À quel âge un enfant peut-il traverser seul la rue? Le débat fait rage sur le web depuis qu'une nouvelle étude vient de démontrer qu'avant 14 ans, les enfants n'ont pas nécessairement les capacités intellectuelles et motrices requises. Vraiment? Quatorze ans avant de traverser seul? Explications, nuances et recommandations.

Le débat

C'est bel et bien ce qu'ont laissé entendre récemment le Daily Mail de Londres («Les enfants qui traversent la rue seuls ne sont pas en sécurité avant 14 ans») ou le magazine Parents («La science nous dit que les enfants ne devraient pas traverser une rue passante seuls avant 14 ans»). Ces articles ont visiblement semé une certaine panique dans plusieurs familles. En témoigne cette lettre d'une lectrice publiée il y a trois semaines dans le Globe and Mail: «Ma fille a 10 ans et mon mari ne veut pas la laisser marcher seule jusqu'à l'école. [...] Mon mari a trouvé une étude sur l'internet démontrant qu'avant 14 ans, les jeunes n'ont pas les capacités mentales pour traverser la rue seuls. [...] Est-ce vraiment si dangereux?» Il n'en fallait pas plus pour que plusieurs voix discordantes s'élèvent, notamment celle de Lenore Skenazy (la plume du blogue Free Range Kids, bien connue pour son militantisme anti-paranoïa parentale), qui a craint qu'encore une fois, des parents fassent ici des raccourcis malheureux pour légitimer leur surprotection. «Traverser la rue, ça n'est jamais parfaitement sécuritaire», a-t-elle rappelé sur son blogue, dénonçant la tendance actuelle à priver les jeunes de liberté pour soi-disant les protéger. «Comme si cette génération d'enfants était incapable de faire ce que toutes les générations d'enfants précédentes ont fait.»

Les faits

L'étude en question ne conclut en fait pas du tout que les enfants ne devraient pas traverser seuls la rue avant 14 ans. Mais oui, elle démontre qu'avant cet âge, les enfants n'ont effectivement pas toutes les capacités pour traverser sans risque une rue passante, sans feu de circulation, arrêt ou passage piétonnier. La nuance est de taille: on ne parle pas ici de traverser une rue à un arrêt, mais bien de manière aléatoire. Pour arriver à ce constat (publié récemment dans le Journal of Experimental Psychology: Human Perception and Performance), les chercheurs de l'Université de l'Iowa ont recruté des enfants de 6, 8, 10, 12 et 14 ans, pour un exercice de réalité virtuelle.

Chaque participant devait traverser une rue entre des voitures passant à une moyenne de 40 km/h, se suivant à intervalles de deux à cinq secondes. Au total, les enfants ont fait l'exercice 20 fois chacun. Verdict? À 6 ans, les enfants se sont fait virtuellement renverser 8 % des fois; à 8 ans, 6 %; à 10 ans, 5 %; et à 12 ans, 2 %. Ce n'est qu'à 14 ans que les enfants n'ont pas eu le moindre accident. D'après les chercheurs, deux facteurs sont ici en jeu: les habiletés intellectuelles des enfants (et leur capacité à évaluer l'intervalle entre les voitures, selon leur distance et leur vitesse) ainsi que leurs habiletés motrices (et leur capacité à poser le pied pour leur première enjambée suffisamment tôt pour traverser à temps).

La conclusion

«Avant 12 à 14 ans, les enfants ne devraient pas traverser une rue passante seuls. Avant cet âge, les enfants peuvent traverser seuls, tant que c'est à un passage piétonnier où les voitures doivent s'arrêter», résume par courriel Jodie M. Plumert, professeure au département de psychologie de l'Université de l'Iowa et responsable de l'étude. On est loin de l'interdiction totale avant 14 ans. Quant à savoir à quel âge ils ont la maturité pour traverser seuls aux arrêts, elle répond que la plupart des études suggèrent que ce serait autour de 8 ans. «Ce n'est que leur capacité à bien évaluer les intervalles entre les voitures et la rapidité d'exécution des mouvements qui n'est acquise que vers 12-14 ans», nuance la chercheuse. Du côté du Conseil canadien de la sécurité, on recommande plutôt 9 ans, tout en soulignant au passage les nombreux avantages à laisser les enfants marcher seuls (exercice, confiance en soi, compréhension plus approfondie de la circulation). À la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ), sans suggérer d'âge minimal, on recommande aux parents d'éduquer leurs enfants (regarder à gauche, à droite, à gauche, etc.), tout en montrant évidemment le bon exemple. Depuis plusieurs années, la SAAQ met aussi à la disposition des écoles primaires un guide de sensibilisation à ce sujet.

Photo Ivanoh Demers, Archives La Presse