C'est le cauchemar de tous les parents. La fameuse lettre dans la boîte à lunch, le courriel de la semaine, le coup de fil de la copine qui nous annonce l'une des pires nouvelles: l'alerte aux poux. Une simple évocation qui provoque à coup sûr des démangeaisons. À Toronto, des salons se spécialisent dans un service inusité, pas très sexy, mais combien apprécié: l'épouillage. Un reportage de Silvia Galipeau et Martin Leblanc.

«Ça fait deux mois que ça dure. J'ai tout essayé. De l'huile d'olive, le fer plat, le shampoing à la pharmacie, j'ai tout désinfecté dans la maison. Je ne savais plus quoi faire. Même moi, j'en ai eu! Et puis j'ai cherché sur l'internet et j'ai trouvé l'adresse. Ouf! Finalement, je ne suis pas toute seule!»

La fille d'Aida Velasquez a 8 ans. Et pour la deuxième fois en deux ans, elle a des poux. Plein de poux. Des tonnes de poux. Sa mère, de toute évidence, n'en peut plus. «C'est un vrai cauchemar, dit-elle. Surtout pour ma fille. C'est très inconfortable. Ça pique!»

Assise devant un joli miroir, sous une grande télé, dans une salle qui a (presque) tout l'air d'un salon de coiffure, elle se fait méticuleusement épouiller par une experte en épouillage. Les poux sortent à la pelle. Les lentes aussi.

Rigoureusement, mèche par mèche, l'épouilleuse passe au travers de toute sa tête avec un peigne archifin. Chaque fois, elle trempe le peigne dans un bac d'eau, où baignent des dizaines de lentes et autant de poux.

Au salon de poux

Parce que oui, ça existe, des experts en la matière. Aux États-Unis, un institut (le Shepherd Institute) se spécialise même dans leur formation. Quelques salons offrent des services d'épouillage du genre à New York, à Nîmes et, depuis quelques années, à Toronto.

Pour 75 $ de l'heure, la gamine devrait ainsi être dépouillée, c'est le cas de le dire. «Ça m'a déjà coûté 100 $ en produits », commente sa mère, qui a même coupé la longue chevelure de sa fille, en vain.

«Si ce service n'existait pas, je ne sais pas ce que j'aurais fait.»

«J'étais vraiment dégoûtée et nerveuse. Inconsciemment, c'est vraiment stressant!»

Cela fait cinq ans que Nitwits, un petit salon discret situé en banlieue nord de Toronto, offre ce service peu sexy, certes, mais drôlement apprécié. Chaque jour, on traite ici entre 25 et 35 clients, beaucoup d'enfants, mais aussi leurs parents, pardon, leurs mères. «Pour 65 mères, je traite un père!, indique en riant Shawnda Walker, l'épouilleuse en chef. Les poux n'aiment pas l'odeur de la testostérone!»

La dame est une vraie encyclopédie des poux. Il faut dire qu'il y a huit ans, sa fille, alors âgée de 4 ans, en a attrapé pour la première fois. En fouillant sur l'internet, elle a été atterrée par toutes les informations, souvent contradictoires, qu'elle a trouvées. Comment les gens font-ils pour s'y retrouver? Surtout: comment font-ils pour venir à bout des poux?

D'où le filon. «Je vais démarrer une business!» Quelques recherches plus tard, elle a découvert l'existence d'un institut sur la petite bête, et elle est partie décrocher un diplôme. Huit ans plus tard, elle est à la tête de deux salons qui, en plus d'épouiller ses clients, répond aussi aux appels à l'aide des écoles et offre des formations sur l'art de l'épouillage. Le matin de notre rencontre, elle était passée, avec son équipe, au travers de 800 têtes dans une école primaire.

«Généralement, les écoles nous appellent trois fois par année: à la rentrée, en janvier et à Pâques. Pour 5 $ par enfant, nous vérifions les têtes, et si nous en trouvons, nous envoyons des échantillons aux parents pour qu'ils sachent quoi chercher.»

Tout sur les poux

Les poux n'ont plus grand mystère pour Shawnda Walker, qui nous accueille les longs cheveux frisés au vent. «Les poux, ça ne saute pas! dit-elle. Ça ne vole pas!»

Par contre, les poux se déplacent en gang, dit-elle. «Généralement en groupe de trois à six.» Le saviez-vous? Les poux sont capricieux et ne se nourrissent que d'un seul type de sang. S'ils changent de tête, par contact direct, et que le groupe sanguin n'est plus le même, ils mourront en vous suçant le sang. Bonne nouvelle? Pas vraiment, puisqu'avant de sucer la nouvelle tête, ils auront amplement le temps de pondre.

Les poux ne font pas non plus de discrimination. Des têtes blondes, brunes, jeunes ou plus âgées, ils attaquent sans distinction. «On a traité un enfant de 5 jours et une personne âgée de 98 ans», se souvient Mme Walker.

«C'est la science qui nous permet de nous débarrasser des poux!»

Et elle sait de quoi elle parle. Shawnda Walker a déjà reçu un enfant sur qui le parent avait versé de l'essence pour venir à bout des poux. Erreur...

Les trois quarts des clients qui débarquent chez elle ont d'ailleurs essayé de se débarrasser des poux tout seuls. En vain. Pourquoi tant d'échecs?  Parce que 97,1 % des poux résistent aux shampoings vendus en pharmacie», récite Shawnda Walker. La seule arme qui fonctionne, c'est l'épouillage, méticuleux, des têtes. Chaque jour, rigoureusement, jusqu'à ce qu'il n'y en ait plus. Étrangement, il est très difficile de trouver de bons peignes résistants et suffisamment longs pour épouiller les têtes. «Je reçois des dizaines d'appels par jour de parents: qu'est-ce que je fais?»

Le coût des poux

Vrai, son service n'est pas donné. Si vous avez des filles, disons avec de longs cheveux, et plusieurs têtes à traiter, la facture peut facilement grimper à 500 $. Même si l'élimination est garantie (on revérifie les têtes, au besoin, une semaine plus tard), la facture est salée. N'empêche que cela ne semble pas refroidir les clients, qui font parfois des centaines de kilomètres pour venir se faire traiter ici. «J'ai eu une famille de Sudbury, des gens de Niagara Falls, d'Ottawa. Généralement, la clientèle typique fait 60 minutes de route.»

«Moi, ça ne me dérange pas de payer si je sais que je vais être débarrassée pour de bon, commente Andrea Berenstein, debout devant son garçon de 4 ans, en train de se faire peigner. En plus, ça va m'éviter de prendre une autre journée de congé. C'est un stress, parce qu'un enfant qui a des poux, ça ne peut pas aller à l'école...»

Trois trucs pour prévenir les poux

1- On s'attache les cheveux (chignon ou tresses).

2- On ne partage pas (de chapeau, de casque ou de brosse).

3- On s'asperge d'huile essentielle de menthe (plus efficace encore que la lavande, selon les dernières recherches).

PHOTO MARTIN LEBLANC, LA PRESSE

Au mur du salon sont accrochés des dessins d'enfants. Ici, on traite entre 25 et 35 personnes par jour. 

Des bestioles coriaces

97,1% résistent

D'après une étude de l'Université du Massachusetts publiée dans le Journal of Medical Entomology en 2014, 97,1% des poux résistent désormais aux traitements traditionnels. La présence de ces superpoux mutants expliquerait la recrudescence des pédiculoses (un joli mot pour parler d'infestation de poux) dans les écoles et garderies du pays.

Tête à tête

Comment attrape-t-on des poux? Non, les poux ne sautent pas et ne volent pas. Si vous avez des poux, dans 98% des cas, c'est parce que votre tête a été en contact direct avec une autre tête infectée. Adieux, câlins collés si vous voulez être épargnés. On conseille aussi aux enfants de s'attacher les cheveux serré (une queue de cheval, ça ne suffit pas) en chignon ou en tresse, en cas d'alerte aux poux. On évite aussi évidemment de partager tuques, foulards, peignes et brosses.

24 heures

Hors de la tête, un pou ne peut pas survivre plus de 24 heures. Inutile, donc, de laver les toutous, manteaux et autres vêtements si vous avez des poux. Isolez-les 24 heures, et le tour est joué. Pour ce que vous utilisez quotidiennement, par contre, un nettoyage rigoureux s'impose. Prenez soin de laver à l'eau chaude vos draps et serviettes, et de mettre au congélateur pendant 24 heures vos peignes et brosses - même vos casques de vélo.

200 lentes en 10 jours

Un pou femelle pond environ 200 oeufs dans sa vie. Il lui suffit d'être fécondée une seule fois pour qu'elle ponde quotidiennement 10 oeufs pendant 20 jours.

30 jours

La durée de vie moyenne d'un pou est d'un mois. L'oeuf (la lente) prend de sept à dix jours à éclore, et le pou met une autre semaine à atteindre son stade adulte. Cela laisse environ 20 jours à la femelle pour pondre ses oeufs.

PHOTO MARTIN LEBLANC LA PRESSE

Un pou vivant ne peut pas survivre hors de la tête (et à proximité de sa nourriture), plus de 24 heures.