Votre adolescente vous en fait voir de toutes les couleurs avec ses émotions en montagnes russes, son attitude et sa mauvaise humeur ? Sachez que vous n'êtes pas seul. Mieux, sachez que cela n'a surtout rien à voir avec vous. Aussi irrationnel (et enrageant) soit-il, ce comportement est non seulement normal, mais essentiel au bon développement de votre enfant. Un nouveau livre éclairant fait le point.

Comme des nageurs dans une piscine

Mère de deux filles, psychologue à la tête d'un centre de recherche sur les filles et chroniqueuse au New York Times, l'auteure américaine Lisa Damour vient de publier un livre fascinant : Untangled : Guiding Teenage Girls Through the Seven Transitions Into Adulthood, où elle décortique l'adolescence féminine en sept transitions distinctes. Discussion.



Vous publiez un livre sur l'adolescence au féminin. Est-ce que l'adolescence des jeunes filles est si différente de celle des garçons ?

Les filles, c'est ma spécialité. C'est ce que je connais le mieux. Je pense que de manière générale, le portrait global vaut pour les garçons aussi. Eux aussi vivent différentes transitions à l'adolescence. Il y a certainement beaucoup de parallèles (notamment dans la distanciation de l'enfance, l'art de combattre l'autorité parentale, etc.). Mais il y a aussi beaucoup de différences. Donc dans le portrait global, c'est semblable, mais pas dans les détails.

On dit souvent aux parents de préados : « Attention, tu vas voir, à l'adolescence... » Vous vous inscrivez en faux contre cet alarmisme, pour démontrer que l'adolescence est en fait une série de sept transitions. En quoi ces transitions nous permettent-elles de voir cet âge ingrat d'un meilleur oeil ?

Mon but, en déclinant ces sept transitions (s'éloigner de l'enfance, intégrer une nouvelle tribu, exploiter ses émotions, etc.), c'est de rendre ça moins personnel ! En comprenant pourquoi nos ados réagissent de telle manière, c'est tout à coup beaucoup moins blessant ! Pourquoi ils sont si émotifs, pourquoi ils s'enferment dans leur chambre, refusent de nous parler... Souvent, on le prend personnellement. On a l'impression qu'ils nous tiennent pour acquis. Moi, mon but, c'est de permettre au parent de voir ça autrement.

Avec un ado, souvent, ce qui frappe, c'est que son parent, du jour au lendemain, devient la personne la moins intéressante et cool qui soit. Vous faites un parallèle intéressant avec une piscine : l'adolescent est un nageur, l'eau est le monde extérieur, et le parent est le rebord. On n'y revient que sporadiquement, pour reprendre son souffle ?

C'est la distanciation de l'enfance. Les adolescents s'éloignent de tout ce qui fait trop bébé. Ils résistent à ce qui fait bébé. Ça n'a rien à voir avec le parent. Mais cela a tout à voir avec l'adolescent. Le parent, lui, n'a pas changé. Quand votre nageur revient au bord, vous devez en profiter pour ce que c'est. Ne vous emballez pas trop. Ce n'est pas la réunion espérée. Les adolescents vont et viennent, c'est ce qu'ils font ! Tout cela a beaucoup moins à voir avec nous que nous avons tendance à le croire.

N'empêche. Pas facile de communiquer avec un ado qui ne répond jamais quand on lui demande comment a été sa journée, qui répond par onomatopées, lève les yeux au ciel et plonge son nez dans ses courriels. Vous avez des trucs à suggérer pour créer un contact ?

Pour connecter avec son ado, il faut rester ouvert à de nouvelles façons de communiquer. Je vous dirais que le parent doit se montrer intéressé, ouvert aux intérêts de son ado, et non l'inverse. S'ils ne respirent que pour Hunger Games ou Divergence, saisissez les occasions pour en parler. Souvent, malheureusement, les parents lèvent le nez sur les intérêts de leurs enfants et ratent de belles occasions de partager.

Les ados ont le don de se plaindre, pour tout et pour rien. Vous proposez ici une attitude surprenante : les encourager à rouspéter et ventiler davantage...

Oui, les ados rouspètent beaucoup. Parfois, ça vient à bout de notre patience. Moi, ce que je dis, c'est qu'il faut se rappeler notre adolescence et notre secondaire à nous. L'école, c'est fastidieux, on passe la journée avec une tonne d'élèves qu'on n'a pas choisis, pendant environ neuf mois, on doit suivre une panoplie de cours, pour lesquels on devrait montrer un enthousiasme équitable, ce qui est absolument irréaliste. Ce n'est pas vraiment surprenant qu'à la fin de la journée, ils aient envie de râler ! En le voyant sous cet angle, c'est tout à fait différent. Je suggère de dire quelque chose du genre : « As-tu besoin de mon aide ou tu as juste besoin de ventiler ? »

Vous avez écrit une chronique qui a fait beaucoup réagir dans le New York Times sur l'art des jeunes filles de lever les yeux au ciel. C'est normal, vous dites ?

Absolument. Lever les yeux au ciel, c'est presque un réflexe chez les jeunes filles. C'est très commun. Et les parents ont toujours tendance à le prendre personnellement. Oui, parfois, c'est dirigé envers eux. Mais parfois pas. Les ados peuvent lever les yeux au ciel pour se gérer, essayer de défendre leur point tout en restant polies, etc. Les adultes doivent comprendre que ce n'est pas toujours à propos d'eux !

Lisa Damour à propos de...

La technologie

La psychologue, qui cite au passage l'experte en médias sociaux danah boyd, croit que les adolescents ne sont pas accros à la techno, mais bien accros à leurs amis (they are addicted to their friends). Comme nous au même âge...

L'hypersexualisation

Souvent, écrit la psychologue, en portant des talons hauts et des microjupes, les jeunes filles jouent tout simplement à se déguiser en grandes, dit-elle. « À cet âge, elles n'ont tout simplement pas la capacité intellectuelle pour comprendre toutes les implications de leurs choix vestimentaires. » Donc oui, il faut remettre les pendules à l'heure (« ce n'est pas très approprié », « je pense que ça n'envoie pas un bon message sur toi ») sans y prêter nécessairement d'intentions.

L'autorité

Les adolescentes ne nous écoutent plus quand on leur fait la morale, écrit la psychologue. « Elles sont comme tout le monde ! », pouffe Lisa Damour en entrevue. Au lieu de les punir tout simplement, il faut analyser quelle était la règle, et surtout les conséquences de sa transgression. « Si elles sont sorties et qu'elles ont bu, par exemple, il faut expliquer les dangers. Boire, c'est dangereux. » Or les ados doivent apprendre à prendre soin d'elles. C'est la septième transition vers l'âge adulte. « Au bout du compte, c'est leur responsabilité de prendre soin d'elles. »

Untangled : Guiding Teenage Girls Through the Seven Transitions Into Adulthood

Lisa Damour

326 pages

Les sept transitions des ados

Lisa Damour résume l'adolescence en sept transitions distinctes. À garder en mémoire, la prochaine fois que votre ado refusera de vous embrasser en public, quand il vivra sa première peine d'amour, ou encore son premier lendemain de veille.

La distanciation de l'enfance

Typique et surtout tout à fait normale, écrit l'auteure. Alors qu'il aimait jadis votre compagnie, tout à coup, vous avez le sentiment de l'irriter au plus haut point. Votre ado grandit, a besoin de son jardin secret, et est allergique à vos questions. Un secret pour « connecter » ? Le temps passé en voiture, suggère-t-elle.

Intégrer une nouvelle tribu

Souvenez-vous de votre adolescence, et de l'importance de vos amis. Les temps n'ont pas tellement changé. À part qu'aujourd'hui, les jeunes peuvent réellement être connectés 24 heures sur 24. À vous de mettre des limites.

Exploiter ses émotions

Vous êtes la poubelle émotive de votre ado ? Normal. Il a besoin de vider son sac, pour être par ailleurs agréable à l'école, avec ses profs, ses amis. Tenez-vous-le pour dit !

Combattre l'autorité

Vous ne détenez plus toute la vérité à leurs yeux. Les ados vont remettre en question vos règles, alors vous devrez les expliquer, parler de sécurité, de leur avenir, de leur santé. Objectif ? Les responsabiliser. De belles discussions en perspective...

Planifier l'avenir

Les adolescents sont maintenant dans le siège du conducteur. S'ils ont de mauvaises notes, ils doivent comprendre les risques pour leur avenir, notamment.

La découverte du monde amoureux

La psychologue suggère de poser régulièrement une question aux jeunes filles : « Toi, qu'est-ce que tu veux ? Dans cette relation, qu'est-ce que tu veux ? » Objectif ? Lui apprendre à exprimer ses besoins et à ne pas s'en faire imposer.

Prendre soin de soi

C'est ici que la psychologue aborde les questions délicates que sont l'image corporelle, l'estime de soi, le sommeil et la consommation. L'idée étant que les adolescents aiguisent leur jugement critique et se responsabilisent.

Quoi dire en cas de conflit?

Trois conseils de Lisa Damour pour rester zen lorsque des conflits surviennent avec notre ado.



En cas de crise


C'est la fin du monde, votre fille est en peine d'amour, il ne reste plus de billets pour le spectacle de l'année, ou sa meilleure amie quitte le pays.

Votre réponse

« Est-ce qu'il y a quelque chose que je peux faire pour ne pas aggraver la situation ? »

Ce que vous dites vraiment

« Votre fille est désemparée par quelque chose qui est indépendant de sa volonté. C'est une super réponse parce qu'en gros, vous lui faites comprendre que vous non plus, vous n'y pouvez rien. Mais qu'ensemble, vous allez vous en sortir », explique la psychologue Lisa Damour.

Le conflit

Vous êtes en conflit sur une règle, une tâche à accomplir, peu importe. Votre fille lève le ton.

Votre réponse

« Ton ton ne me convient pas. Recommence. »

Ce que vous dites vraiment

« C'est correct d'avoir des conflits, c'est comme ça qu'on grandit. On apprend beaucoup dans le conflit, on acquiert des aptitudes qu'on ne pourrait pas acquérir autrement : l'art de voir une autre perspective, de trouver des solutions communes, etc. »

Le manque de respect

Votre fille est hors d'elle, vous êtes le pire parent du monde.

Votre réponse

« De toute évidence, tu es fâchée. Je suis prête à discuter. »

Ce que vous dites vraiment

« Comme avec un jeune enfant, avec un ado, il faut séparer les émotions de son mode d'expression. Ici, on dit qu'on est prêt à discuter, mais pas dans ces conditions ni sur ce ton. Si elle manque manifestement de respect, il faut être ferme. "Tu es fâchée. Je suis prête à discuter. Mais pas comme ça." »

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