Il n'a pas froid aux yeux, Ludovic Leclerc. À 25 ans, le Québécois est travailleur social dans les Territoires du Nord-Ouest et père d'Agathe, 1 an. La Presse l'a joint à Hay River, ville de 3600 habitants sur les rives du Grand Lac des Esclaves, à 125 km au nord de la frontière albertaine.

Est-ce différent, être père dans les Territoires du Nord-Ouest ?

Oui, dès la « pré-paternité » ! Il n'y a pas d'accouchements à l'hôpital de Hay River, alors les mères doivent partir à Yellowknife ou ailleurs, trois semaines avant la date prévue. Plusieurs retournent dans leur province natale. Ma femme est allée à Yellowknife parce qu'on a de bonnes assurances qui payaient l'hôtel. Je pouvais la rejoindre les fins de semaine.

J'ai pu me rendre à l'accouchement. C'est à 500 km de Hay River. Ça prend environ quatre heures et demie de route l'été et au moins cinq heures l'hiver, parfois plus. Plusieurs pères ne se rendent pas à temps parce qu'en hiver, avec les tempêtes, les routes sont parfois fermées et il n'y a qu'un vol par jour.

Avez-vous pris un congé à la naissance de votre fille ?

J'ai eu trois jours de congé, puis j'ai échangé des quarts de travail, si bien que j'ai eu un deux bonnes semaines avant de retourner travailler. Plus tard, j'ai aussi pris quatre mois de congé parental à la maison avec ma fille, pendant lesquels mon employeur majorait mon salaire jusqu'à concurrence de 95 %. Cet élément est vraiment extraordinaire, puisque ça donne l'occasion au père de passer du temps avec son bébé au cours de sa première année.

Quels sont les avantages d'être père à Hay River ?

La vie n'est pas stressante, tout est à proximité, on n'attend que cinq minutes aux urgences quand on y va pour un bébé malade. Je finis le travail à 16 h. Cinq minutes après, je suis à la garderie, à l'épicerie ou chez nous. J'ai beaucoup de temps à passer avec ma fille, sans compromettre les activités de couple ni oublier d'avoir du temps pour moi. Je vais promener mon chien et je joue au hockey deux fois par semaine.

Être père est bien vu ici. Hay River a un roulement de personnel assez élevé. Mais quand tu fondes une famille, tu fais partie de la communauté.

Et les désavantages ?

Il n'y a pas grand-chose à faire à Hay River, autant pour les enfants que pour les adultes. Quand il fait -40 °C comme présentement, c'est dur de sortir avec la petite. On a une grosse poussette tout équipée, avec des roues qu'on remplace par des skis. Quand il fait moins froid, je marche tous les jours sur la rivière avec la petite. Là, on essaie d'aller à la piscine - il y a un centre récréatif avec une piscine et un aréna - ou chez des amis.

Si on a besoin d'une pause, que notre fille est malade, on est pas mal tous seuls. Ça, c'est un peu drainant. On ne peut pas l'envoyer chez ses grands-parents pour se reposer. C'est d'autant plus difficile qu'à Hay River, quand un virus circule, tout le monde l'a.

Agathe va-t-elle à la garderie ?

Oui. Je suis jaloux du réseau des CPE québécois. Ici, trouver une place en garderie est très difficile, et ça coûte très cher : 700 $ par mois. Je pense que le gouvernement québécois devrait voir ce que ça donne : après deux enfants, les mères décident souvent de rester à la maison, même si les salaires sont très bons dans le Nord. Sinon, ça leur coûte 1400 $ par mois, juste pour la garderie en milieu familial, qui n'offre pas toujours la meilleure éducation.

Plusieurs engagent plutôt des nannies. Des agences les font venir d'Amérique du Sud ou d'Asie. J'ai des collègues dont les maris travaillent à la mine ; ils sont deux semaines à la mine, deux semaines à la maison. Si elles ont un horaire de travail en rotation, comme infirmière, travailleuse sociale ou préposée aux bénéficiaires, elles embauchent une nanny qui fait tout à la maison.

Ma femme est enseignante, elle fait du remplacement, mais elle garde notre fille avec elle deux jours par semaine. Nos salaires sont assez bons pour qu'on se le permette, ce qu'on n'aurait pas été capables de faire au Québec, avec nos professions.

Territoires du Nord-Ouest

• Population en 2011: 41 500

• Taux de fécondité en 2011: 1,97 enfant par femme

• Congé parental: 35 semaines de prestations parentales de l'assurance-emploi à partager entre les parents, payées 55 % de la rémunération hebdomadaire moyenne assurable.

• Rémunération hebdomadaire moyenne en 2013: 1303,26 $

Québec

• Population en 2014: 8 millions

• Taux de fécondité en 2012: 1,67 enfant par femme

• Congé de paternité: cinq semaines payées l'équivalent de 70 % du revenu (revenu maximal assurable de 69 000 $ par an)

• Congé parental: sept semaines payées l'équivalent de 70 % du revenu et 25 semaines payées l'équivalent de 55 % du revenu.

• Rémunération hebdomadaire moyenne en 2013: 830,44 $

Sources : Service Canada, Institut de la statistique du Québec, Régime québécois d'assurance parentale et Statistique Canada