait aussi à illustrer l'univers onirique de Thérèse, qui est toujours un peu ailleurs, qui vit sur une autre planète.»

Effectivement, la pauvre Thérèse était incapable de confectionner un pâté chinois avec succès. La fille de Pôpa et Môman a créé une kyrielle de plats plus absurdes les uns que les autres à partir des trois ingrédients de base: les cannes de maïs déposées directement dans le plat, le T-bone au lieu du steak haché, les étages horizontaux, les popsicles au pâté chinois... Tout y est passé. « Il ne faut pas chercher avec Thérèse: elle n'est pas logique. Et "steak, blé d'Inde, patates", c'est une logique impitoyable. Elle, elle ne comprenait pas ça », se souvient Diane Lavallée, l'interprète de Thérèse Paré dans La petite vie. «Mais une fois qu'elle a compris les trois ingrédients, elle a fait preuve de beaucoup d'imagination, ajoute-t-elle. Elle a laissé aller sa créativité, elle a multiplié les variantes. Il n'y a rien qu'elle n'a pas fait.»

Celle qui affirme cuisiner des pâtés chinois très simples dans la vraie vie («je ne rajoute même pas d'oignons!») reçoit toujours des échos de ce rôle marquant, 20 ans plus tard. «Il y a encore des gens qui me disent: "Ah, c'est toi qui faisais steak, blé d'Inde, patates?" Les gens n'en reviennent toujours pas et ils en rient encore.»

Comme les sociologues, Claude Meunier considère le pâté chinois comme un plat typique du Québec. «C'est le mets de tous les jours, c'est le mets de la petite vie, des gens ordinaires. Probablement que toutes les familles ont mangé du pâté chinois dans leur vie!»

«Ce plat tient non seulement à l'estomac, mais aussi au coeur des Québécois», conclut pour sa part le sociologue Jean-Pierre Lemasson. Longue vie au pâté chinois, donc!

LA RECETTE CLASSIQUE

Il existe autant de versions de pâté chinois que de familles au Québec ! Pour les puristes, voici une recette bien classique du «steak, blé d'Inde, patates».

Pâté chinois traditionnel

INGRÉDIENTS



Pour le «steak»

• 454 g (1 lb) de steak haché maigre

• 1 oignon moyen, haché finement

• Huile, beurre, pour la cuisson

• Sel et poivre, au goût

Pour le «blé d'Inde»



• 400 ml (14 oz) de maïs en crème

• 340 ml (11 oz) de maïs en grains

Pour les « patates »



• 4 ou 5 pommes de terre Yukon Gold ou Russet

• Lait pour la purée, au goût (environ 1/2 tasse)

• Beurre pour la purée, au goût (environ 1/4 de tasse)

Pour la finition



• Persil haché, paprika

PRÉPARATION

1. Préchauffer le four à 350 °F (180 °C).

2. Faire cuire les pommes de terre dans une casserole remplie d'eau salée.

3. Pendant ce temps, faire chauffer le beurre et l'huile dans une poêle. Y faire revenir l'oignon jusqu'à ce qu'il soit translucide, puis ajouter le steak haché en l'écrasant. Réserver.

4. Lorsqu'elles sont cuites, égoutter les pommes de terre, puis les écraser à l'aide d'un pilon en ajoutant le beurre et le lait jusqu'à l'obtention d'une purée lisse.

5. Dans un plat allant au four, disposer le steak haché. Verser par-dessus le maïs en crème et le maïs en grains, puis étendre la purée de pommes de terre.

6. Coiffer le plat de persil haché et d'une pincée de paprika, si désiré.

7. Faire chauffer au four pendant 25 à 30 minutes.

OÙ MANGER UN PÂTÉ CHINOIS CLASSIQUE À MONTRÉAL ?

Certains restaurants de cuisine traditionnelle ont au menu une version classique du pâté chinois. Voici trois endroits où on peut s'en régaler comme si on l'avait cuisiné à la maison.

La banquise

On y propose un pâté chinois classique, servi avec betteraves.

8,25$

La binerie Mont-Royal

L'endroit qui s'est fait connaître par l'oeuvre Le Matou, d'Yves Beauchemin, sert un pâté chinois traditionnel qu'on peut accompagner d'une soupe aux pois, un pouding chômeur ou un blanc-manger, et un café!

9,95$ ; 3,00$ de plus avec entrée et café

Mâche

Le restaurant de la rue Saint-Denis ne fait pas que servir du pâté chinois : ce plat est sa spécialité ! Il propose pas moins de six variétés, dont une classique.

À partir de 11$

Photo tirée du site Minimalist Baker

VARIATIONS SUR LE MÊME THÈME

Une des nombreuses qualités du pâté chinois est sa grande flexibilité. À partir de la recette de base, on peut facilement ajouter des variations qui le réinventeront en un tournemain.

LE GRATINÉ

Inviter le fromage dans le pâté chinois ? Certains crient à l'hérésie, d'autres, au génie. Pour gratiner le plat, il suffit d'ajouter du fromage râpé (cheddar ou mozzarella) au-dessus des pommes de terre juste avant d'envoyer le pâté chinois au four. On peut aussi mettre le fromage cinq minutes avant la fin de la cuisson, et la terminer à Broil.

L'EXTRA LÉGUMES

Certains aiment varier le goût de la pomme de terre en ajoutant d'autres légumes au mélange, comme des carottes, des patates douces, des panais ou des courges. Un conseil ? Mieux vaut garder une bonne proportion de pommes de terre, sinon le goût sucré devient rapidement dominant.

LE VÉGÉ

Même les végétariens peuvent manger du pâté chinois de nos jours : il suffit de troquer le boeuf contre les lentilles. Le blogue de recettes américain Minimalist Baker en propose une version totalement végétalienne.

L'ÉPICÉ

Pour rajouter un peu de piquant, il y a le pâté chinois mexicain. Marilou en propose une version sur son site 3 fois par jour, avec ketchup et relish intégrés dans la recette. Sur son site, Épices de cru propose aussi une version délicieusement relevée de la recette de base, qui inclut du cumin, de la muscade et du piment d'Alep.

OÙ MANGER UN PÂTÉ CHINOIS «FANCY» À MONTRÉAL ?

Plusieurs chefs s'amusent à transformer le pâté chinois en plat gastronomique. Voici trois restaurants montréalais qui réinterprètent ce grand classique.

Le Vallier

On y sert un pâté chinois au canard confit, accompagné de ketchup aux fruits maison.

24,50$

Enfants terribles

Le restaurant surtout connu pour sa succursale de l'avenue Bernard, à Outremont, confectionne son pâté chinois avec de la joue de boeuf braisée et de l'huile de truffe.

21$

Pub McCarold's

Situé chemin de la Côte-des-Neiges, le repaire de plusieurs étudiants de l'Université de Montréal prépare un pâté chinois à l'agneau haché, avec pommes de terre assaisonnées à la menthe. En saison froide seulement.

13,75$