Benjamin Dennis, surnommé BJ, a cuisiné avec des chefs comme Jeremiah Bacon et Sean Brock, et rêvé de cuisiner pour les grandes tables européennes... avant de replonger dans ses racines et de célébrer la fascinante culture culinaire des descendants d'esclaves, les «gullah geechee». Récit.

Nous avons rencontré BJ la semaine dernière, alors qu'il se préparait à partager les fourneaux de la Société des arts technologiques, dans le cadre de la série «Le Labo culinaire invite...» Fraîchement débarqué de Toronto, où il avait participé au congrès Terroir, le chef de Caroline-du-Sud nous avait donné rendez-vous au marché Jean-Talon, question de s'inspirer.

Ici, la nature s'éveille à peine: premières têtes de violon, premières asperges, quelques pousses vertes et fraises de serre ici et là. «Nous sommes bénis par une nature luxuriante, dans le Sud. Les saisons sont longues et, en ce moment, c'est l'abondance», constate le chef. Il ne se laisse pas décourager pour autant. Au contraire. Humble et reconnaissant, BJ fait des miracles avec ce qu'il a sous la main.

Sur la liste d'épicerie qu'il avait dressée avec Michelle Marek et Seth Gabrielse, les alchimistes du Labo culinaire: huîtres, crabe, crevettes, laitues, collard, fraises... Mais, zut, l'okra, légume du Low Country s'il en est un, n'était pas beau cette semaine. Il serait remplacé par des épinards dans le ragoût d'huîtres sur «grits», ce gruau de maïs qui rappelle la polenta italienne, en plus texturé.

Les belles crevettes nordiques, en revanche, seraient parfaites dans la sauce aux arachides. «Tout le monde associe la sauce aux arachides à la Thaïlande, mais l'Afrique de l'Ouest en a aussi une version», explique BJ, lui-même de descendance sénégalaise et malgache.

Les ingrédients les plus emblématiques de sa Caroline-du-Sud natale, comme le riz Carolina Gold, les fèves, la semoule de maïs et le gruau de maïs, avaient été envoyés d'avance. Ils provenaient tous de la géniale Anson Mills, une entreprise née autour de 1995, lorsque le fondateur, Glenn Roberts, a décidé de revaloriser la variété de riz ancestrale, quasi disparue au profit du Carolina White.

Autre aliment important dans la diète «gullah geechee»: le benne. On mange la jeune feuille de cette plante qui donne également ce que l'on appelle aujourd'hui la graine de sésame. BJ en fera une vinaigrette pour mettre en valeur les premières laitues et asperges du Québec.

Patrimoine familial

C'est au contact de son grand-père, qu'il a enterré il y a quelques semaines, que le chef a fait ses plus belles découvertes culinaires. «Mon grand-père, qui était agriculteur, faisait déshydrater ses têtes de crevettes sur le toit de la maison, pour ensuite les moudre en farine. Il enduisait son mulet d'épices et le faisait sécher. Avec l'okra, ces provisions étaient les ingrédients pour préparer le gombo [soupe-ragoût d'origine créole]», raconte BJ.

Aujourd'hui, rien ne lui fait plus plaisir que de servir un plat à une personne âgée de son coin et que celle-ci lui dise qu'elle n'a rien goûté de pareil depuis des années. C'est au contact de ses aînés qu'il étend son répertoire de recettes. Dire qu'autrefois, le chef rêvait d'aller cuisiner en France et en Espagne...

«J'aime les cuisines indigènes parce qu'elles font fi de toutes les règles. La cuisine gullah est très simple, saisonnière, savoureuse et saine. Je l'appelle "culture food". Ce qu'on appelle la "soul food", elle, était une cuisine de célébration. Le poulet frit n'était pas fait pour être mangé tous les jours. C'était pour les occasions spéciales.»

Pour la cuisine de tous les jours, c'est plutôt les Hoppin' Johns, cet humble et nourrissant amalgame de fèves cuites dans un bouillon simple avec une pièce de viande bien grasse, auxquelles on ajoute du riz et des aromates juste au bon moment. Les verdures braisées, les poissons grillés, les crustacés non décortiqués, voilà la base d'une diète «gullah» bien équilibrée et qui mérite de sortir de l'ombre.

Pour en savoir plus sur l'emblématique Hoppin' Johns, et la cuisine du Sud, voir les plus récentes entrées du blogue An Endless Banquet:

anendlessbanquet.com (en anglais)

Recettes

HOPPIN' JOHNS 

INGRÉDIENTS

1 tasse de haricots secs, comme les doliques à oeil noir, trempés toute une nuit

1 tasse de riz

1½ tasse d'eau ou de bouillon (on peut aussi utiliser 1 boîte de lait de coco et 4 tasses d'eau ou de bouillon)

¼ de tasse d'oignon en petits dés

¼ de tasse de poivron en petits dés

1 gousse d'ail émincée

3 tiges de thym

1 petite feuille de laurier

¼ de livre de viande fumée au choix (bacon, jarret de porc, etc.)

Huile végétale

PRÉPARATION

Dans une casserole moyenne, verser le liquide choisi. Ajouter la viande, le thym et le laurier, couvrir, puis porter à ébullition.

Faire mijoter la viande pendant une quinzaine de minutes et ajouter les haricots, l'oignon, l'ail et le poivron. Saler et poivrer. Vérifier l'assaisonnement. Cuire à couvert.

Lorsque les haricots sont tendres, mais avec encore une certaine fermeté, ajouter le riz. Ajouter du liquide au besoin. Couvrir et cuire à feu doux pendant 30 minutes.

Retirer la viande, l'effilocher, puis la remettre dans le plat. Servir comme accompagnement ou tout simplement avec une salade, en guise de plat principal.

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SPOON BREAD

Traduction libre: «pain qui se mange à la cuillère», à mi-chemin entre un pouding et un soufflé!

INGRÉDIENTS

4 tasses de lait

½ tasse de beurre non salé

1 tasse de semoule de maïs

4 oeufs, légèrement battus

6 c. à thé de sucre

1 c. à soupe de poudre à pâte

¾ de c. à thé de sel

PRÉPARATION

Préchauffer le four à 350 °F. Beurrer un moule rectangulaire.

Faire chauffer le lait et le beurre dans une grande casserole, à feu moyen-élevé. Lorsque le lait est chaud, mais ne bout pas, ajouter la semoule de maïs et cuire, en fouettant sans cesse, jusqu'à ce que le mélange soit homogène et légèrement épaissi. Retirer du feu et laisser refroidir puis épaissir encore un peu.

Avec un mélangeur à main, battre les oeufs, la poudre à pâte, le sucre et le sel pour obtenir un mélange jaune pâle. Ajouter environ un quart du mélange de maïs aux oeufs, puis mélanger doucement à la cuillère de bois. Verser le mélange aux oeufs dans le maïs et mélanger sans cesse.

Verser le mélange dans le moule et cuire au four pendant 30 à 40 minutes, jusqu'à ce que le dessus commence à dorer.

Servir en entrée ou en accompagnement avec du beurre fondu. Au Foodlab, le trio aux fourneaux a préparé une délicieuse garniture de maïs frais égrainé, d'oignons verts, de beurre et de miel, chauffés dans la poêle.

Note: Pour la recette plus complexe qu'utilise le chef, aller à ansonmills.com/recipes

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PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

Hoppin' Johns 

Photo Bernard Brault, La Presse

Spoon bread 

VINAIGRETTE AU BENNE (SÉSAME) 

INGRÉDIENTS


6 c. à soupe de vinaigre de cidre

1 petite gousse d'ail émincée

1 c. à thé de gingembre émincé

2 c. à soupe de miel

3 c. à thé de moutarde de style Dijon

6 c. à soupe de graines de sésame grillées au four ou à sec dans une poêle

6 c. à soupe d'huile végétale (olive, pépins de raisin, etc.)

PRÉPARATION

Placer tous les ingrédients sauf l'huile au mélangeur et activer jusqu'à ce que la vinaigrette soit homogène.

Verser l'huile en filet tandis que le moteur tourne.

Servir sur une salade verte, une salade composée, une salade de kale, des asperges, alouette!

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

Vinaigrette au benne