Vous avez une image romantique du chocolatier dans son atelier qui concasse ses fèves de cacao au pilon? Détrompez-vous. La grande majorité de ces créateurs de douceurs travaillent non pas à partir de la fève, mais avec du chocolat de couverture qu'ils refondent. Or, de plus en plus d'artisans se lancent dans la transformation des fèves, partout dans le monde... et au Québec.

L'expression bean-to-bar désigne le chocolat que produit l'artisan chocolatier à partir de la fève de cacao. De la fève à la tablette, donc. Jusqu'à récemment, seuls les grands couverturiers, comme Barry-Callebaut et Valrhona (au Québec, les chocolatiers ne travaillent pratiquement qu'avec ces deux-là), ou presque, transformaient la fève. Aujourd'hui, ils fournissent toujours une gamme de chocolats de couverture aux profils gustatifs, origines et taux de cacao différents aux artisans chocolatiers, qui les font alors fondre et les marient à d'autres ingrédients pour créer leurs bouchées de chocolat, leurs tablettes, etc.

Le bean-to-bar artisanal est un phénomène qui s'observe depuis plus d'une dizaine d'années, surtout en Amérique du Nord, où l'association Craft Chocolate Makers of America existe depuis 2008, mais aussi en France, en Angleterre, en Pologne, en Lituanie, en Scandinavie, en Écosse, au Brésil, au Viêtnam, etc.

Un peu comme les microtorréfacteurs de café, ces petits chocolatiers aiment expérimenter, ce qui laisse plus de place à l'expression des spécificités de chaque origine.

«Les fèves utilisées viennent pour certaines origines des mêmes plantations et des mêmes récoltes. Le travail du chocolatier, sa façon de torréfier les fèves (temps et température) et de les concher (brassage du chocolat à basse température pendant un certain nombre d'heures) permet de différencier deux tablettes de la même origine, explique la spécialiste Karine Chrétien Guillemette, alias Miss Choco. Je pense aux fèves de Madagascar, par exemple. Les chocolatiers bean-to-bar utilisent presque tous les fèves de Bertil Akesson, qui possède des plantations dans ce pays et qui est lui-même chocolatier. Pourtant, une tablette de Pralus ou une tablette de Dandelion, de Habitual ou de Palette de bine ont toutes une personnalité propre grâce au travail des chocolatiers.»

Par exemple, Alain Ducasse (Paris), Taza (Somerville, Massachusetts) et Soma (Toronto) font des tablettes de chocolat non conché, qui ont une texture brute, rugueuse à laquelle nous ne sommes pas habitués. Les chocolatiers bean-to-bar utilisent aussi beaucoup moins de beurre de cacao que les traditionnels couverturiers européens. Il n'y a souvent dans leurs tablettes que du cacao et du sucre.

Ateliers maison

La plupart des artisans se lancent d'abord à la maison, avec de l'équipement bricolé. De nombreux sites, blogues et forums démystifient le processus, comme Chocolate Alchemy et The Chocolate Life.

Christine Blais s'est monté un petit atelier dans son chalet de Mont-Tremblant au printemps dernier. Moins d'un an plus tard, elle s'apprête à commander de l'équipement plus performant et veut obtenir ses permis du MAPAQ pour pouvoir commercialiser ses «Palettes de bine».

La maman de trois enfants a fait des études en design d'environnement et en architecture. Elle a longtemps travaillé dans le milieu de la construction. Puis, un jour, en fouinant sur le site Apartment Therapy, elle est tombée sur des images qui l'ont fait rêver. Dans une lumineuse cuisine de Portland, en Oregon, une famille faisait du chocolat de la manière la plus artisanale possible. Aujourd'hui, cette inspirante petite famille est propriétaire de Woodblock Chocolate.

Quant à Ludovic Fresse, il pratique le métier de chocolatier depuis longtemps. Il a ouvert Chocolats Privilège avec des associés il y a plus de 10 ans. L'envie de faire son propre chocolat le tenaillait depuis longtemps. Lorsqu'un grand local du marché Atwater s'est libéré, il a vu l'occasion parfaite de proposer son projet d'atelier-chocolaterie. Depuis près d'un an, Chocolats Privilège produit une tablette et des pastilles pour cuisiner avec un chocolat d'origine mexicaine.

Parce qu'il est copropriétaire d'une chocolaterie établie, avec cinq boutiques et un atelier de fabrication, Ludovic Fresse a pu s'équiper convenablement pour transformer la fève en chocolat. Le processus se fait en plusieurs étapes et prend beaucoup de temps et beaucoup de machinerie, si l'on compare au café, par exemple.

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Pour goûter...

Chocolats Privilège

chocolatealchemy.com

thechocolatelife.com

palettedebine.com

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«Lorsque les gens me demandent c'est quoi la différence entre le Soconusco (c'est l'origine de la table bean-to-bar de Privilège) et les autres chocolats, je leur réponds: 5000 à 10 000 km de moins! Car le chocolat de couverture que nous utilisons ici au Québec part de sa région d'origine, que ce soit l'Amérique latine, le Viêtnam ou l'Afrique, se fait transformer en Europe et passe bien souvent par les États-Unis avant d'arriver ici. Moi, je me fais envoyer les fèves directement d'une petite coop bio et équitable dans le Tabasco, sans aucun intermédiaire.»

Geneviève Grandbois, qui ne fait pas encore de chocolat bean-to-bar, mais qui en rêve depuis longtemps, pousse la logique encore plus loin. Elle aimerait voir plus de transformation de fèves de cacao dans les pays producteurs. «Ça changerait encore plus le visage de la chocolaterie en ayant un impact direct sur les communautés et sur l'environnement.» La chocolatière a récemment commencé à offrir des tablettes de chocolat Marou, cultivé, puis transformé au Viêtnam, dans ses boutiques. L'offre grandira à l'été, avec les produits de petits chocolatiers dont Mme Grandbois apprécie le chocolat... et la philosophie.

Un samedi sur deux, Chocolats Privilège offre des cours d'une durée de trois heures sur les origines et la fabrication du chocolat, dans ses locaux du marché Atwater, où se trouve tout l'équipement pour transformer la fève de cacao.