Avant, le gâteau était le roi des anniversaires. Aujourd'hui, bonbons, barbe à papa, slush et chocolats se succèdent dans les fêtes d'enfants. Un centre de jeu avec pistolets laser de la Rive-Sud va jusqu'à offrir un forfait d'anniversaire appelé «Mission Kilo», où une tarte de bonbons de 1,2 kg est servie. A-t-on oublié le sens de la fête - et de la mesure?

Parce qu'un gâteau ne semble pas être assez

Pour célébrer l'anniversaire d'un enfant, le centre de jeu avec pistolets lasers District 1 Lasertag offre le forfait Mission Kilo. «Cette fête ne porte pas le nom de "Kilo" pour rien, précise l'établissement de Saint-Bruno, sur la Rive-Sud. On aurait pu la nommer "Sugar Rush" ou encore "Mordus de sucre" parce qu'elle vous permet d'avoir tous les accompagnements sucrés dont nous disposons au District pour vous faire vivre une expérience ultime.»

Les enfants invités à une fête Mission Kilo reçoivent tous une slush de 14 oz, une barbe à papa, un cône de bonbons de 150 g et une bouteille d'eau, en plus de partager un grand bol de maïs soufflé et une tarte de bonbons de 1,2 kg. Entre deux bouchées de friandises, ils ont droit à trois parties de Lasertag, qui durent... 12 minutes chacune. «Faut bien dépenser tout ce sucre», plaide District 1 Lasertag sur son site internet. Cela représente un total d'environ 1572 calories et 277,5 g de sucres par enfant (voir troisième onglet).

«Je vais perdre mes dents»

«Je vais perdre mes dents, je n'en reviens pas! a réagi la Dre Julie St-Pierre, de la Clinique 180, spécialisée en prévention de l'obésité infantile, après avoir lu la description de l'anniversaire Mission Kilo. Est-ce qu'il y a de plus en plus de fêtes comme ça, avec des excès? La réponse est oui. C'est préoccupant, surtout si on considère que le sucre est 10 fois trop consommé chez les enfants.»

Selon Statistique Canada, les enfants de 4 à 8 ans mangeaient et buvaient en moyenne 120 g de sucre par jour en 2004, soit 30 cuillerées à thé de sucre. Les filles de 9 à 13 ans en ingéraient 130 g, et les garçons du même âge, plus de 150 g.

«On offre un aliment qui a un potentiel addictif, en surconsommation, indique la Dre St-Pierre. On vient nuire à la satiété de l'enfant. On lui procure un effet euphorisant - il y a un pic d'excitabilité qui suit l'ingestion de ces produits - suivi d'un effet calmant, partiellement dépresseur. Là où ça devient extrêmement vicieux, c'est qu'on dit: "Ce n'est pas grave, on fait ça dans un contexte de sport", observe la Dre St-Pierre. Ça prendrait pourtant de 8 à 10 heures de sport pour être capable d'éliminer la surconsommation de sucre présente dans une telle fête.»

Manger comme récompense

On est loin de l'époque où un simple gâteau était servi au cours d'un anniversaire. Au centre Boulzeye de Pointe-aux-Trembles, le forfait de fête «Tout Accès» inclut pizza, frites, jus, boisson gazeuse ou lait, cupcakes, bonbons et slush pour tous les enfants. Chez ZigZagZoo, à Vaudreuil-Dorion, le forfait «Le Roi de la Jungle» comprend un gâteau, un gros sac de chips, quatre litres de jus, ainsi qu'une slush et un repas par enfant (pizza, croquettes de poulet ou hot-dog avec crudités). Même dans les maisons, les fêtes d'enfants sont ponctuées de chips, de bonbons Skittles, d'oursons en gelée et de chocolats Smarties, en plus du gâteau.

«Beaucoup d'adultes associent sucreries et récompenses, ce qui à mon avis est très malsain», indique Marie-Josée Rainville, nutritionniste à Montréal.

«On apprend à nos enfants à manger leurs légumes pour avoir du dessert [mange ta punition pour avoir ta récompense], on les console avec de la crème glacée, on les félicite avec une pâtisserie, on souligne les anniversaires et les fêtes avec des sucreries en quantité démesurée... Bref, on utilise la nourriture pour gérer les émotions. Pas surprenant qu'on se retrouve avec plusieurs adultes qui mangent pour toutes sortes d'autres raisons que la faim.»

Dur de limiter les bonbons

Mère de trois enfants, Geneviève Gravel a de nombreux anniversaires à l'agenda. «On dirait que les fêtes sont juste une occasion de plus pour manger, quand en réalité, ça devrait être une occasion de se réunir, note la mère de Port-Cartier. Pourquoi ne pas mettre des légumes et des fruits sur les tables? Pourquoi ne pas juger qu'un gâteau, c'est suffisant ? Nous avons tellement d'occasions pour les cochonneries, comme Noël, Pâques et toutes les autres fêtes, pourquoi en rajouter?»

Ses enfants n'abusent pas des gâteaux. «Mais les bonbons, par contre, c'est dur à gérer, constate Mme Gravel. Je m'assure que mes enfants aient bien dîné avant d'aller à une fête, pour éviter qu'ils mangent trop.»

La parole à Madame Bonbons

Isabelle Legault, copropriétaire de la confiserie Madame Bonbons de Mont-Saint-Hilaire, approvisionne District 1 Lasertag. Est-elle à l'aise de donner beaucoup de bonbons aux enfants lors des Missions Kilo? «La tarte de bonbons remplace le gâteau de fête, fait-elle valoir. Les cônes de bonbons, je pense que ça fait partie du cadeau de départ. Et les barbes à papa sont petites. Mais quand même, c'est sûr que c'est du sucre. Il faut que les parents soient à l'aise avec ça.»

Tout est bon avec modération, souligne Mme Legault. «Je pense que c'est bon de manger des chips, mais pas de manger le camion de chips au complet, précise-t-elle. Je pense aussi que ça peut être bon de manger des bonbons. On voit les deux extrêmes, à la confiserie. Des gens qui sont trop raisonnables, qui calculent exactement le nombre de bonbons qu'ils prennent. Et d'autres qui consomment à outrance. C'est fou, ce qu'ils peuvent ingurgiter. Moi, je ne suis pas là pour juger. Je suis là pour vendre mes bonbons. Pour vendre du bonheur.»

La réponse de District 1 Lasertag

«Comme organisation, on s'est posé la question: "Est-ce trop sucré?", puis on s'est dit qu'un anniversaire arrive une fois par année, fait valoir Éloïse Beaulé, présidente et directrice générale de District 1 Lasertag. Pourquoi ne pas se permettre un brin de folie?»

«Bien souvent, c'est la même réflexion que nous avons comme parent, observe Mme Beaulé. On penche beaucoup du côté de l'excès: gâteau en barres de chocolat KitKat, gâteaux garnis de caramel, de bonbons et de chocolat ou encore pièces montées en fondant. Sans parler des bars à bonbons thématisés et des sacs à surprises plein de sucreries de toutes sortes. Il suffit de regarder sur Pinterest, toutes les thématiques "anniversaire" sont chargées de sucre. C'est comme un match parfait!»

«Dans notre comptoir à gourmandises, nous offrons des bonbons et des barbes à papa, poursuit-elle. Nos clients en achetaient pour compléter leurs forfaits d'anniversaire. On nous demandait souvent si nous avions des petits sacs souvenirs pour les invités. Nous nous sommes donc adaptés aux demandes et nous avons proposé un forfait qui comprend ces éléments. Oui, ça fait beaucoup de sucre, mais on le précise, c'est pour les bibittes à sucre! C'est aussi pourquoi nous offrons trois parties de Lasertag dans ce forfait, question d'éliminer tout ce sucre.»

«Une fête chez nous, c'est à la base un événement pour bouger, souligne Mme Beaulé. Le forfait avec bonbons est seulement un de nos sept forfaits de fête. Il est là pour les intéressés, mais ce n'est évidemment pas l'entièreté de notre offre.»

Photo tirée du site internet de District 1 Lasertag

La tarte et les cônes de bonbons de la fête Mission Kilo, chez District 1 Lasertag de Saint-Bruno.

Près de sept fois trop de sucres

Voici ce que consomme un enfant qui participe à une Mission Kilo du District 1 Lasertag, s'il arrive à tout boire et à tout manger.

> Slush 14 oz (430 ml): 244 calories, 55 g de sucre

Maïs soufflé 46 g: 230 calories, 0 g de sucre

Grenouilles en gélatine 150 g: 510 calories, 115,5 g de sucre

Barbe à papa 28 g: 100 calories, 28 g de sucre

Oursons en gélatine 150 g: 488 calories, 79 g de sucre

Total général: 1572 calories, 277,5 g de sucre

Sources: Slush Puppie, Cineplex, Bulk Barn, gouvernement du Canada et Institut national de santé publique du Québec

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND LA PRESSE

Une slush de 14 oz (430 ml) contient 244 calories et 55 g de sucre.

Une fête saine à 80 %

Bien sûr, un gâteau a sa place dans un anniversaire. Mais des aliments sains doivent aussi être offerts aux invités, conseille Geneviève Paquin, nutritionniste à la Clinique 180 de Montréal, spécialisée en obésité infantile.

Quand vous étiez petite, vous n'alliez pas à des fêtes où on servait de la slush, de la barbe à papa et des bonbons en plus du gâteau?

Non, et j'ai 35 ans! C'est tellement plus extrême qu'avant. On est loin des sandwiches pas de croûtes ou du gâteau servi à la fin d'une épluchette de blé d'Inde. Maintenant, durant la semaine, on a beaucoup d'occasions de manger du sucre, avec les Pattes d'ours, les barres tendres, les Goldfish, les desserts, etc. On arrive à une fête et on pousse encore plus loin dans l'excès.

Que conseillez-vous aux parents qui doivent organiser un anniversaire?

D'y aller avec le good enough. Viser 80 % de l'offre alimentaire qui est saine et 20 % d'aliments d'occasion et d'exception, sans mettre l'accent là-dessus. Et ne pas laisser ces aliments en libre accès en tout temps. Je suggère fréquemment aux familles de faire une fête thématique «Découverte du monde», où chacun apporte un plat d'un pays. Quelqu'un est responsable de trouver de la musique, etc. C'est festif, mais pas nécessairement excessif. Autre idée: on peut proposer aux enfants de mettre des garnitures sur leurs pizzas faites sur des pains pitas. Ou décorer un gâteau de fête ensemble et en faire une expérience spéciale. L'expérience compte plus que l'abondance, dans les souvenirs.

Que peut faire un parent si son enfant est invité à un anniversaire où il sait que l'offre alimentaire sera exagérée?

Il faut un peu de lâcher-prise. On ne peut pas empêcher son enfant de manger si les autres enfants mangent. Mais on peut lui expliquer qu'il va manger des aliments qu'on ne mange pas chaque jour, d'en profiter et de les savourer. On peut lui offrir un bon repas avant de partir, ou une bonne collation, pour s'assurer qu'il n'ait pas trop faim. Toujours proposer une source de protéines et de glucides, une collation nutritive avec des fibres. Ça peut être des légumes avec un morceau de fromage, un verre de lait avec un morceau de pita de blé entier, du yogourt nature avec des fruits, ou carrément du thon et des biscottes.

Faut-il inciter un enfant à souper s'il a mangé des bonbons, des chips, du maïs soufflé et du gâteau au cours d'une fête en après-midi?

Généralement, après avoir eu un taux de sucre aussi haut dans le sang, il y a un crash qui donne faim... C'est le coup de barre. On respecte toujours la faim de l'enfant, dans tous les cas, et on s'assure de proposer des aliments de qualité.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, LA PRESSE

Quelques friandises ont leur place dans une fête d'enfants. Mais on ne doit pas basculer dans l'extrême.