En Allemagne, plus de 1500 garderies n'ont ni murs, ni toit, ni jouets en plastique. Ces Waldkindergartens - littéralement « jardins d'enfants de la forêt » - accueillent les tout-petits en plein bois, beau temps, mauvais temps. Marie Allard est allée à leur rencontre, dans la Forêt-Noire.

« J'aime les arbres et le soleil », dit en allemand Hannah, 6 ans. Vêtue d'une salopette imperméable rouge et d'une tuque, la fillette marche entre des conifères hauts comme des édifices de cinq étages, au nord de la Forêt-Noire. En septembre prochain, Hannah entrera à l'école primaire, qui ne commence qu'à 6 ans au pays de Diane Kruger. Avant cet âge, les enfants doivent avoir la liberté d'être des enfants, estime la société allemande.

Comme une cinquantaine d'autres gamins de 2 à 6 ans, Hannah fréquente le Waldkindergarten - jardin d'enfants de la forêt, en allemand - de Bad Liebenzell, petite ville de 9000 habitants. « En Allemagne, il y a maintenant environ 1500 garderies et 10 écoles en forêt, indique Ute Schulte Ostermann, présidente de la Fédération allemande des garderies en forêt et dans la nature (BVNW). Leur nombre et l'intérêt qu'elles suscitent augmentent continuellement, parce qu'on sait que passer du temps dans la nature permet aux enfants de vivre beaucoup d'expériences précieuses. »

Récit de la journée des gnomes - pardon, des enfants - de la garderie en forêt de Bad Liebenzell.

9H: ACCUEIL PRÈS DE LA CABANE DE BOIS

C'est en voiture que les enfants arrivent au point de ralliement, en lisière de la forêt. On y trouve une cabane de chasseurs en bois, qui sert de refuge lors d'orages, et un tipi réservé aux tout-petits.

Tous portent un chapeau pour se protéger des tiques, et des habits de plein air, faciles à trouver dans cette Allemagne férue de randonnées. « Il n'y a pas de mauvaise température, il n'y a que de mauvais vêtements », dit Ingrid Miklitz, directrice de l'association des 190 Waldkindergartens du Land de Bade-Wurtemberg, au sud-ouest du pays.

Chacun des groupes d'enfants forme un cercle et chante pour commencer la journée. Les paroles parlent de Spatzen(moineaux), de Raupe (chenille) qui devient schmetterling (papillon). Puis, c'est le départ vers différentes zones de la forêt. Tous enfilent un sac à dos contenant une gourde, une collation et un petit tapis isolant servant de siège.

9H30: BALADE EN FORÊT

Le soleil réchauffe la forêt, encore humide des pluies automnales tombées les jours précédents. Peu importe qu'il pleuve ou qu'il neige, les éducateurs - dont des hommes, plus nombreux en forêt que dans les garderies classiques - emmènent les petits dans les bois. « Les enfants sont en contact avec leur corps, note Mme Miklitz, auteure du livre Der Waldkindergarten (Le jardin d'enfants de la forêt). S'ils ont froid, ils bougent. S'ils ont chaud, ils enlèvent des vêtements. »

Quelques-uns tirent un chariot rempli de livres, d'un bidon d'eau pour se laver les mains et d'une trousse de premiers soins. « Les enfants aiment faire des choses qui sont réellement utiles », observe Mme Miklitz.

L'odeur des conifères se mêle à celle des feuilles mortes. Seules quelques exclamations d'enfants ponctuent le chant des oiseaux. « Un des principaux avantages des garderies en forêt, c'est qu'elles sont moins bruyantes que celles des villes, avance Sabine Petersohn, directrice du Waldkindergarten de Bad Liebenzell. Les enfants sont aussi moins agressifs, parce qu'ils sont toujours en mouvement. » Mme Petersohn a travaillé deux ans dans une garderie classique, avant de prendre la clé des champs - ou plutôt la clé de la forêt -, épuisée.

9H45: JEUX LIBRES SANS JOUETS PRÉFABRIQUÉS

Après quelques minutes de marche, le groupe s'arrête. Jeux libres. Sans aucun jouet préfabriqué, interdits dans lesWaldkindergartens. Deux garçons se lancent dans un combat d'épées en pommes de pin. D'autres s'amusent avec de longues branches, sans que personne ne leur ordonne de les remettre au sol.

Niels grimpe dans un arbre, avec un copain. « La forêt, c'est notre maison », dit-il, juché sur une branche. « Les enfants apprennent à grimper et ils apprennent à tomber », fait valoir Mme Miklitz. La chute est moins douloureuse que sur l'asphalte d'une cour d'école.

Daria et David, 3 ans tous les deux, obtiennent la permission d'utiliser des couteaux. De vrais couteaux tranchants, à faire frémir n'importe quel parent québécois. Concentré, David mord le bout de sa langue alors qu'il nettoie soigneusement une branche. « Je veux bien enlever l'écorce », explique le garçonnet.

« Ma belle-mère était convaincue que mon fils sortirait d'ici avec trois doigts en moins », rigole Stephanie Heldmayer, mère de deux enfants. Ce n'est pas arrivé. « Il s'est cassé un bras, mais ça aurait pu se produire ailleurs. Il y a plusieurs règles ici : les enfants savent qu'ils doivent s'éloigner si quelqu'un manipule un couteau et qu'il y a des limites à ne pas franchir dans la forêt. »

Comme beaucoup de garçons, son fils « avait toujours le besoin de bouger, se souvient Mme Heldmayer. À la garderie en forêt, il avait moins de contraintes ». Ce fils va aujourd'hui à l'école, mais sa soeur de 5 ans passe toujours ses matinées en forêt.

10H30: ACTIVITÉ

Après les jeux libres, les éducateurs proposent une activité organisée : lecture, mathématiques, bricolage. Envie d'aller aux toilettes ? De vrais petits coins (de la forêt), connus de tous, sont prévus pour ça. On y trouve un siège d'apprentissage sans réservoir, et une pelle pour enterrer les « cadeaux » faits à la terre.

11H: COLLATION, COMPOTE ET VER DE TERRE

Onze heures, les enfants ouvrent leurs boîtes à lunch. Pains, charcuteries, saucisses et crudités sont dévorés sans se faire prier. Une toile cirée est tendue entre des branches pour manger au sec, les jours de pluie.

De retour à la cabane de bois, la matinée se poursuit avec la fabrication d'une compote de pommes sur le feu. Lea, une fillette blonde, montre à la ronde un gigantesque ver de terre, « sûrement assez long pour être dans le Livre des records », jugent les enfants. « On sent le bonheur, non ? », demande Mme Miklitz.

13H: LES GNOMES RENTRENT À LA MAISON

Les mères (au foyer ou travaillant à temps partiel) viennent chercher leurs petits gnomes des forêts entre 13 h et 14 h. « Les enfants rentrent relax, affamés et fatigués, résume Mme Miklitz. Qu'est-ce que les parents pourraient demander de mieux ? »

COMBIEN ÇA COÛTE ?

Pour envoyer un enfant de moins de 3 ans à la garderie en forêt de Bad Liebenzell, les parents paient de 120 à 200 euros (170 $ à 290 $) par mois, selon leurs revenus. Pour les 3 à 6 ans, c'est moins cher : de 70 à 100 euros (100 $ à 145 $) par mois. Au Québec, un parent doit allonger 160,60 $ par mois (de 22 jours ouvrables) pour une place à 7,30 $ par jour, repas inclus.

Succès d'exportation

« Est-ce que le concept des garderies en forêt sera le prochain succès d'exportation de l'Allemagne ? », se demandait récemment l'hebdomadaire allemand Spiegel. Après s'être répandu dans le pays d'Angela Merkel, voilà que l'intérêt pour les jardins d'enfants dans la nature grandit en Europe et ailleurs. En 2013, plus de 100 garderies en forêt existaient au Japon, selon le Spiegel.

Mais comment imiter la formule si on n'habite ni les Laurentides ni l'Abitibi ? Le Waldkindergarten - jardin d'enfants en forêt, en allemand - Robin Hood accueille les enfants dans un grand parc de Berlin. Les tout-petits y passent la matinée, alors que les 3 ans et plus prennent l'autobus vers un jardin botanique, une ferme ou un plan d'eau avoisinant. « Il y a des garderies de plage près de Hambourg, où les enfants savent tout des nuages et des coquillages », témoigne Ingrid Miklitz, auteure du livre Der Waldkindergarten (Le jardin d'enfants de la forêt).

DANS LA FORÊT DE 7 H 30 À 16 H

Et la fermeture vers 13 h, impensable au Québec ? Déjà, devant une baisse des inscriptions, la garderie en forêt de Calw, ville aux charmantes maisons à colombages du sud-ouest de l'Allemagne, a décidé d'ouvrir de 7 h 30 à 16 h, en 2012. Une révolution dans ce pays conservateur, où la place des mères a longtemps été au foyer.

« Pour que les enfants puissent rester toute la journée, la loi nous oblige à leur offrir un repas chaud, indique Beate Gerstenlauer, directrice de la garderie en forêt de Calw, en faisant visiter les lieux à La Presse. On reçoit donc des dîners d'un traiteur, que les enfants mangent à l'intérieur d'une cabane. » Un dortoir où faire la sieste dans des sacs de couchage, réchauffé par un poêle à bois, a aussi été ajouté.

Pour envoyer leurs enfants dans ce Waldkindergarten, les parents paient environ 128 euros (184 $) par mois, par enfant, ce qui inclut quatre après-midi. Les après-midi supplémentaires sont chargés 7 euros (10 $) chacun. « C'est presque deux fois moins cher qu'une place en ville », fait valoir Mme Gerstenlauer, dont les trois enfants ont fréquenté la garderie en forêt.

PAS POUR TOUS

Faut-il rêver du jour où tous les enfants gambaderont dehors, librement ? « Nous espérons que le nombre de Waldkindergartenscontinuera d'augmenter, et que le concept sera de plus en plus connu, répond Ute Schulte Ostermann, présidente de la Fédération allemande des garderies en forêt et dans la nature (BVNW). Nous ne croyons toutefois pas qu'il s'agisse de la seule réponse possible au Zeitgeist (esprit du temps) et, bien sûr, aux demandes des enfants et de la société actuelle. »

Photo Thomas Niedermüller, collaboration spéciale

<!-- mediasuite internal html copy -->«&nbsp;On a beaucoup moins de souvenirs quand on grandit à l'intérieur, parce que les odeurs sont moins liées aux événements&nbsp;», dit Ingrid Miklitz, directrice de l'association des 190 <span>Waldkindergartens</span> de l'État de Bade-Wurtemberg, ici avec Sabine Petersohn, directrice du <span>Waldkindergarten</span> de Bad Liebenzell.