Les enfants aussi doivent faire face au deuil, à l'intimidation, au stress. Et dans cette société où tout va très vite, ils ne trouvent pas toujours une oreille attentive pour parler de leurs peines, mais aussi de leurs joies. Pour les lire et leur répondre, le Courrier Plume-Images, un service de correspondance confidentiel, est là.

«Je vous confie mon plus grand secret»

Tous les jeudis, pendant l'année scolaire, un «facteur» bénévole fait le tour de 13 écoles primaires de la MRC des Moulins, dans la couronne nord, pour récolter les lettres que les élèves ont déposées au courant de la semaine dans une boîte aux lettres spéciale.

Et tous les jeudis, l'équipe du Carrefour familial des Moulins, un organisme communautaire de Terrebonne, ouvre et lit attentivement les lettres des enfants de 6 à 12 ans qui y confient leurs joies, leurs peines, leurs peurs, leurs questionnements.

On appose un chiffre à chaque lettre: 1 pour les lettres joyeuses, 2 pour celles qui expriment des émotions ou soulèvent des questions plus complexes et 3 lorsqu'il est question de violence physique, d'agression, d'intimidation.

«Il n'y a pas un jeudi où on ne verse pas une petite larme. Il y a toujours une lettre qui vient nous toucher», confie Isabelle Desroches, directrice adjointe du Carrefour familial des Moulins.

Dans le local lumineux où les bénévoles se réunissent pendant l'année scolaire pour répondre individuellement à chaque lettre d'enfant qu'ils reçoivent, nous avons rencontré, la semaine dernière, les deux directrices du Carrefour familial des Moulins et trois bénévoles du Courrier Plume-Images. Sur la grande table trônaient des crayons de toutes les couleurs, des lettres de retour coloriées à la main, un bol de bonbons et de petits sacs de croustilles.

Sur la table, on avait aussi déposé quelques exemples de dessins et de lettres d'enfant, dont celle de Camille (nom fictif). «Chère Plume image, Je m'apelle Camille et je vous confits mon plus grand secret. Je suis en famille d'accueille. Je ne veux pas que vous le dissier à personne», était-il simplement écrit.

En 15 ans d'existence, l'équipe du Carrefour familial des Moulins en a lu, des lettres d'enfant (plus de 4000 l'an dernier seulement !). Et certaines étaient bouleversantes. Un enfant de 7 ans qui parle ouvertement de suicide, un enfant dont le père est en prison, une autre dont l'amie est victime d'agression sexuelle. Des enfants témoins de violence conjugale ou encore des enfants en deuil, parce qu'un proche s'est suicidé ou qu'un ami est mort dans un accident.

Quand un code 3 est apposé, l'équipe dépose une plume dans sa lettre de réponse. Le personnel des écoles primaires est avisé: si l'enfant remet une plume à un adulte, c'est signe qu'il a besoin de parler.

«Dès qu'on a une lettre de code 3, on téléphone à l'école. On est en communication avec les techniciennes en éducation spécialisée et on leur explique la situation, explique Isabelle Desroches. On peut leur dire, par exemple, qu'un élève en 4e année vit de l'intimidation, sans nommer l'enfant.» La technicienne peut alors faire un petit atelier dans les classes de 4e année, ce qui incite souvent l'enfant à aller vers elle.

«Si on se rend compte que sa santé et sa sécurité sont en danger, on va nommer l'enfant, on va briser la confidentialité», poursuit Isabelle Desroches, qui explique que l'équipe biffe toujours les noms de famille des enfants et les noms des écoles avant de remettre les lettres aux bénévoles, pour préserver leur anonymat.

Plaisir et fous rires

Certes, il y a des moments touchants. Mais le Courrier Plume-Images, c'est aussi du plaisir et des fous rires, tient à nuancer la directrice générale du Carrefour familial des Moulins, Suzy Lampron. Parce que les jeunes sont aussi attachants, allumés et divertissants. «Là, on parle du touchant, mais on peut aussi aller dans ce qui est drôle! Parce que des fois, my God, c'est vraiment drôle aussi!», lance-t-elle.

Les bénévoles ont aussi le plaisir de lire des anecdotes rigolotes (l'enfant qui veut un chat ou un chien est un grand classique), de comprendre les dessins «impressionnistes» des plus petits et de déchiffrer leurs formulations parfois... alambiquées. «Pour arriver à décoder ce qui est écrit, il faut parfois faire le jeu de Patrice L'Écuyer et le lire à haute voix», rigole la bénévole Marie Labrosse, les yeux rieurs.

«Quand on me scanne des lettres, je les reçois en noir et blanc, raconte la bénévole Lisa Leroux, qui répond aux lettres de chez elle. Un jour, sur un dessin, je voyais un lapin et j'ai répondu: "Quel hasard! J'ai un petit lapin chez moi, il s'appelle Coquin!"»

Quand elle est venue porter ses lettres au local (toutes les lettres de réponse sont relues par la responsable avant d'être remises aux élèves) et qu'elle a vu l'original du dessin, Lisa Leroux a constaté son erreur: c'était un chien et non un lapin. «Alors j'ai réécrit la lettre, en lui disant qu'elle avait un beau petit chien», rigole-t-elle.

«Et quel hasard que le tien s'appelle Coquin!», ajoute la bénévole Lise Brisson, provoquant un fou rire généralisé dans la salle.

150

C'est, en moyenne, le nombre de lettres que le Carrefour familial des Moulins reçoit chaque semaine. Quelque 35 bénévoles y répondent. Le service est offert du début octobre à la fin mai.

Reconnaissance

Le Courrier Plume-Images a reçu en 2016 le prix d'excellence Impact sur la communauté  du réseau de la santé et des services sociaux.

Souvenirs de bénévoles

Répondre aux lettres et aux dessins des enfants, c'est à la fois amusant et touchant. Nous avons demandé à trois bénévoles de nous raconter un moment significatif de leur implication au Courrier Plume-Images.

Lise Brisson

Bénévole depuis: neuf ans

Profession: retraitée de l'enseignement

Pourquoi avoir décidé de vous impliquer? «Une personne ici a contacté une de mes amies qui était enseignante pour voir si ça m'intéresserait de venir voir ce que c'était, le Courrier Plume. Je suis venue. Et je ne suis pas repartie.»

Un moment significatif: «Tous les sujets m'interpellent. Les enfants qui sont d'une famille de parents séparés, les enfants qui manquent d'estime de soi, l'intimidation, l'éducation sexuelle. Il y a aussi beaucoup de lettres sur la mort, des enfants qui ont perdu parent, grands-parents, frère, soeur, et qui se demandent ce qui se passe après.»

Lisa Leroux

Bénévole depuis: un an

Profession: avocate en droit de la jeunesse

Pourquoi avoir décidé de vous impliquer? «Ma fille a utilisé le Courrier Plume-Images et elle me montrait les belles lettres colorées qu'elle recevait. J'ai trouvé ça fantastique. J'ai appelé la responsable et ça a commencé comme ça.»

Un moment significatif: «C'est de répondre à une jeune fille en détresse parce qu'elle voit sa mère se faire violenter à la maison, parce que son frère consomme. Une jeune fille qui se retrouve pas mal toute seule à l'intérieur de ça et qui a besoin de s'exprimer, qui a besoin de réconfort. Et d'avoir par la suite une réponse pour nous dire qu'elle a suivi nos conseils et qu'elle va bien.»

Marie Labrosse

Bénévole depuis: cinq ans

Profession: retraitée de l'enseignement préscolaire

Pourquoi avoir décidé de vous impliquer? «Dans un atelier d'écriture, une bénévole m'avait parlé du Courrier Plume-Images. Ça m'a interpellée, parce que j'aime écrire et parce que je trouvais ça intéressant. Un coup de coeur.»

Un moment significatif: «Un petit garçon avait écrit que ses parents s'en allaient en voyage et que ça l'inquiétait beaucoup. Il était très anxieux, il avait peur que ses parents ne reviennent pas, que l'avion tombe. Je m'étais connectée à mon coeur pour trouver ce qu'il aurait besoin d'entendre. Il m'avait réécrit pour dire que je lui avais sauvé la vie. C'était trop cute