«On a fait beaucoup de chemin, mais il reste des délinquants. Il y en a aujourd'hui et il y en aura dans 10 ans. Des services de garde qui servent des Froot Loops au déjeuner, il y en aura toujours», concède Jean-François Belleau, directeur général de l'Association des garderies privées du Québec.

Il réagissait ainsi à la publication d'une enquête dans le magazine Protégez-vous, qui révèle ce mois-ci qu'une partie importante des plaintes faites au ministère de la Famille sont encore liées à l'alimentation des enfants en service de garde. Surtout dans les garderies privées.

«Dans les CPE, les parents font partie du conseil d'administration, explique M. Belleau. Ils se croisent le matin en déposant les enfants. Si quelque chose ne va pas dans la cuisine, ils arrangent ça.» Dans les garderies privées, la même situation peut mener à une plainte, plaide-t-il.

Le directeur du regroupement rappelle toutefois que ses membres ont accès à de nombreuses ressources, à des guides pratiques sur la manipulation des aliments et à des recettes. L'idée est d'éviter que, prise au dépourvu, une garderie serve des croquettes de poulet aux enfants plutôt que le chili végétarien inscrit au menu cette journée-là - ce qui arrive parfois.

«Des horreurs, il y en a encore», tranche Christa Japel, professeure au département d'éducation et de formation spécialisée de l'UQAM.

En 2002, une étude réalisée par Mme Japel a conclu que le quart des garderies en milieu familial et des garderies privées du Québec offraient des services carrément inadéquats. Qu'en est-il huit ans plus tard? «C'est triste, mais je ne crois pas que ça se soit amélioré», conclut la chercheuse.

Lorsqu'il y a des coupes, c'est bien souvent dans la cuisine qu'on cherche à faire des économies.

Christa Japel note toutefois que les initiatives pour améliorer les services alimentaires en service de garde se multiplient au Québec et que cela devrait inévitablement se traduire par une bonification de l'offre, en général.

Pour une politique alimentaire?

La chercheuse serait très favorable à l'adoption par Québec d'une politique alimentaire dans l'ensemble des services offerts au préscolaire.

Sa collègue Pascale Morin, chercheuse à l'Université de Sherbrooke, est d'accord. «Ce serait une politique, pas une loi, mais au moins, ça devrait aider les services de garde qui en ont besoin à mieux se structurer», dit-elle. «Les habitudes alimentaires s'acquièrent à un tout jeune âge», souligne aussi Mme Morin. D'où l'importance de s'assurer que les petits reçoivent une éducation alimentaire adéquate. Heureusement, ses recherches ont toutefois montré que, aujourd'hui, au Québec, c'est généralement le cas.

Une grande partie de la conscientisation a été faite, explique Philippe Grand, nutritionniste au centre de nutrition Extenso. Le centre travaille justement à faire un diagnostic de la situation de l'alimentation en service de garde.

Toutefois, le principal problème de ces études est qu'elles sont toutes faites auprès de CPE et garderies qui veulent bien y participer.

Or, si un service a de graves problèmes dans les cuisines, il est fort peu probable qu'il acceptera qu'on vienne se mettre le nez dans ses chaudrons. De même, il y a bien des chances pour que les garderies présentent un beau menu le jour de la venue des chercheurs.

«C'est un biais avec lequel on doit vivre», admet Philippe Grand, qui croit néanmoins que la situation est nettement meilleure aujourd'hui qu'il y a 10 ans.

L'alimentation des enfants est un sujet d'actualité, dit-il, cela a amené les parents à s'intéresser de près au menu des garderies.

«Ceux qui servent encore des hot-dogs ou des croquettes le font généralement par ignorance; c'est un problème qui se règle assez facilement», dit Philippe Grand.

Un chef de l'Institut de tourisme et d'hôtellerie du Québec fait partie de l'équipe d'Extenso dans ce projet. Il devra préparer des recettes qui seront testées par un comité composé notamment de responsables de garderie. «Notre but est de fournir des solutions applicables», indique Philippe Grand.

Le groupe adopte une vision plutôt libérale de la saine alimentation afin de ne pas entrer dans un mode «contrainte», au contraire: la vie n'est pas faite que de blé complet et de fruits frais. «Toutefois, on nous dit parfois que les enfants mangent mal à la maison, dit-il. Alors, l'alimentation en service de garde devrait être exemplaire.»

Et pas seulement dans le contenu de l'assiette, note la nutritionniste Stéphanie Côté, aussi membre du groupe Extenso. Tout l'environnement du repas est déterminant dans l'éducation des enfants. Les éducatrices deviennent donc des coachs de l'alimentation. «Elles sont des modèles pour les enfants», explique Stéphanie Côté.

«C'est primordial de ne pas mettre de côté le plaisir de manger, dit-elle. Car beaucoup de choses se jouent à cet âge-là.»