Usés par une série de déceptions, des parents en viennent à couper les ponts avec un enfant devenu adulte. De plus en plus, c'est aussi l'inverse qui se produit. Malgré la portée de cette décision, certains ne voient aucune autre issue. Et si, parfois, il était bon de rompre avec sa famille ?

Véronique ne fêtera pas Noël avec son père. Elle ne sait pas où il vit et lui, il ignore qu'il sera grand-père dans deux semaines. Et c'est très bien ainsi, lance-t-elle, sans la moindre amertume.

«Je ne suis pas du genre à déchirer des photos de lui. Je porte son nom de famille et c'est correct. Mais je n'ai pas besoin de lui», explique-t-elle calmement.

Elle a longuement réfléchi à la question et elle ne regrette rien. Il y a quatre ans, elle a tourné le dos à un homme qu'elle qualifie de «manipulateur». Attablée devant un chocolat chaud, elle raconte son histoire sans sourciller, comme un film qu'elle a repassé 100 fois dans sa tête.

Enfant, elle vit une relation harmonieuse avec son père. Quand ses parents se séparent, alors qu'elle a 10 ans, elle le visite toutes les deux semaines et apprécie ces moments. Puis, il disparaît sans laisser d'adresse pendant un an.

À son retour, il se dit pauvre et raconte à ses trois enfants qu'il ne mange pas à sa faim. Touchés, les adolescents lui versent leur allocation. Semaine après semaine, raconte Véronique.

«Il buvait tout le temps. Et nous lui donnions de l'argent pour qu'il s'achète du pain», dit-elle en levant les yeux au ciel. Quelques années plus tard, Véronique mesure l'ampleur des problèmes de son père et elle estime qu'elle et ses frères sont manipulés. Une série d'incidents mine leur relation au fil des ans.

Jusqu'à ce qu'un jour, il s'installe chez son frère aîné et vive à son crochet. «Mon frère était vulnérable. Il avait toujours senti que mon père ne s'intéressait pas à lui. Mon père ne payait pas de loyer, et buvait plus d'alcool. Il n'était pas violent, mais il buvait tout le temps», raconte-t-elle.

Dans le temps des Fêtes il y a quatre ans, le frère de Véronique en a assez. Il demande à son père de partir. Véronique est témoin de la querelle qui suit. C'est la dernière fois qu'elle le voit. Par la suite, elle décide qu'elle n'a plus besoin de lui dans sa vie.

«Ce n'est pas triste, dit-elle. Je ne suis pas seule. J'ai ma mère, mes deux frères, mon chum et ma belle-famille. Le père de mon chum, c'est lui que je considère comme mon père.»

Un long processus

Sans se prononcer précisément sur l'histoire de Véronique, le psychologue et médiateur Marc Pistorio croit que la décision de rompre avec un membre de sa famille survient toujours au bout d'un long cheminement. «Ça ne se fait pas sur un coup de tête. Ça se fait sur la prise de conscience d'une douleur relationnelle qui se vit depuis longtemps, explique-t-il. Il faut savoir qu'on n'a pas d'obligation d'être en relation avec ses parents, ou avec qui que ce soit.

«Un des deuils les plus difficiles à faire, dans la vie, c'est celui du parent qu'on n'aura jamais, affirme-t-il. C'est de se dire que puisque ce parent-là est une source de souffrance, on peut choisir de le garder à distance.»

La psychologue française Isabelle Filliozat, auteure du livre Je t'en veux, je t'aime, note que ce sont de plus en plus les enfants qui imposent cette distance. «Avant, il était plus fréquent que des parents rompent avec leurs enfants. Ils disaient : " Je te déshérite! " Aujourd'hui, ce genre d'histoire survient moins. Dans ma pratique, je rencontre de plus en plus l'inverse : des enfants qui s'éloignent de leurs parents.»

Véronique ne sait pas si elle reparlera un jour à son père. Elle se prépare pour le jour où il voudra lui reparler, mais elle n'entretient pas l'espoir de le revoir.

Malgré le caractère assumé de sa décision, des inquiétudes demeurent tout de même, en arrière-plan. «La seule chose qui me fait peur, c'est le jour où il va mourir, confie-t-elle. Si quelqu'un m'appelle pour me dire qu'il est mort, je ne sais pas comment je vais réagir. La mort, je ne sais pas.»