Les projets de coopération internationale attirent le plus souvent des jeunes à la recherche d'un stage ou des professionnels prêts à intervenir dans des situations de crises. Mais comment réagissent les organismes lorsqu'une famille offre ses services? Témoignage d'une famille qui a vécu l'expérience en Inde et conseils pour bien se préparer à l'aventure.

Cap sur l'Inde

Le chanteur Michaël Girard a toujours inclus ses garçons Sam-Éloi et Tom-Éliot dans ses projets musicaux. Lorsqu'il a formulé le voeu de faire un voyage «différent», c'était pareil. «Je trouvais que sans les enfants, c'était un peu bizarre, a confié Michaël. On a pensé que ce projet serait un beau trip en famille!»

Il y a eu, bien sûr, un élément déclencheur. Après avoir vu le film Mange, prie, aime - dans lequel une romancière quitte son mari et sa maison pour entreprendre un voyage en Italie, en Inde et en Indonésie -, la famille Girard aborde le sujet d'un voyage «non conventionnel». 

«C'est à ce moment-là qu'on en a parlé pour la première fois, se rappelle Tom-Éliot, 16 ans. Moi, j'avais la piqûre des voyages, j'étais allé en Chine et en Grèce avec mon école, mais c'étaient des voyages touristiques. J'étais tanné des attractions, j'avais envie de voir le vrai.»

Voir le vrai. C'est exactement ce que Michaël et sa femme Hélène souhaitaient.

«On est dans un milieu qui est quand même superficiel. J'avais envie de faire de quoi où je serais un peu à l'écart. Je voulais vivre autre chose, entreprendre un projet humanitaire où je me sentirais utile», se souvient Michaël Girard.

Jeunes musiciens du monde

Le couple connaissait bien l'organisme québécois Jeunes musiciens du monde, qui a fondé en 2001 une école résidentielle à vocation musicale dans un quartier défavorisé de Karnataka, dans le sud de l'Inde. C'est donc vers lui qu'il s'est tourné.

«Habituellement, les bénévoles qu'ils accueillent restent cinq mois, a précisé Michaël, mais comme nous partions en famille, ils ont accepté qu'on reste seulement trois mois.» Le 27 décembre dernier, après avoir rempli toutes les exigences de l'organisme, les Girard se sont envolés pour l'Inde.

«On avait beaucoup discuté du temps qu'on mettrait à s'adapter, raconte Sam-Éloi, 13 ans, mais dès quand on est arrivés à l'école, tous les jeunes sont venus à notre rencontre, c'est comme si ça faisait super longtemps que je les connaissais, ils nous ont pris par la main et on est partis avec eux.»

Évidemment, la clé d'un voyage de bénévolat est de faire correspondre les compétences des coopérants avec les besoins de l'école. Michaël a formé un groupe de chanteurs; Hélène s'est chargée des communications de l'école; Tom-Éliot, qui a joué dans des séries télé (Les Argonautes, 30 vies, Kaboom), a donné des ateliers d'art dramatique.

Sam-Éloi a lui aussi poussé à la roue. En plus des tâches qui incombent à tous les bénévoles (servir les repas, organiser des activités, coordonner le recyclage, etc.), il a tourné et monté avec son frère des vidéos promotionnelles de l'école. «On a filmé les jeunes avec des Go-Pro et on a monté les vidéos sur iMovie», a-t-il précisé. 

C'est que le financement de l'école Kalkeri Sangeet Vidyalaya dépend en partie des revenus provenant du parrainage des enfants. Une somme de 30 $ par mois est requise pour assurer la place d'un enfant. D'où l'importance du travail de promotion auprès des donateurs locaux et étrangers.

Cela dit, l'échange entre les jeunes s'est fait dans les deux sens, les garçons s'initiant entre autres à la musique indienne. Tom-Éliot a appris à jouer de la cithare; Sam-Éloi, qui devait aussi suivre son programme scolaire à distance, a appris à jouer du tabla (sorte de tam-tam), un instrument qu'il a rapporté chez lui à Boucherville.

Pendant trois mois, la famille Girard a vécu dans une petite hutte construite dans l'enceinte de l'école. «C'est sûr qu'on vivait simplement, on n'avait pas beaucoup d'intimité, on était rationnés et on a eu de petits problèmes de santé, mais on s'est adaptés», résume Michaël.

Le bilan

Alors, quel bilan la famille fait-elle aujourd'hui de son voyage en Inde? «Je n'aurais pas la prétention de dire qu'on a changé les choses, répond Hélène. Mais on a tellement ouvert notre coeur durant ce voyage que je crois qu'on a laissé une petite trace de bonheur et de passion auprès des gens qu'on a côtoyés.»

Tom-Éliot, lui, est rentré emballé par son expérience.

«Le plus tripant, ce sont les liens qu'on a établis là-bas avec les enfants. Ils sont devenus nos amis, on les voyait 24 heures sur 24! C'est comme si on faisait partie d'une famille de 200! C'était aussi ça, le plus difficile à notre retour, de ne plus les revoir...» - Tom-Éliot Girard

À la fin de leur séjour, Tom-Éliot et Sam-Éloi ont décidé de parrainer deux garçons de 6 et 10 ans.

«L'un des plus beaux moments que j'ai vécus, explique Tom-Éliot, c'est lorsqu'on est allés chez les parents de Sagar pour leur annoncer qu'on allait le parrainer. Quand on s'est vus pour la dernière fois, c'était émouvant. C'est sûr que je vais retourner en Inde. J'ai aussi côtoyé un médecin qui m'a donné le goût d'étudier en médecine», a-t-il confié.

Qu'est-ce qu'un voyage comme celui-là peut changer dans la vie d'une famille? Qu'est-ce qu'il reste de l'aventure?

«Je pense qu'on a de nouvelles références, une complicité nouvelle entre nous aussi, répond Michaël. C'est sûr qu'on a retrouvé nos vies d'avant le voyage, on n'avait pas le choix. On continue notre chemin, mais ça nous a ouverts à une autre réalité. La vérité est que nous ne sommes plus tout à fait les mêmes.»

Joindre l'utile à la préparation

Quel impact peut avoir un voyage de bénévolat pour un enfant ou un jeune ado? Nous avons posé la question à la psychologue Joanne Cyr, qui travaille depuis cinq ans pour Médecins sans frontières (MSF).

Quels sont les bénéfices d'un voyage de bénévolat pour un enfant ou un jeune ado?

C'est sûr que les voyages nous ouvrent à de nouvelles cultures, à d'autres visions du monde, c'est très bien. Mais on ne devrait pas encourager tout le monde à faire du bénévolat, parce que ce n'est pas toujours utile. Surtout lorsque c'est pour une très courte période, ça n'a pas toujours d'impact. Cela dit, il faut se réjouir de voir des jeunes s'intégrer à la vie quotidienne d'autres jeunes. Ça leur permet de se décentrer d'eux-mêmes et de s'adapter à de nouvelles situations, de sortir de chez eux.

Comment bien préparer ses enfants à un voyage de bénévolat à l'étranger?

Il faut longuement discuter avec ses enfants de ce qui se passe au pays, de ce qu'on va voir, des risques, des injustices, des actions possibles. Il faut aider les jeunes à trouver leur place là-dedans. Discuter avec eux de ce qu'ils seront capables de faire, de leur contribution possible. Il faut que ça ait un sens. Moi, je leur proposerais de lire des livres, de voir des films, il faut les préparer psychologiquement à ces types de voyages. Il ne faut pas que ce soit improvisé.

Est-ce qu'il y a des risques de traumatisme pour un jeune qui s'en va dans un pays où il y a beaucoup de misère?

Tout dépend du jeune. À moins d'être témoin de situations atroces dans des pays en crise ou en guerre, par exemple, je ne crois pas qu'il y ait un risque de traumatisme. Mais s'ils vont voyager dans des pays très pauvres, encore une fois, il faut qu'ils aient été bien préparés psychologiquement. Parce que malgré la misère ou les difficultés dont ils seront témoins, ils peuvent bien sûr apprendre de ce qu'ils voient. C'est à ce moment que ça peut être enrichissant.

Est-ce qu'il y a un âge minimum pour partir dans un pays en développement avec ses parents?

Non, il n'y a pas d'âge minimum. C'est le contexte qui importe. Celui de la famille du jeune d'abord. Par exemple, s'il vit la séparation de ses parents, ce n'est peut-être pas le meilleur moment de s'en aller à l'étranger. Le jeune sera certainement plus fragile, plus à risque. Mais il y a aussi le contexte du pays où on s'en va. Pour le reste, on prépare son enfant, c'est tout. On lui explique la situation, mais on n'est pas obligé de tout lui exposer non plus. Tout dépend de l'âge qu'il a.

Les retours sont souvent difficiles. Comment éviter le ressac du retour?

Il y a en effet beaucoup de bénévoles qui souffrent à leur retour à la maison. Même parmi les professionnels qui font un travail extrêmement technique. Il y a une période d'ajustement, où ils ont de la difficulté à trouver un sens aux petites choses de leur quotidien et aux privilèges dont ils jouissent. Il faut d'abord prendre le temps de se reposer, mais il faut réintégrer des routines connues. Il faut aussi trouver le moyen de garder le fil avec ce qui a été vécu à l'étranger.

Est-ce que le travail de bénévolat peut se poursuivre chez soi, après?

Oui, c'est une bonne idée. Il y en a qui ne voudront rien savoir, mais on peut encourager les jeunes à faire du bénévolat dans leur propre milieu. C'est une façon pour un jeune de poursuivre son engagement mais dans sa communauté, que ce soit à travers des associations locales ou internationales. C'est plutôt intéressant de voir un jeune poursuivre son action ou son engagement, mais dans d'autres projets.

Des lettres et des notes

L'organisme Jeunes musiciens du monde a fondé l'école Kalkeri Sangeet Vidyalaya dans le sud de l'Inde il y a une quinzaine d'années. Une école résidentielle à vocation musicale qui compte 250 élèves issus des quartiers les plus défavorisés de la région. La Presse s'est entretenue avec son fondateur, Mathieu Fortier, des principes qui guident son action.

Un coup de coeur

Mathieu Fortier a eu un coup de coeur pour l'Inde à l'âge de 19 ans. Après un premier séjour d'un an, il est retourné au pays. C'est là qu'il a rencontré la Française Agathe Meurisse... qu'il a épousée. Ce sont eux qui dirigent l'école Kalkeri Sangeet Vidyalaya, où leurs quatre filles ont grandi. Une école où les traditions indiennes ont été respectées. Aujourd'hui, il vit principalement à Québec, mais il passe au moins un mois par année là-bas. Sa femme Agathe, elle, est présente en Inde au moins trois mois par année.

Vocation musicale

Mathieu Fortier, qui jouait déjà de la guitare et de l'harmonica, a étudié le chant et la musique classique indienne au cours de ses nombreux voyages en Inde. C'est cette musique «très riche et spirituelle» qui est enseignée dans son école. «Au départ, raconte-t-il, j'enseignais juste la musique, mais face aux carences éducatives des jeunes, j'ai décidé d'offrir une formation scolaire complète - l'équivalent du primaire et du secondaire.» Au Québec, Mathieu Fortier a fondé quatre écoles de musique dans des quartiers défavorisés: à Québec, à Montréal, en Abitibi et à Sherbrooke.

Philosophie

La philosophie de base de Mathieu Fortier est la suivante: l'école de Kalkeri doit pouvoir fonctionner correctement sans les bénévoles. «On ne veut pas que les bénévoles portent ce poids-là sur leurs épaules. On ne veut pas non plus être dépendants d'eux. On embauche une cinquantaine d'Indiens pour occuper les postes principaux. Les bénévoles, eux, doivent être un "plus dans le développement des jeunes. Et pour pouvoir faire une petite différence et voir progresser les jeunes, ils doivent s'engager à rester au moins cinq mois (un semestre)», détaille-t-il. Mathieu Fortier embauche 1 cohorte de 15 bénévoles par semestre durant l'année (pour un total de 30 par année scolaire).

Peu de familles

Mathieu Fortier avoue qu'au cours des 15 dernières, très peu de familles bénévoles se sont déplacées - à peine trois ou quatre au total. «C'est rare, mais ça nous réjouit, dit-il. Je trouve ça très intéressant de voir des jeunes s'engager comme ça et surtout d'être en contact avec d'autres jeunes. C'est très apprécié des enfants pensionnaires.» Mathieu Fortier admet qu'un programme adapté aux familles pourrait être élaboré. Pour l'instant, la plupart des bénévoles sont soit des jeunes à la recherche d'un stage d'aide internationale, soit des professionnels.

L'action bénévole

Les postes occupés par les bénévoles sont attribués en fonction de leurs compétences, mais il y a tout de même des besoins spécifiques qui doivent être comblés par des gens qualifiés: des professeurs d'anglais, des infirmières, des médecins, des administrateurs. Les bénévoles peuvent aussi combler des besoins plus simples, mais tout aussi importants, comme servir les quelque 1000 repas par jour, surveiller les différents groupes d'enfants, organiser des activités récréatives, aider à l'entretien de l'école, etc. «Les jeunes sont habitués à ce qu'il y ait un roulement de bénévoles pour ces postes. Comme ils les voient pendant tout le semestre, il n'y a pas de problèmes d'attachement quand les bénévoles partent.»

Coût et financement

Les bénévoles doivent débourser 1000 $ pour un séjour de cinq mois - durée minimale qui correspond à un semestre d'école. À ce prix-là, ils sont logés et nourris. Ils doivent bien sûr acheter eux-mêmes leur billet d'avion et débourser les frais reliés aux visas. Ces sommes d'argent représentent environ 20 % du financement de l'école. Les autres sources de financement sont le parrainage (40 %) et les fonds privés d'individus, de fondations et d'organismes nationaux et internationaux (40 %).

Autres organismes d'aide

Parmi les nombreux organismes d'aide internationale, très peu ont des programmes destinés à des familles bénévoles. France-Isabelle Langlois, du Centre d'étude et de coopération internationale (CECI), qui compte 600 bénévoles dans 14 pays, nous explique que les coopérants qui partent en mission pour une longue période (les durées minimales des missions sont d'un an) demandent parfois à ce que leur famille puisse les rejoindre. Mais ils n'ont pas nécessairement de rôle à jouer sur place.

École Kalkeri Sangeet Vidyalaya

Enfants: 250

Employés indiens: 50

Bénévoles internationaux: 30 par année (2 cohortes de 15)

Des piègesà éviter

Une enquête sur le volontourisme menée par La Presse en début d'année révélait que certains organismes comme Projects Abroad (spécialisé en tourisme humanitaire) facturaient des sommes importantes (de 2000 $ à 3000 $, sans le billet d'avion) pour organiser des voyages de deux à trois semaines à l'étranger.

Des voyages où l'action bénévole en tant que telle soulevait des doutes et des questions - les coopérants n'étant pour la plupart ni encadrés ni formés. Notre collègue Isabelle Hachey y avait rapporté son expérience lors d'un voyage à Phnom Penh, au Cambodge, où elle avait été envoyée dans un orphelinat.

Autant de pièges à éviter si vous voulez faire du bénévolat. Que ce soit seul ou en famille.

Katina Binette, responsable du programme Québec sans frontières de l'Association québécoise des organismes d'aide internationale (AQOCI), croit qu'il y a moyen d'offrir des stages utiles à l'étranger à coûts raisonnables. Ceux qu'elle organise sont d'une durée de deux à trois mois - de 1200 $ à 2200 $ (incluant les frais de transport).

«On a pour principe d'appuyer des projets existants où les bénévoles peuvent s'intégrer à l'intérieur des communautés. Je pense par exemple à un centre d'aide aux devoirs en Bolivie.»

«Il y a aussi des projets où l'on recherche des candidats spécialisés comme pour un programme d'énergie renouvelable au Pérou. Ce n'est pas du tourisme», ajoute Mme Binette.

L'Association québécoise des organismes d'aide internationale (AQOCI), qui compte 67 membres, assure que ses bénévoles sont formés avant de partir à l'étranger.

«Québec sans frontières est un programme d'éducation à la citoyenneté mondiale, explique Katina Binette, qui dirige le programme avec le ministère des Relations internationales du Québec. Nos bénévoles reçoivent environ 120 heures de formation avant de partir, mais on les revoit également à leur retour. C'est une approche plus globale.»

Les écoles secondaires

N'empêche, plusieurs écoles secondaires offrent des voyages de deux semaines dans des pays en développement. Est-ce vraiment utile?

«Certains de nos organismes membres offrent des stages courts, mais ils vont travailler avec des partenaires de longue date qui reçoivent aussi des bénévoles qui sont là pour trois mois ou pour un an, répond Mme Binette. Des bénévoles qui vont être bien encadrés, même s'ils ne sont pas là longtemps. Ce sont des gens qui s'ajoutent à une force en place. Ça peut être une belle initiation à la citoyenneté internationale.»

«Les familles, elles, peuvent être intégrées à des groupes de bénévoles, croit Katina Binette. Des groupes formés de gens de différents âges qui n'ont pas de compétence particulière, mais qui peuvent faire du travail communautaire où ils pourront s'intégrer à des programmes existants d'organisations comme Mer et Monde, engagée auprès de la population locale dans divers projets. »

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