Berthe, Ginette, Jean-Guy et Réjean sont menacés de disparition. Au Québec, aucun bébé n'a reçu ces prénoms de 2010 à 2015, selon la Banque de prénoms de la Régie des rentes. Pas besoin de s'appeler Narcisse ou Marceline - parmi les prénoms les plus populaires au Québec entre 1825 et 1850 - pour avoir un «petit nom» désuet.

Le même phénomène s'observe en France. Aucune fillette n'y a été prénommée Monique en 2015, selon Le Figaro. Monique et Nathalie étaient pourtant les deux prénoms féminins les plus courants dans la population française à la fin du XXe siècle, d'après La cote des prénoms en 1999.

Le Québec comptait près de 85 000 Michel, en 2000. Un nombre record, selon Louis Duchesne, auteur du livre Les prénoms, paru chez Trécarré. Or, à peine 8 bébés ont été baptisés (au sens figuré) Michel dans la province, en 2015. C'est peu, comparé aux 754 William.

Chez les femmes, les Louise étaient les plus nombreuses en 2000, avec 55 700 représentantes. Vingt petites Louise se sont ajoutées en 2015. Loin des 615 Emma... Mais c'est mieux que Christiane, Ghislain ou Reynald, des prénoms snobés par tous les parents depuis 2010.

Trop proches

«Il y a des prénoms qui ne sont pas revenus, parce que ça ne fait pas assez longtemps qu'ils ont été populaires, estime Nadine Descheneaux, coauteure du Guide des prénoms des (Z)imparfaites, paru aux éditions Goélette. Ce sont les noms des nos parents, de nos oncles, de nos tantes, de nos professeurs. Ils sont trop proches de nous.»

La propre mère de Mme Descheneaux s'appelle Jeannine, prénom qui brille par son absence ces dernières années. Même Karine - prénom le plus commun chez les filles en 1984, ex aequo avec Julie - a disparu, en 2015. «Les prénoms qui reviennent sont plutôt ceux de la génération des grands-parents ou des arrière-grands-parents de ceux qui nomment les enfants, observe Mme Descheneaux. On les a moins connus, c'est plus flou.»

Alice, pas Yvonne

Mais pourquoi Alice (prénom féminin le plus populaire au Québec vers 1895) est de retour, contrairement à Yvonne, qui a dominé de 1896 à 1907? Plus de 470 Alice sont nées l'an dernier, contre... trois Yvonne. «Il y a une sélection naturelle», rigole Mme Descheneaux.

«Il s'agit de la mode, indique Louis Duchesne. Comment expliquer la mode? Les hauts et les bas? Parfois, c'est une importation de la France ou des États-Unis. Parfois, c'est le fruit d'une ferveur religieuse, comme pour Jeanne d'Arc. Parfois, c'est un événement politique: le pic des Maurice en 1936 en est un exemple.» Maurice Duplessis venait alors d'être élu premier ministre du Québec.

La terminaison des prénoms féminins semble jouer. À la fin du XIXsiècle, les prénoms se terminant par le son «a» étaient en vogue. Ils ont été suivis de ceux en «ette», pendant la première moitié du XXsiècle, note M. Duchesne dans son site www.lesprenoms.net

L'an dernier, Emma, Léa et Olivia, les trois prénoms les plus populaires, étaient en «a». Voilà peut-être pourquoi Éva est de retour, pas Paulette. Les prénoms plutôt courts (Zoé, Mia, Félix, Émile) sont aussi préférés des parents actuels, ce qui laisse reposer Émérentienne, Alphonsine et Adélard dans les cimetières.

L'avis d'une Guylaine

Guylaine Guay, auteure et chroniqueuse, n'a pas été étonnée «du tout» d'apprendre qu'aucun bébé né en 2015 ne porte son prénom. «Ma mère aimait beaucoup la chanteuse Guylaine Guy, explique-t-elle. Je crois que bien des Guylaine de mon âge s'appellent ainsi à cause d'elle.»

«Je ne peux pas dire que je suis amoureuse de mon prénom, poursuit-elle. Mais comme mon nom de famille est Guay, que mon prénom et mon nom contiennent les mêmes lettres, je trouve que Guylaine Guay est assez cool. Certains me demandent si c'est mon nom d'artiste!»

Avis aux futurs parents: bien des prénoms en péril n'attendent que vous pour renaître. Si Huguette ou Gratien vous demandent trop d'efforts, Pierre (seulement six sont nés en 2015), Jean (à peine cinq) et Lise (juste trois!) sont à considérer. «L'avantage de choisir des prénoms rétros, fait valoir Mme Descheneaux, c'est que les enfants qui les portent sont assez uniques, sans avoir à les épeler.»