De plus en plus nombreuses. De plus en plus tôt. Parvenus à l'âge de 16 ans, 20% des enfants nés au début des années 60 avaient passé une partie de leur vie avec un parent seul. Pour les cohortes récentes, cette même proportion d'un sur cinq s'applique aux enfants de 5 ans!

«Il n'est pas rare que les gens se séparent alors qu'ils ont des enfants en bas âge, ou lorsque la femme est enceinte», observe Sylvie Lévesque, directrice générale de la Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec (FAFMRQ). 

Le plus souvent, on le sait, ce sont les mères qui en subiront les plus grandes répercussions financières. «Du jour au lendemain, il faut quitter l'appartement ou la maison», indique Laurence Lagouarde, directrice du Service Entraide Passerelle (SEP), un organisme d'aide aux mères seules. Les frais qui étaient partagés dans un logement commun sont désormais à sa seule charge. Si la mère ne travaillait pas parce qu'elle s'occupait d'un enfant en bas âge, elle devra trouver une garderie, un travail, peut-être retourner aux études.

Dans certaines circonstances, la situation est à ce point intenable que le SEP suggère à la mère de se tourner vers l'aide sociale, le temps de rebâtir une base financière plus saine. «C'est la tirer vers le bas plutôt que vers le haut, reconnaît Mme Lagouarde, mais autrement elle n'aurait rien.»

En 2006, au Québec, le revenu médian après impôt des familles monoparentales dont le chef est une femme s'établissait à 34 000$. C'est 9000$ de moins que les familles monoparentales dirigées par un homme, dont le revenu médian après impôt atteignait 42 900$.

De plus en plus nombreuses, de plus en plus tôt... mais, malgré tout, pas nécessairement de plus en plus pauvres. Le programme de soutien aux enfants a quelque peu soulagé les familles monoparentales - «ce qui ne veut pas dire que la vie est belle», rappelle Sylvie Lévesque. Les familles monoparentales le restent moins longtemps. Les familles se recomposent plus rapidement. «La réalité est différente», souligne-t-elle: moins de ces mères sont prestataires de l'aide sociale. Davantage sont au travail ou aux études. Elles sont plus scolarisées.

Cette transition est illustrée par l'expérience d'une jeune femme qui a eu seule un enfant dont le père était présent, puis, quatre ans plus tard, un autre sans que le père ait voix au chapitre. «Ce sont des chicanes depuis 12 ans sur qui doit payer quoi, comment on organise les dépenses», narre-t-elle à propos de son premier enfant.

Dans le cas de son second enfant, «ça n'a pas été une période plus difficile financièrement, mais une période où il fallait être plus vigilant, raconte-t-elle. Sans conjoint, on n'a pas de coéquipier pour pallier les moments plus durs, pour économiser. C'est un peu plus serré, mais je n'ai pas trouvé ça plus difficile qu'en couple et, à certains égards, j'évitais les discussions!»

La garde partagée se répand de plus en plus, ce qui laisse croire à un partage plus équitable du fardeau financier. Mais ce n'est pas si net. Souvent - même s'il y a des exemples de l'inverse -, la femme assumera plus que sa part des responsabilités. «C'est elle qui va devoir acheter les vêtements, qui va devoir demander à l'autre le remboursement de la moitié de la facture», insiste Laurence Lagouarde. La mère avance cet argent, engage des dépenses de transport. Et si le remboursement entraîne des difficultés récurrentes, elle laisse finalement tomber.

Et encore faut-il que l'arrangement soit réaliste et réalisable, constate Mme Lagouarde: «On voit des gardes partagées entre Montréal et Val-d'Or, à raison de deux semaines à un endroit et deux semaines à l'autre.»

Rien pour simplifier la vie.

Ce n'est pas parce que c'est mono que c'est simple

Les finances des familles monoparentales demandent une attention et des précautions particulières. Voici les rappels, observations et suggestions de quelques conseillers. Comme quoi même mono, on n'est pas seul.

Revoir les bénéficiaires

Votre univers conjugal a récemment subi un séisme? «Il faut être sûr qu'on refait les désignations de nos bénéficiaires», avise la planificatrice financière Lison Chèvrefils. Peut-être en effet faudra-t-il remplacer le nom du bénéficiaire des polices d'assurance vie privées ou collectives, des régimes de retraite...

Attention aux comptes communs

N'oubliez pas d'annuler les cartes de crédit communes. Une évidence, pensez-vous? «À l'ACEF de l'Est de Montréal, on rencontre des femmes qui sont séparées depuis longtemps, dont la carte de crédit commune n'avait pas été annulée, relate la conseillère budgétaire Lise Morin. Elles étaient restées responsables des dettes contractées par leur ex-conjoint.» Le même principe s'applique à l'auto achetée en commun dont le contrat de prêt n'est pas échu au moment de la séparation.

Cultiver ses réseaux

Après une séparation, le réseau prend une importance capitale, insiste Lise Morin. Plusieurs puiseront un soutien dans leur famille ou auprès de leurs amis. Une jeune femme de sa connaissance s'est ainsi tournée vers les groupes communautaires, où elle a trouvé un soutien concret - des vêtements, par exemple - mais aussi des amies qui vivaient les mêmes difficultés.

Révision du budget

Il est souvent indispensable de revenir à la base de la gestion: le budget.

Les cours budgétaires de l'ACEF de l'Est sont souvent fréquentés par des femmes qui se sont séparées récemment. Elles doivent apprendre à gérer une situation budgétaire éclatée. Les frais fixes - toutes les dépenses de logement, notamment - ne sont plus partagés.

«On est davantage obligé de faire attention à ses sous, car personne ne prend le relais si on tombe malade ou si on perd son emploi, observe Lise Morin. Il faut donc davantage de rigueur dans le budget.»

Plusieurs des clientes que Lison Chèvrefils a rencontrées redoutaient l'exercice, et surtout ce qu'il révélerait sur leur véritable situation financière. «On pense souvent que, si on se met à faire un budget, on n'arrivera pas, et on aime mieux fermer les yeux, indique-t-elle. Au contraire, on se rend compte qu'on arrive, ou même qu'on dégage un surplus. Il est plus réconfortant de prendre ses affaires en main que d'angoisser sur l'inconnu.»

Une pension alimentaire versée par le conjoint peut nuire à la planification budgétaire.

Se constituer une réserve

La réserve budgétaire est alors encore plus importante pour la famille monoparentale que pour un couple. "Il faut une réserve d'au moins trois mois de revenus en cas de maladie ou de perte d'emploi", insiste Aurèle Courcelles, directeur principal, planification fiscale et successorale pour le Groupe Investors. Il reconnaît toutefois qu'il s'agit là d'un exploit difficile à accomplir pour une famille monoparentale.

À cet égard, Lison Chèvrefils suggère d'utiliser les allocations familiales - si elles ne sont pas indispensables au budget. «Vous savez qu'elles entrent à telle date dans votre compte de banque, dit-elle. Le lendemain, vous faites un prélèvement automatique.» Et hop, dans un compte d'épargne à intérêt élevé, ou tout autre placement sûr et facilement encaissable.

Planifier l'assurance vie

Le décès du parent qui élève seul son enfant constitue le plus grand risque couru par celui-ci. L'assurance vie est indispensable... encore une fois, si on en a les moyens.

L'indemnité doit être suffisante pour couvrir les frais de subsistance de l'enfant jusqu'à ce qu'il accède au marché du travail, mais également une part raisonnable du coût de ses études postsecondaires.

Aurèle Courcelles rappelle que les spécialistes en assurances de personnes pourront aider le parent à évaluer ses besoins pour qu'il soit suffisamment assuré, suffisamment longtemps... sans l'être trop.

«Mais on ne laisse pas un enfant de 18 ans recevoir une grosse somme, prévient Lison Chèvrefils. C'est du gaspillage et ça ne l'aide pas à garder la tête froide et à prendre de la maturité.» L'enfant ne doit donc pas être nommé directement bénéficiaire de l'assurance. On désigne plutôt une fiducie testamentaire, ou plus simplement les ayants droit, c'est-à-dire, dans ce cas-ci, les héritiers. C'est alors dans le testament que l'on doit apporter les précisions nécessaires.

Revoir son testament

Le testament, lui aussi incontournable, doit être révisé après la séparation, ou rédigé s'il n'existe pas encore. Vous y décrirez comment vos biens et les indemnités des assurances seront distribués à vos enfants. Le plus souvent, explique Lison Chèvrefils, les enfants toucheront un certain pourcentage à 18 ans, une autre portion à 21 ans, et le solde à 25 ans.

Le tuteur s'assurera de l'exécution des voeux du parent. «Au Québec, les deux parents sont automatiquement tuteurs», précise Aurèle Courcelles. Si un parent décède, l'autre est tuteur d'office. «Mais on peut nommer un tuteur au deuxième décès», ajoute-t-il.

Le mandat en cas d'inaptitude, à prévoir lui aussi, prend d'autant plus d'importance que le parent est seul.

Assurance sur la vie de l'autre parent

«Ce sont davantage les femmes qui vont se pencher sur l'assurance vie et qui vont insister pour que le père conserve la sienne», observe Lison Chèvrefils. Pour une bonne raison: si celui-ci décède, la pension alimentaire disparaît avec lui.

C'est pourquoi les ex-conjoints peuvent convenir que le parent qui verse la pension alimentaire souscrira une assurance vie temporaire au bénéfice de l'autre parent, jusqu'à la maturité de l'enfant.

Il y a toujours risque d'une résiliation unilatérale de la police. Lison Chèvrefils suggère à ce propos que chaque parent soit propriétaire de l'assurance souscrite par l'autre. L'un ne peut donc l'annuler ou changer le bénéficiaire sans l'accord du second.

Le risque d'invalidité

Pour les mêmes raisons - une seule source de revenus et aucun conjoint pour prendre le relais -, l'assurance invalidité revêt elle aussi une importance capitale. Plusieurs employeurs l'offrent dans leur éventail d'avantages sociaux. «Il s'agit de regarder quels sont les termes du contrat et les conditions d'admissibilité et quelle est la définition de l'invalidité», recommande Aurèle Courcelles.

Si on n'a aucune assurance invalidité collective avec son employeur, ou si elle ne suffit pas à couvrir les dépenses essentielles durant l'invalidité, il faut au moins considérer la possibilité d'une assurance individuelle, suggère M. Courcelles.

Encore une fois, des moyens limités imposeront des restrictions aux meilleures volontés. «Il faudra peut-être faire un dosage entre l'assurance vie et l'assurance invalidité», suggère la conseillère en sécurité financière Nathalie Lacharité.

Attention au fisc

Règle générale, les avantage fiscaux accordés aux familles monoparentales sont les mêmes que ceux des couples mais, en raison de leur précarité financière, il est d'autant plus important de n'en laisser échapper aucun. «Ça dégagera peut-être l'argent nécessaire aux assurances», avance Aurèle Courcelles.

Les frais de garde d'enfant, par exemple, donnent droit à une déduction au fédéral et à un crédit remboursable au provincial. «La valeur du crédit prend de l'ampleur étant donné qu'il y a seulement un parent», observe-t-il.

Il mentionne encore le crédit pour enfant à charge de 2000$ au fédéral, les crédits pour l'activité physique des enfants, les titres mensuels de transports en commun. Les crédits pour études postsecondaires, droits de scolarité et intérêts sur les prêts étudiants sont demandés par l'étudiant mais peuvent être transférés au parent.

Il en ajoute un autre, méconnu: le crédit fédéral pour personne à charge. En l'absence d'un conjoint, le contribuable chef de famille monoparentale peut demander ce crédit pour un de ses enfants. Il vaut 15% sur un maximum de 9600$.

Impôt au décès

Au décès du parent seul, la succession devra payer des impôts sur les REER et les propriétés autres que la résidence principale. «Il ne sera pas possible de transférer le REER ou le chalet au conjoint pour reporter l'impôt, explique Lison Chèvrefils. Ce sont les enfants qui en héritent.» Ils devront acquitter les impôts sans délai.

L'une des solutions couramment proposées est de souscrire une police d'assurance vie dont l'indemnité servira à payer ces impôts. «Mais il faut le planifier, indique Mme Chèvrefils. Il faut donc refaire le portrait de la planification successorale fiscale.» Cette situation fait justement l'objet de la chronique Sous la loupe de cette semaine.

Dettes partagées et hypothèques:

«En médiation, un conjoint peut vouloir garder la maison, au prix de beaucoup de sacrifices, soulève Lise Morin. Elle se payait bien à deux, mais seul, c'est difficile. Psychologiquement, il n'est pas prêt à réduire son train de vie.»

Le plus souvent, la mère voudra conserver la maison pour que les enfants puissent demeurer dans leur quartier, avec leurs amis. Elle contractera une hypothèque pour payer la part due à son ex-conjoint. Mais la valeur de la maison a peut-être explosé depuis que le couple l'avait achetée. Les mensualités sont lourdes. Une solide évaluation budgétaire s'impose donc avant toute décision.

«Dans l'insécurité, il vaut peut-être mieux prendre un logement pour un an et voir comment ça se passe avec les enfants et le nouveau budget», fait valoir Lison Chèvrefils.

Et la retraite, dans tout cela?

L'épargne pour la retraite? En dernier lieu, si le budget dégage un surplus, ou lorsque les enfants auront quitté le domicile familial. Aurèle Courcelles estime qu'il faut accorder la priorité aux assurances vie et invalidité: «Si quelque chose arrive, il faut protéger les enfants», insiste-t-il.

À propos de REEE

«Il faut profiter des REEE!», lance Nathalie Lacharité, conseillère en sécurité financière. Car il y a peut-être une chance dans votre malchance: les revenus de votre famille, devenue monoparentale, sont peut-être passés sous le plafond qui donne droit aux bons d'études pour personnes à faibles revenus.

«Le bon d'études pour enfant né après le 31 décembre 2003 s'adresse aux familles dont le revenu ne dépasse pas 37 178$ pour 2008, explique-t-elle. C'est un revenu plus plausible pour les familles qui sont monoparentales.»

Le bon d'études verse 500$ dans le REEE de l'enfant, plus 100$ par année dans les années subséquentes. Il n'est pas nécessaire que le parent contribue lui-même au REEE. Par ailleurs, il faut laisser courir dans la famille le bruit qu'un REEE a été ouvert au nom de l'enfant. «Je reçois pour mes clients des chèques de 50$ ou de 100$ des grands-parents, qui seront bonifiés de 20% par la subvention fédérale», ajoute-t-elle.

Le REER peut cependant être une pomme de discorde. Deux parents séparés ont participé au REEE de leur enfant du temps où leur relation baignait dans la félicité? C'est le souscripteur - celui qui a ouvert le compte - qui disposera du capital une fois que l'enfant aura entamé ses études postsecondaires. L'autre parent s'en trouvera peut-être vexé...

«Souvent, dans ce cas, on ouvre de nouveaux comptes REER», explique Anne-Marie Millaire, conseillère budgétaire à l'ACEF de l'Est de Montréal. «Si le compte avait été ouvert à l'origine par les deux conjoints, il faudra convenir d'une nouvelle entente.»

En somme: il faut un plan

Plusieurs de ces recommandations sont idéales, dans le sens où, aussi nécessaires soient-elles, de très nombreux parents seuls n'auront pas les moyens de les mettre en oeuvre simultanément.

Or, plus encore qu'un couple, le parent seul doit voir loin, malgré ses courtes ressources financières. Cette vision à long terme, Aurèle Courcelles l'appelle un «plan financier global qui tient compte de toute éventualité».

Il s'agit simplement de rencontrer un planificateur ou un conseiller budgétaire, question de faire le point et de tracer la route.

Pour la navigation en solitaire, c'est indispensable.

LE REVENU APRÈS IMPÔT DES FAMILLES MONOPARENTALES (QUÉBEC)

Revenu médian après impôt

Toutes les familles économiques*: 51 641$

Couples avec enfants: 64 957$

Familles monoparentales: 36 440$

Famille monoparentale avec femme comme chef: 34 003$

Famille monoparentale avec homme comme chef: 42 929$

*Groupe de deux personnes ou plus qui vivent dans le même logement et qui sont apparentées par le sang, par alliance, par union libre ou par adoption.

SOURCE: STATISTIQUE CANADA, RECENSEMENT DE 2006

QUELQUES CHIFFRES...

En 2006, les familles monoparentales représentaient 15,9% de l'ensemble des familles, la proportion la plus élevée depuis 75 ans.

La proportion de familles monoparentales était très élevée dans le premier tiers du XXe siècle. En 1931, 13,6% des familles étaient dirigées par un seul parent. Cette proportion n'a été dépassée qu'en 1996.

Source: Statistique Canada

Des 1 414 100 familles dénombrées au Canada en 2006, 80% étaient dirigées par une femme et 20% par un homme. Entre 2001 et 2006, les familles monoparentales dirigées par un homme ont crû de 14,6%, soit plus du double du taux de 6,3% observé chez celles qui avaient une femme à leur tête.

Source: Statistique Canada

«Parmi les enfants nés au début des années 1960, 20% avaient, à l'âge de 16 ans, passé une partie de leur vie avec un parent seul. Une décennie plus tard, 20% étaient dans la même situation dès l'âge de 12 ans, à celui de 7 ans au début des années 1980, et à 5 ans pour les plus récentes cohortes.»

Source: Conseil de la famille et de l'enfance, Rapport 2005-2006 sur la situation et les besoins des familles et des enfants - Transitions familiales