Dan son livre Qui s'occupe du souper ? Travail-famille : L'affaire des deux parents, notre collègue Nathalie Collard, mère de deux filles de 16 et 19 ans, se penche sur la conciliation travail-famille. Dans le cadre de la rédaction de son ouvrage, elle a rencontré de nombreux spécialistes, mais aussi quelques personnalités comme Pauline Marois, Dominique Anglade, Julie Miville-Dechêne et Vincent Vallières qui se prononcent sur cette question cruciale.

Pourquoi ce livre ?

Ça ne peut être plus d'actualité, car ce matin même de notre rencontre, il y a des parents qui manifestent au pied du pont Jacques-Cartier pour défendre les CPE qui sont en danger. Je pourrais aussi te répondre que c'est parce qu'on est en 2016 ! À Ottawa, la conciliation travail-famille est un sujet d'actualité, il reste du travail à faire, mais ça montre que de plus en plus d'hommes s'y intéressent, car on en fait toujours un sujet de femmes et une question de débrouillardise personnelle. Or c'est un sujet qui nous concerne tous et ce n'est pas qu'une question de débrouillardise, mais un vrai enjeu de société.

Tu écris que le féminisme est en partie responsable de la situation d'aujourd'hui, il nous a ouvert la porte à l'autonomie financière, mais nous a légué une double tâche, celle du travail et des tâches domestiques en plus.

Il y a une mère d'une des femmes que j'interviewe dans le livre qui est de la génération des féministes des années 60, qui dit à sa fille : « On vous a donné l'esclavage en héritage. » C'est une boutade, mais en même temps, c'est vrai que les femmes se sont libérées et ont atteint leur autonomie financière, mais elles ont en plus à leur charge tout le travail à la maison. Dans le plan de match des féministes, on devait partager les tâches domestiques, mais ce n'est pas ce qui s'est passé. Qu'est-ce que les hommes avaient à gagner ? Ils ont beaucoup perdu. Ils sont passés de « Mon chéri, je te sers un martini » à « Va faire la vaisselle ! ». Oui, les pères qui s'impliquent ont beaucoup gagné, ils sont plus proches de leurs enfants et je suis certaine qu'ils sont plus heureux que leurs pères qui allaient les embrasser sur leur front une fois qu'ils dormaient. Il reste que les femmes se sont un peu fait avoir parce qu'elles se retrouvent avec la double tâche. Elles sont épuisées et ont moins d'avancement professionnel parce qu'elles pédalent. C'est une grande injustice.

Est-ce qu'on hésite encore à engager des femmes en raison d'un possible congé de maternité ou parce qu'elles ont des enfants ?

L'entrevue la plus déprimante que j'ai faite, c'est avec une chasseuse de têtes reconnue à Montréal qui m'a dit les vraies affaires. Dans le moyen et haut management, quand on présente une candidature d'une femme qui est en âge de procréer, on hésite. On aimerait que la femme s'engage à ne pas avoir d'enfant pendant quelques années. On aime moins ça. Il y a même quelqu'un qui raconte qu'en voyage d'affaires, quand les femmes ont quelques minutes de libres, qu'est-ce qu'elles font ? Elles appellent à la maison pour avoir des nouvelles des enfants... comme si c'était gênant ! On pense que les choses vont bien, mais sur le terrain, il y a encore beaucoup de préjugés et de stéréotypes.

Est-ce que la culpabilité est un sentiment réservé aux femmes ?

Je connais très peu d'hommes qui se sentent coupables de rater des moments avec les enfants. Les femmes se sentent coupables de tout parce que les femmes se sentent responsables de tout. C'est à nous encore que la société s'adresse pour tout ce qui concerne les enfants, alors on a une grande responsabilité sur les épaules et on a l'impression qu'on doit être là tout le temps. On veut bien faire dans tout, mais selon nos standards démesurés, on n'arrive pas à bien le faire, donc on se sent coupables. Les hommes se comparent à leurs pères qui ne faisaient rien (ou presque) alors ils ne peuvent qu'être meilleurs. Nous, on se compare à des images qui n'existent plus de tartes aux pommes prêtes à 16 h et de biscuits chauds qui attendent les enfants après l'école ! Ça ne se peut pas, mais on voudrait être cette mère-là tout en travaillant en même temps, ce qui est incompatible.

La situation est tout de même en train de changer... Comment vois-tu les choses dans un avenir proche ?

Ça ne va pas aussi vite que prévu. On rit beaucoup des membres de la génération Y qui veulent travailler quatre heures par jour et aller faire du surf le vendredi après-midi. Ils sont en train de faire changer les choses, on va trouver un juste milieu. Toute la réflexion autour de la conciliation travail-famille, je ne la vois pas seulement pour les gens qui ont des enfants, mais pour tout le monde ; dans un monde parfait, ce serait la conciliation travail-vie personnelle.

Il n'y a pas que le travail dans la vie, on a donné beaucoup au travail au détriment de notre vie personnelle et familiale. La conciliation travail-famille n'est pas juste une affaire de femmes, c'est une affaire d'hommes, mais aussi de l'entreprise qui doit faire un effort. C'est à nous aussi de redonner au travail sa juste place dans notre vie. Voilà où on se dirige. On se définit beaucoup par le travail, mais à long terme, peut-être que je ne serai plus en vie pour le voir, mais ça va changer. Le travail reprendra une place mesurée dans la vie des gens.

Qui s'occupe du souper ? Travail-famille : L'affaire des deux parents

Nathalie Collard

Éditions Québec Amérique

En librairies dès mercredi

PHOTO MARTINE DOYON, FOURNIE PAR LES ÉDITIONS QUÉBEC AMÉRIQUE

Nathalie Collard