Les petits garçons, hommes de demain, auront un rôle crucial à jouer pour que soit atteinte l'égalité entre les hommes et les femmes, soulèvent des experts. Élever un fils féministe prend alors tout son sens à notre époque. Oui, mais comment s'y prendre? Des chercheuses en pédagogie féministe, un papa blogueur et une auteure s'intéressant à l'éducation des garçons nous exposent quelques pistes de réflexion.

Un dimanche de janvier, alors que notre entrevue avec Rachel Giese est prévue pour 10 h, la journaliste et auteure torontoise nous envoie un courriel le matin même pour que nous reportions notre appel.

À 10 h 30, au bout du fil, elle nous explique son léger retard: «Mon fils et moi étions sortis faire l'épicerie», dit-elle.

Rachel Giese, mère d'un adolescent de 15 ans qu'elle a adopté, nous parle alors de l'importance d'enseigner aux garçons la valeur du partage des tâches domestiques. «Il vient avec moi faire l'épicerie parce que je veux lui faire comprendre ce que c'est», indique-t-elle.

Dans la même veine, le jeune homme apprend les bases de la cuisine, il fait parfois la vaisselle et ses mères lui ont appris à faire sa lessive.

Rachel Giese et sa conjointe veulent lui inculquer que ces tâches traditionnellement considérées comme destinées aux femmes le sont seulement parce qu'une «fabrication sociale» l'a voulu.

«Je pense que ce sont des choses importantes à enseigner pour changer la dynamique [homme-femme]», dit celle qui a publié l'an dernier le livre Boys: What It Means to Become a Man, qui aborde la façon d'éduquer les garçons sans leur imposer des «règles toxiques» concernant la masculinité.

En toute neutralité

«Si l'on souhaite enseigner l'égalité, il faut avant tout éviter les construits sociaux qui emprisonnent les enfants dans un certain rôle que l'on veut que sa catégorie de sexe assume», croit Anastasie Amboulé Abath, professeure au département des sciences de l'éducation de l'Université du Québec à Chicoutimi et experte en pédagogie féministe.

Il est important de faire comprendre aux garçons qu'ils peuvent jouer au hockey, mais aussi jouer à la poupée ou faire du patinage artistique, s'ils le veulent. D'ailleurs, associer une attitude ou un intérêt à un genre n'a pas sa place dans une éducation féministe, dit-elle.

Josée Trudel, doctorante en administration et politiques de l'éducation à l'Université Laval, soulève toutefois qu'il vaut mieux ne pas nier les différenciations existantes «socialement construites» qui sont la source des inégalités.

Apprendre à un jeune garçon qu'il se trouve en position privilégiée face aux filles est important, tout comme le fait de lui rappeler qu'il a la capacité d'agir pour changer les choses, expose la chercheuse, qui s'intéresse particulièrement à l'égalité des sexes en éducation à la petite enfance.

Jean-François Quessy, père de deux jeunes garçons et auteur du blogue Un gars, un père, tient à ce que ses fils voient les hommes et les femmes sur un pied d'égalité, avec les mêmes avantages et les mêmes droits. «Je n'éduque pas mes enfants en faisant une différenciation en fonction du sexe et jusqu'à maintenant, je crois que c'est très porteur», affirme-t-il.

La pensée critique

Afin d'établir l'égalité entre les sexes et de l'enseigner aux jeunes garçons, Rachel Giese estime qu'il faut éviter d'être trop prescriptif. «Plutôt que de dire: "Voilà comment tu dois penser et voilà comment tu dois agir", il est préférable de poser des questions et d'expliquer l'impact des mots, des actions», croit-elle.

Si un garçon reproduit des paroles ou des gestes invectivant les femmes, la meilleure réaction serait de le pousser à se questionner sur ce qu'il vient de dire ou de faire. La «pensée critique» est le meilleur outil, dit l'auteure: «Il faut créer des conversations ouvertes où l'on peut parler du monde et de leur attitude dans ce monde de façon constructive.»

Par exemple, illustre Rachel Giese, au lieu de dire à son enfant que la chanson qu'il écoute est sexiste, il est mieux de lui demander ce qu'il pense des paroles.

«On peut dire, pour une chanson ou un film: "Penses-tu que c'est la bonne façon de parler des femmes ou de les montrer?" Plutôt que de poser des interdictions, on peut les laisser comprendre d'eux-mêmes, en les guidant.»

«Pour cela, il importe d'abord de savoir soi-même reconnaître ces situations» et «se conscientiser à nos propres biais inconscients associés à chacun des sexes», ajoute Josée Trudel.

En étant confinés dans un «idéal social» où ils ne pleurent jamais et sont toujours les plus forts, les garçons pourraient tourner le dos à leur sensibilité et à leur empathie, dit Rachel Giese.

Les stéréotypes à éviter sont aussi présents lorsqu'il est question de la dynamique des relations intimes entre hommes et femmes.

Si un garçon pense, à force de l'entendre, que les hommes ne cherchent pas l'amour et ne sont intéressés que par le sexe, il pourrait avoir de la difficulté à dire ensuite que ce n'est pas ce qu'il veut. «Il faut donner différentes expectatives, lui parler de l'amour, de la tendresse et donner une place importante à ses émotions», dit l'auteur.

Les modèles 

Jean-François Quessy explique qu'il est important pour lui de «donner l'exemple». «En tant que père, [je pense que] la première chose à faire, c'est de leur donner l'exemple et être un modèle positif, dit-il. En aucun temps je ne voudrais que mes enfants aient l'impression que j'ai une quelconque "supériorité" sur leur mère. [...] Ce que l'un fait ou dit a autant de valeur que ce que l'autre peut faire ou dire.»

Toutes les personnes que La Presse a consultées s'accordent pour dire que les modèles masculins sont importants. Mais «l'édification d'une société égalitaire incombe à tous», croit Anastasie Amboulé Abath. «Les hommes et les femmes doivent chacun adhérer à cette transformation des rôles, affirme la professeure. Enseigner le féminisme, c'est le rôle de tous, et pas seulement des parents. Toute la communauté doit tendre vers ça.»

La professeure est convaincue que la prochaine génération d'hommes sera féministe. La tendance pointe sans aucun doute dans cette direction, dit-elle.

PHOTO FOURNIE PAR HARPERCOLLINS

Rachel Giese, journaliste et auteure