C'était un jeudi midi de fin d'été et Justin dévorait son repas avec appétit.

Il faut dire que, lorsqu'on vous sert de la baleine et du requin bien assaisonnés, vous n'hésitez pas longtemps: vous attaquez.

Parfois, au menu de son CPE, c'est plutôt la tapenade de sardines, une spécialité de la maison, accompagnée de légumes biologiques. Il y a aussi des burgers de truite et des croustilles de courge.

Normal, quand on est en plein coeur du Plateau, n'est-ce pas? Sauf qu'on en est très loin. Nous sommes à Saint-Gabriel-de-Brandon, au CPE Le Siffleux, dans un milieu considéré comme défavorisé.

Plusieurs raisons expliquent que la cuisine se trouve au coeur de ce petit CPE de campagne. Qu'il soit en milieu défavorisé en est une. Parfois, les petits arrivent le ventre vide. Pour ceux-là, les aliments consommés au centre sont souvent les plus nutritifs qu'ils auront dans la journée.

Mais il y a plus: en mangeant bien, ils deviennent de bons mangeurs. Ils apprennent à définir leurs goûts, élargissent leur palette et emportent ce bagage une fois qu'ils quittent la garderie, explique Dave Harvey, de l'Action régionale des CPE de Lanaudière.

«On a la responsabilité de favoriser leur développement et leur bien-être physique, et ça passe aussi par l'alimentation», dit-il. Lanaudière est la première - et toujours la seule - région du Québec à s'être dotée d'une politique alimentaire pour l'ensemble de ses CPE.

Au départ, l'idée était de fixer des balises et de donner du soutien - parfois même des recettes. Cette tapenade de sardines, par exemple, vient de Chantal Durand, qui offre de la formation aux responsables de l'alimentation des CPE de la région. Elle parle des herbes qui remplacent le sel et donnent du goût, de la gélatine neutre qui donne de la texture aux desserts sans les rendre gras. Son but: démontrer qu'on peut cuisiner des choses bonnes au goût et bonnes pour la santé pour pas cher, explique-t-elle en entrevue sur le balcon du CPE.

C'est précisément l'un des points forts de la politique alimentaire mise sur pied dans Lanaudière: on a pensé au goût. Évident? Que non! Lorsqu'on s'adresse aux plus grands et qu'on vise la malbouffe, on oublie souvent le goût pour laisser toute la place à la valeur nutritive.

Dans Lanaudière, on a pensé à l'un sans négliger l'autre.

Le jour de notre visite, on servait des fajitas de tilapia - ou de requin et de baleine, selon l'imagination du client -, avec légumes grillés et salsa. En salade d'accompagnement, pois chiches et crudités à volonté.

«Avez-vous remarqué que les enfants ouvrent leur fajita? a noté la responsable des repas, Françoise Morel. Ils veulent voir ce qu'ils mangent et choisir ce qu'ils aiment.»

Cela fait partie de l'éducation du goût, qui se forme par tous les sens.

Les tout-petits voient Françoise travailler dans sa cuisine. Ils sentent que l'heure du dîner approche quand les odeurs se rendent jusqu'à leur local.

«Dans certaines maisons, explique Chantal Durand, il n'y a plus jamais d'odeur de repas parce que les gens ne cuisinent plus.»

Au Siffleux, la cuisine de Françoise ouvre l'appétit. Les enfants acquièrent ainsi des aptitudes à bien manger, explique Chantal Durand. L'exercice est préventif. «Au secondaire, ils auront moins envie de manger la pizza du resto du coin», pense-t-elle.

Cuisine familiale

Une chose distingue les cuisines des services de garde de celles de la plupart des grandes écoles: leur taille.

Encore aujourd'hui, la responsable de l'alimentation de la garderie fait la plupart du temps une cuisine familiale. Dans les écoles primaires, mais surtout secondaires, la cafétéria est gérée par des entreprises externes, parfois des multinationales, qui achètent des aliments prêts à réchauffer.

La politique alimentaire encourage la préparation de repas à base d'ingrédients frais. L'intérêt nutritionnel se heurte toutefois à un obstacle de taille: le budget.

Au Siffleux, Françoise Morel fait des miracles pour continuer de cuisiner avec du fromage alors que son prix a doublé en quatre ans. Pour les cucurbitacées, elle va directement à La Courgerie, à Sainte-Élisabeth, chercher des légumes à bon prix et des conseils (gratuits) pour les apprêter. Elle se rend aussi à l'érablière pour acheter 17 gallons de sirop, ce qui dure toute l'année. Françoise remplace le sucre par le sirop le plus souvent possible, même si c'est plus cher. Le porc, moins coûteux, est la viande la plus cuisinée. Il partage même sa place avec le tofu dans la sauce à spaghetti pour réduire encore plus les coûts sans réduire la valeur nutritive. Le poulet est acheté en solde et les biscuits au chocolat... jamais!

La politique contient son lot d'aliments interdits.

Le biscuit au chocolat n'a pas sa place dans un contexte d'éducation, explique-t-on. Mais on fait des exceptions dans les occasions spéciales, indique Élise Dufresne, directrice du Siffleux. Il n'y a plus de gâteaux d'anniversaire «avec trois pouces de glaçage» depuis belle lurette, dit-elle, mais il y a du chocolat à l'Halloween. «On ne veut pas créer une culture de l'interdit», souligne la directrice. «Et on ne veut pas créer une culture de la culpabilité», ajoute Dave Harvey. L'aliment-plaisir, ce n'est pas les croustilles, dit-il.

«On fait parfois un feu dehors et les enfants peuvent faire griller des guimauves», explique Élise Dufresne. Il y a aussi un barbecue à la rentrée et on sert des hot-dogs! Et parfois, dans les journées vraiment exceptionnelles, il y a de la baleine et du requin au menu.

À éviter, à table, avec les tout-petits

- Forcer les enfants à finir ce qu'il y a dans leur assiette

- Catégoriser les aliments: les bons et les mauvais

- Présenter les gâteries comme des récompenses

- Interdire systématiquement certains aliments

- Priver les enfants plus ronds de dessert

- Présenter un aliment selon ses valeurs nutritives

- Sortir tambours et trompettes si on sert de la crème glacée

Stéphanie Côté, nutritionniste, auteure du livre Un enfant sain dans un corps sain