On le sait, tous les manuels sur l'art d'être un bon parent le confirment: un enfant a besoin de son espace. Bref, d'un lit. Pourtant combien d'enfants, même grands, passent encore des nuits entières blottis entre leurs parents, avec, qui sait, un petit ou un grand frère au bout du lit? Nous avons rencontré trois familles pour savoir comment le cododo s'articulait chez elles.

Un tabou en cinq questions

Vrai, peu de parents s'en vantent. Il faut dire qu'on a vite fait de juger ce qui se passe dans les chambres à coucher des voisins. Hérésie? Scandale? Tabou, surtout.

Sauf qu'en pratique, bien des parents trouvent bien pratique, justement, de dormir avec leurs enfants. Parce qu'ils dorment, précisément, qu'ils passent un moment d'intimité dans une vie par ailleurs trop souvent surchargée. Parce qu'il n'y a rien de tel pour réconforter un enfant qui a eu une dure journée, aussi. Et enfin parce qu'il y a quelque chose de délicieusement naturel à tout cela, quoi.

Wendy Hall est professeure à l'école de soins infirmiers de l'Université de Colombie-Britannique, et membre de la Société canadienne du sommeil. Elle répond ici à nos questions.

Pourquoi ce tabou?

Nous vivons dans une société où il y a beaucoup de jugements et de compétition entre parents. Les gens ont un avis sur tout. Notamment sur le cododo à long terme. Certains voient ça d'un très mauvais oeil. Les gens vont émettre des commentaires du genre : ces enfants-là ne vont jamais être autonomes, vont rester dans les jupes de leur mère, c'est quoi cette philosophie, etc.

[...] Certains voient ça d'un regard suspect, et s'interrogent sur les motifs qui sous-tendent le cododo. Du coup, un parent qui dort avec ses enfants ne peut jamais savoir comment les autres vont réagir. D'où le silence autour du sujet.

Pour un parent, pourquoi la question du sommeil des enfants est-elle si épineuse 

Tout dépend de comment les parents définissent le succès. Si, pour un parent, le succès, c'est d'avoir un enfant qui fait ses nuits, comme on dit, alors oui, il y a une certaine compétition entre ceux qui y arrivent et les autres. Comme si on jugeait du talent des parents. Alors que tout cela relève aussi beaucoup du tempérament des enfants...

Quelle est la philosophie qui sous-tend le cododo à long terme?

Certains parents voient le lit familial comme un moyen de promouvoir le bien-être de chacun, l'attachement, le partage de beaux moments, bref, voient le lit comme un moyen d'entretenir de meilleures relations.

Et que dit la science? Est-ce une bonne ou une mauvaise idée de dormir à long terme avec ses enfants? Y a-t-il des risques associés à cette pratique?

En tant qu'experte, je ne décourage pas du tout cette pratique. Les familles doivent faire ce qui marche pour elles. Si cela correspond à leur philosophie parentale, alors pourquoi pas.

Par contre, avec de très jeunes enfants, c'est un tout autre débat. [...] La Société canadienne de pédiatrie recommande aux parents d'enfants de moins de 6 mois de dormir dans la même chambre que leur enfant, pour favoriser l'allaitement, mais pas dans le même lit, à cause de tous les risques associés à la mort subite du nourrisson. Mais pour les plus vieux? Je n'ai jamais lu de recommandations à ce sujet. [...] Rien ne permet de croire qu'il puisse y avoir des problèmes avec cette pratique à long terme.

Certains parents ne dorment toutefois pas avec leurs enfants par principe, mais plutôt parce que c'est pratique...

Il faut être franc sur les motifs derrière le cododo à long terme. Est-ce une philosophie parentale, ou simplement parce que c'est le seul moyen qu'ont trouvé les parents pour endormir leur enfant? Dans ce deuxième cas de figure où le parent préférerait que son enfant dorme dans son propre lit, à long terme, oui, il pourrait y avoir des problèmes.

Le parent risque d'en vouloir à son enfant, de considérer son enfant comme exigeant, difficile, etc. [...] Je fais partie d'une équipe nationale de travail sur le sommeil, et j'encouragerais ces familles à chercher de l'aide. Parce qu'à ce niveau, le cododo est perçu comme un problème. Mais encore là, vous savez, tous ces enfants vont grandir et quitter un jour le nid familial!

Famille traditionnelle: « Juste de l'amour »

Vanessa et Michel* ont trois enfants. Et à chaque naissance, leur lit familial s'est agrandi. Littéralement.

« Avec la deuxième, on était quatre dans un lit double. Alors on a acheté un lit queen. Puis quand la dernière est née, on a acheté un lit king! », pouffe Vanessa. « C'est pas mal ça qui est arrivé. Le lit a grossi avec la famille! », renchérit Michel en souriant tout autant.

Les deux amoureux ne se sont jamais trop formalisés du comment du pourquoi ils endormaient leurs enfants. Avec leur aînée, ça s'est implanté tout naturellement. Le bébé se réveillait au milieu de la nuit pour un boire. « Et moi, il n'était pas question que je me batte pour la rendormir dans son berceau », précise Vanessa. Du coup, elle la gardait avec elle pour le reste de la nuit.

La puce a fini par faire ses nuits et dormir dans son lit, mais dès que survenait un cauchemar, un pipi ou n'importe quoi d'autre, elle atterrissait dans le grand lit parental.

« C'est quoi le concept de dire: non, tu dois dormir dans ton lit? Parce qu'au bout du compte, il y en a, de la place, dans notre lit, ajoute Michel. Pourquoi faudrait-il se battre pour que nos enfants dorment dans leur lit? Les Amérindiens, ils dormaient à 20 dans une hutte! »

Les deux parents ne sont d'ailleurs pas dupes. Leurs filles grandissant, elles viennent de moins en moins les rejoindre. Un jour viendra où elles ne voudront plus du tout de cette douce proximité familiale. « Elles vont être des ados bien assez vite! C'est pour ça qu'on est un peu plus "slacker" avec la dernière. Elle, on n'essaye même pas de la coucher dans sa chambre. On l'amène direct dans notre lit! »

Et tout le monde s'accommode très bien de la « routine » qui n'en est pas une, finalement. Les enfants s'endorment très facilement, n'importe où, souvent n'importe quand, dans les bras, sur la plage, dans le salon, proches de leurs parents, quoi. Les deux se demandent d'ailleurs pourquoi tant de parents s'obstinent à essayer de coucher leurs enfants selon un horaire et une routine rigides, dans une pièce fermée, éloignée. « Les gens que je connais qui font ça ont l'air de se faire c..., poursuit Michel. Ça stresse tout le monde, tout le monde est choqué... »

Et l'intimité, dans tout ça? À trois enfants, visiblement, le couple réussit à en trouver. « On les déplace dans leur lit aussi... », confirme, coquine, Vanessa. « Si ni l'un ni l'autre ne s'endort avant... », rectifie Michel en riant.

* Tous les noms ont été modifiés, pour préserver l'anonymat des... enfants!

Famille reconstituée: faits pour vivre en tribu

« Ce n'est pas un «statement» familial! Mais les enfants viennent s'ils en ont envie. Ce n'est pas une question philosophique. On ne fait pas non plus du cobedding extrême... »

Sous le toit de Betty et Jake, dans un coquet condo adjacent Plateau, vivent quatre enfants entre 8 et 13 ans. Deux sont à elle. Deux à lui. Et tous vivent aussi en garde partagée. Et, oui, quand la journée a été dure, si un enfant est malade, s'est ennuyé de son parent, il n'est pas rare que les deux amoureux se retrouvent avec un enfant de plus sous la couette. Parfois, l'enfant y passe la nuit entière. Parfois pas. Mais plusieurs fois par semaine, c'est ça, la routine.

Quand ils sont trop nombreux, les parents ne se gênent d'ailleurs pas non plus pour les ramener gentiment dans leur propre lit, une fois endormis.

« Pour moi, c'est vraiment une question de confort. Je veux aussi permettre aux enfants d'avoir un certain contact physique qu'ils n'ont pas nécessairement dans leur journée », précise Betty.

« J'aime ça être proche de mes enfants, j'ai été élevé comme ça, renchérit Jake. La race humaine est faite pour vivre en tribu. Environ 90 % de la planète vit comme ça... »

Spontanément, sa cadette va aussi dormir de son côté à lui du lit, et la fille de Betty, du sien. Les deux aînés viennent nettement plus rarement. Adolescence oblige, ils cultivent de plus en plus leur bulle.

Évidemment, au début de leur relation, ça n'a pas été tout à fait aussi fluide. « C'est venu tranquillement, précise Betty. À cause du symbole de cette proximité. » Mais quelque part, il n'y a eu là qu'un ajustement de plus à faire, comme on en fait tant quand on se reconstitue. « Il faut ajuster ses façons de faire. Dormir n'a pas été plus fort, symboliquement, que tous les autres petits gestes, comme faire des lunchs, etc. », précise la jeune femme.

Et leur intimité, dans tout ça? « Le lit nous appartient, quand même, répond Jake. Ils n'ont pas un droit acquis. Si nous, on décide un soir que non, personne ne dort dans notre lit, personne ne dort dans notre lit. Sauf s'il y en a un qui est malade... »

Leurs regards coquins confirment qu'ils trouvent bien le moyen de se retrouver seule à seul, dans leur lit ou ailleurs, d'ailleurs...

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Famille séparée: quand on s'est ennuyé

« Au début de la séparation, ma fille dormait systématiquement avec moi. » 

Stéphane, séparé depuis six mois, a deux enfants, âgés de 7 et 11 ans. C'est surtout sa cadette qui a tendance à partager le nouvel espace vide de son lit. Et le jeune papa est loin de s'en plaindre. « J'adore ça! », dit-il sans hésiter.

Pourquoi? Pour toutes sortes de raisons. Garde partagée, boulot et horaires atypiques obligent, il passe parfois de longs moments sans voir ses enfants. « On est bien quand on dort ensemble. On s'est ennuyé, on peut jaser sur l'oreiller, on se colle. »

Et si ça devenait une habitude et que sa fille ne voulait plus dormir dans son propre lit? « À l'âge qu'elle a, elle m'écoute. Ça n'est vraiment pas un problème. Des fois, c'est moi qui lui propose de dormir avec moi, parce que je me suis ennuyé d'elle, et c'est elle qui me dit non! Ben oui, elle a commencé à faire ça récemment... », confie-t-il en riant.

Il faut croire que ses enfants s'habituent à leur nouvelle vie, leur nouveau lieu, leur nouveau lit.

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Ils ont d'ailleurs toujours été très affectueux entre eux. Stéphane confirme avoir toujours dormi avec ses enfants bébés, et sa petite dernière a mis plusieurs années avant de passer une nuit complète toute seule. « Quand les enfants sont jeunes, je dirais jusqu'à 4 ou 5 ans, moi je trouve que c'est naturel d'être près d'eux. C'est vrai que pour l'intimité, ça peut être long, quatre ou cinq ans. Mais en même temps, quand tu as des enfants, tu les aimes. Alors tu deviens créatif pour l'intimité! »

Et quand il ramènera une copine à la maison, quoi faire si sa fille décide de dormir à nouveau avec lui? « Avant qu'il y ait une blonde qui dorme à la maison quand mes enfants sont là, ils vont apprendre à la connaître et à l'aimer. Ce sera à gérer rendu là. Mais non, ça ne me fait pas peur. »