Quand on lui parle de réconciliation, Sandra* répond avec lassitude qu'elle y croit peu. Au mieux, elle se montrera polie si elle croise son père, avec qui elle a rompu la communication il y a quatre ans. Néanmoins, elle veille soigneusement à l'éviter.

«Quand mon père a refait sa vie, ce que je n'ai pas compris sur le coup, c'est qu'il construisait une nouvelle famille. Une famille à laquelle je n'appartenais pas. J'étais encore aux études, j'étais jeune, et il achetait un appartement dans laquelle je n'avais pas de chambre. Un peu plus tard, il fêtait Noël avec les enfants de ma belle-mère, mais moi je n'étais pas invitée. Oui, ça m'a pris du temps à comprendre», confie-t-elle.C'est après 12 années de frictions avec son père et sa belle-mère que Sandra décide de rompre la communication. «Je le vis assez bien maintenant. Je dirais même que ce sont toutes les rejets en cours de route qui ont été extrêmement pénibles à vivre. Maintenant, je vis une sorte de soulagement», raconte-t-elle.

Aujourd'hui mère à son tour, elle n'envisage pas de réconciliation dans un proche avenir. Elle explique que les tentatives de son père pour renouer les liens n'ont été en fait que des séances où il s'informait de son état mental, «sans comprendre». «Il n'a pas compris ce que ça m'a fait. Il m'a chassée», souffle-t-elle.

Le psychologue et thérapeute Marc Pistorio affirme qu'il peut être sain de prendre une certaine distance quand une relation devient trop difficile à vivre. Le psychologue ajoute que parfois la distance est nécessaire. Quand une personne souffre, elle peut avoir besoin de recul, croit-il, même lorsqu'il s'agit d'un proche parent. Par la suite, la relation peut évoluer. Ou pas.

La thérapeute française et auteure du livre Je t'en veux, je t'aime, Isabelle Filliozat, soutient elle aussi que la distance peut être bénéfique. Elle estime que la séparation doit se prolonger jusqu'à ce que la personne blessée arrive à ne plus entretenir de rancoeur. Ce n'est que lorsqu'une réelle empathie pour le parent s'installe que la réconciliation est possible, ajoute-t-elle.

Et si, un jour, une partie ressentait un désir de réconciliation, la fin hollywoodienne n'est pas acquise, prévient-il.

«Il faut d'abord que l'autre personne ait envie aussi de se réconcilier. Aussi, il faut se demander : " Qu'est-ce qui m'anime à vouloir réparer le lien ? " S'il y a de la culpabilité, ce n'est pas une bonne raison, dit-il. S'il y a une volonté sincère de résoudre, alors là, c'est possible.»

En France, la psychologue et auteure Isabelle Filliozat insiste sur l'importance de ne pas couper les ponts. S'éloigner, oui, mais sans jamais totalement couper les ponts.

«Je ne dis pas que c'est réaliste dans tous les cas, mais la réconciliation est souhaitable. Même dans le cas d'abus vraiment effarants, quand une personne est capable de mesurer les émotions qu'un proche a dû traverser, c'est possible. Quand une personne blessée se sent comprise, elle ressent une gratitude qui l'apaise», explique-t-elle.

Au Québec, des psychologues peuvent accueillir dans une même séance plusieurs membres d'une même famille qui voudraient se réconcilier. Le service de référence de l'Ordre des psychologues peut diriger les familles vers un professionnel habitué à ce genre de médiation.

«Et même avec un professionnel, c'est une invitation à la réconciliation, pas un gage de réussite, nuance Marc Pistorio. Quand on se lance, il faut accepter que nous n'aurons pas tout ce qu'on voulait de la part de l'autre.»

*Sandra a préféré taire son vrai nom pour préserver l'anonymat des autres membres de sa famille.