Une fois par mois, des musiciens professionnels qui travaillent entre autres avec Ariane Moffatt, Pierre Lapointe, Alex Nevsky et Pierre Flynn organisent un jam baptisé Electro-Daddy's-Night-Out au Divan Orange. Alexandre Vigneault a rencontré quatre des savants fous de ce labo électro, qui sont aussi des papas soucieux de concilier famille et création.

Quatre papas pressés

Philippe Brault

35 ans

Une fille de 10 ans et un fils de 2 ans

Réalisateur de disques, arrangeur et compositeur

Collaborations avec Pierre Lapointe, Koriass, Laurence Nerbonne et plusieurs autres

A composé la musique de L'orangeraie, à l'affiche au Théâtre Denise-Pelletier

Directeur musical de l'émission Stéréo pop

« J'ai envie de voir mes enfants. Ce qui me fait le plus chier, c'est quand j'ai ma fille, qui est en garde partagée, toute la semaine et que j'ai deux shows que je n'ai pas vus venir... Ne pas la voir ces deux soirs-là, ça me fait quelque chose. Je ne pars pas en me disant : "Je suis libéré !" Au contraire. J'ai des enfants, je veux les voir, être avec eux. »

PHOTO IVANOH DEMERS, LA PRESSE

Philippe Brault

José Major



39 ansUne fille de 3 ans

Batteur

On le voit ou l'a vu entre autres derrière Pierre Flynn, Marie-Pierre Arthur et Tricot Machine

Il s'est mis à la réalisation de disques en collaborant avec Maritza et Jonathan Savage.

« J'essaie de choisir mes projets de façon à ce que ça vaille la peine et que je puisse vendre l'idée à ma blonde. Je ne peux plus faire comme quand j'avais 22 ans, dire oui à tout et être toujours parti. Là, chaque fois que je pars, je pars avec l'idée que je laisse la maman toute seule pendant quatre jours, ce qui est quand même intense. »

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José Major

Jean-Phi Goncalves

37 ans

Un fils de 2 ans

Compositeur, arrangeur et réalisateur

Collaborations avec Ariane Moffatt et Betty Bonifassi (au sein de Beast)

Compositeur et arrangeur pour le Cirque du Soleil (spectacles consacrés à Beau Dommage et à Robert Charlebois)

Compositeur « sur commande » au sein de XS, sa « petite boîte à musique »

« Je pense qu'on subit une pression plus grande que nos pères, que nos propres parents. La façon de voir la paternité est différente. En plus, je pense qu'on est tous des performeurs : on veut bien faire les choses et, comme papas, on veut aussi bien faire les choses. »

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Jean-Phi Goncalves

Alex McMahon



33 ansUn fils de 6 ans et une fille de 2 ans

Réalisateur de disques

Collaborations avec Radio Radio, Ariane Moffatt, Alex Nevsky

En tournée avec Louis-Jean Cormier à l'été

Chef d'orchestre du prochain gala Artis

« À 17 h, il faut que je sorte d'ici et que je passe à la garderie. Alors les heures que je passe en studio, je ne me pogne pas le cul. Je passe mes journées sur l'adrénaline. Ça devient un moteur extrêmement intéressant. Plus jeunes, on était moins dans l'urgence. On dit souvent que quand on est plus jeune, on est plus fou. Mais on est plus vedge aussi... »

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Alex McMahon

Club social électro

Une question simple n'appelle pas toujours une réponse simple. Philippe Brault, Alex McMahon, Jean-Phi Goncalves et José Major, en effet, ne parlent pas des Electro-Daddy's-Night-Out (EDNO) dans les mêmes termes. Pour l'un, c'est un « hobby ». Pour un autre, c'est un « laboratoire musical » ou un « carré de sable pour expérimenter ». Puis, Alex, l'initiateur de ces soirées présentées au Divan Orange, tranche : « C'est un club social. »

« Ça répond à beaucoup de besoins : improviser, avoir un projet personnel, voir ses chums et prendre de la bière ! lance-t-il en suscitant des éclats de rire chez ses camarades. C'est comme les gars qui jouent au hockey, mais notre prétexte à nous pour boire de la bière ensemble, c'est qu'on a un show. » Bref, les EDNO, c'est un groupe de garage de professionnels. « Au lieu de faire des covers, on fait de l'électro », dit encore Alex.

Ces gars-là, tous dans la trentaine, vous les connaissez sans les connaître si vous écoutez la musique d'ici. Trois d'entre eux ont travaillé avec Ariane Moffatt. Les uns ou les autres jouent (ou ont joué) avec la plupart des têtes d'affiche de leur génération : Pierre Lapointe, Yann Perreau, Marie-Pierre Arthur, Louis-Jean Cormier ou Alex Nevsky. Ils ont connu la vie de tournée et les journées de studio qui se terminent aux petites heures. Et ils ont dû changer de vie.

Créer de 9 à 5

Au bas de l'escalier menant aux vastes studios partagés par Jean-Phi et Alex rue Saint-Denis, on s'accroche presque dans un vélo. Le détail serait inutile à l'histoire si ledit vélo n'était pas équipé d'un siège d'enfant. Arrivé en haut, on fait le compte : Philippe, José, Jean-Phi et Alex ont 1,5 enfant chacun. C'est-à-dire qu'à eux quatre, ils en ont six, âgés de 2 à 10 ans.

Ces hommes sont des papas impliqués et fiers - l'un d'eux n'a d'ailleurs pas manqué souligner la dernière prouesse de son fiston : une première érection. Comme bien d'autres pères de leur âge, ils cherchent un sain équilibre entre un travail qui les passionne et une famille à laquelle ils tiennent tout autant.

« Le défi, quand on devient papa, c'est de faire de la création de 9 à 5 », résume Alex. « Ce qui était dans nos rêves les plus fous, le métier le plus excitant et le plus instable qui soit, est devenu quelque chose d'un peu routinier, expose Jean-Phi. Même si les projets sont toujours différents, on arrive ici à 9 h et on repart à 17 h. »

Le soir de notre entretien, Alex devait exceptionnellement faire une séance nocturne. Il avait prévu rentrer à la maison et revenir au studio vers 20 h, « après avoir donné le bain ». Philippe s'y colle parfois, lui aussi, mais dit qu'un artiste qui voudrait toujours travailler jusqu'à minuit avec lui finirait pas se ramasser avec un gars « brain dead » derrière la console.

Papaoutai

Ont-ils réfléchi aux changements qu'impliquerait la naissance d'un enfant avant de se lancer dans l'aventure de la paternité ? « Moi, je ne réfléchis pas. J'aime pas ça, réfléchir, lance José, d'un ton débonnaire. Une fois que tu es dedans, tu le fais. » Jean-Phi en rajoute en rigolant : « Moi, j'ai laissé faire Alex en premier et j'ai regardé comment il s'en sortait... »

Philippe, lui, a suivi une trajectoire différente. « Ma fille est née l'année de la sortie deLa forêt des mal-aimés [de Pierre Lapointe, en 2006]. J'étais en tournée full pin. Les deux premières années de ma fille, j'en ai manqué des bouts. » Avant l'arrivée du deuxième, il savait qu'il ne referait pas ça. Parce qu'il n'a plus la même énergie et parce qu'il veut être avec ses enfants.

« Il y a des choses que je dois sacrifier que je ne pensais pas devoir sacrifier, concède Jean-Phi. Comme la possibilité d'étirer une journée jusqu'à 21 h. Je suis nostalgique de ça des fois. » Ce qui ne lui manque pas, c'est la tournée. La scène lui manque, mais il se passe volontiers des longues heures de route, de montage, de balance du son, d'attente et de démontage qui viennent avec un spectacle à Chicoutimi... « Ce sont des heures que je préfère passer en famille ou à faire du studio », dit-il.

« Je me demande quel genre de problèmes on vivrait si on faisait de la tournée internationale et qu'on était partis pendant des semaines », se demande tout de même Jean-Phi.

« De l'ennui et de l'alcoolisme, lance Alex avec ironie. Et on serait peut-être divorcés... »

Joindre l'agréable à l'agréable

Concilier marmaille et création va de soi pour eux. « C'est un peu le gros bon sens. Tu fais ça à deux, des enfants, tu veux en profiter à deux. C'est aussi une bonne façon d'être complice avec la personne avec laquelle tu as fait des enfants. Je ne vivrais pas ça autrement », assure Alex. Sa blonde apprécie sa contribution, semble-t-il. « Ça va, ça vient, nuance pour sa part Philippe. Ma blonde reconnaît chaque effort tant que je compense après les rush et que je la soutiens quand ses rushes à elle arrivent. »

« Il y a un tas de bonheurs qui vient avec les enfants, mais ça vient avec une pression aussi. Ce n'est pas juste facile. Nos pères ne s'imposaient pas cette pression », croit Jean-Phi. « Peut-être qu'ils aimaient moins ça [être avec des enfants], suggère José. Moi, j'aime ça. » Des quatre, c'est lui qui fait le plus de tournée. Pour le pire et le meilleur. « Je trouve que ça peut faire du bien de ne pas avoir d'enfant pendant une journée et demie, expose-t-il. En rentrant, tu ramasses la puck et tu dis à la maman : va te coucher, je vais m'en occuper. »

Ces gars ne se considèrent pas comme des surhommes. Plutôt comme des privilégiés : « On a le luxe de faire des choix parce qu'on est en demande. Il y a plein de musiciens qui n'ont pas le choix et qui doivent prendre ce qui passe, faire de la tournée ou accompagner un chansonnier du jeudi au samedi, enfant, pas enfant », fait valoir Alex. « On pourrait aussi être infirmiers de nuit dans un hôpital et ne pas voir nos enfants », ajoute Philippe.

Alors, ils jouent volontiers leur rôle de papa et, une fois par mois, ils jouent de la musique pour eux. Après la garderie (ou l'école), le souper et le bain, ils embrassent leur blonde et s'en vont faire leur spectacle. « On arrive dans le bar quand les enfants sont couchés, en même temps que le public », dit Alex.

En plus de leur permettre de passer du bon temps entre amis, ces soirées d'impro électro comportent un autre avantage, souligne malicieusement Philippe, en suscitant l'hilarité générale : « Ça fait croire à nos blondes que les machines qu'on a, on ne les a pas achetées pour rien ! »