«Pourquoi avons-nous si peu de femmes cadres? Comment en recruter davantage?» Voilà les questions que se sont posées les grands patrons de Datev, une coopérative allemande spécialisée dans les logiciels d'impôts, en 2010. «Hum, a d'abord réagi Claudia Lazai, responsable de la conciliation travail-famille chez Datev. Et si on demandait aux cadres s'ils souhaiteraient travailler à temps partiel?»

Eurêka. «Plus de 85% nous ont répondu que c'était une bonne idée», se souvient Mme Lazai. La mesure a été offerte dès l'année suivante, avec succès. «On compte actuellement 30 cadres à temps partiel, un nombre qui augmente chaque année», se félicite l'efficace blonde, elle-même mère de deux enfants d'âge scolaire. Bien sûr, ces cadres qui bossent de 28 à 32 heures par semaine sont minoritaires dans la boîte de 6800 employés. Mais la brèche est ouverte.

La formule séduit surtout des femmes (27 sur 30), souvent mères de jeunes enfants, tout en répondant à d'autres besoins. «Une femme plus âgée est cadre à temps partiel pour s'occuper de sa mère de 85 ans, illustre Mme Lazai. Un homme qui a des ennuis de santé en profite, quant à lui, pour travailler en tandem avec un employé plus jeune, avant de prendre sa retraite.»

GOUTTE D'EAU DANS L'OCÉAN

Datev, au deuxième rang des meilleurs employeurs d'Allemagne derrière Microsoft en 2013, offre plusieurs autres mesures pour faciliter la vie de ses employés. Surtout dans le cas où ils ont des enfants. La coopérative est d'ailleurs certifiée par l'audit Berufundfamilie (travail et famille, en allemand), qui «vise à améliorer la qualité du discours public dans le domaine de la conciliation travail-famille et à fournir des approches exemplaires», explique Silke Güttler, porte-parole de Berufundfamilie.

«Mon impression est qu'en Allemagne, où de nombreuses femmes sont employées dans le secteur privé, ces initiatives sont très importantes, indique Michaela Kreyenfeld, professeure à l'institut de démographie Max-Planck. Mais il s'agit probablement d'une goutte dans l'océan, étant donné les difficultés que rencontrent les femmes lorsqu'elles tentent de concilier travail et vie de famille.»

100 EUROS PAR MOIS POUR PAYER LA GARDERIE

En janvier, Datev a ouvert une garderie adjacente à ses bureaux. «C'est pratique en cas d'urgence, parce que les parents sont juste à côté», dit Nadin Berro, directrice de la garderie Champini Höfen, en faisant visiter les lieux - très lumineux - à La Presse.

Un employé de Datev a un bébé? Il reçoit un cadeau de 250 euros (355$) de la coopérative. Il le met en garderie? Datev ajoute 100 euros (142$) par mois à sa paie, pendant trois ans. Les éducatrices font la grève ? La coopérative inaugurera bientôt un local fermé avec des jouets et un poste de travail, pour dépanner les parents sans solution de rechange. Tout employé ayant besoin de s'isoler pourra aussi utiliser cet espace, ce qui haussera son taux d'occupation. C'est tout juste si Datev ne distribue pas de gros bretzels bien chauds, typiques du sud de l'Allemagne, à son personnel à l'heure de la pause...

UNE LETTRE ENVOYÉE AUX FUTURS PÈRES

Plus étonnant encore: dès qu'un de ses employés masculins attend la cigogne, la coopérative lui envoie sa «Lettre aux pères», pour lui faire valoir ses droits, dont celui de prendre un congé de paternité.

Après la naissance de sa fille Hannah, en 2012, Markus Reichler a ainsi troqué son poste de développeur de logiciels contre une tâche de papa à temps complet pendant deux mois, avec la bénédiction de Datev. De retour au boulot, le fier père a réduit sa semaine de travail à 30 heures, afin de consacrer ses lundis à sa fille.

«On en profite pour aller au parc et à la gelateria, raconte M. Reichler. On va aussi visiter mon père, qui souffre d'Alzheimer. C'est important pour moi qu'il connaisse sa petite-fille.» Son entourage accepte sa décision, qui détonne dans une société où l'homme est encore vu comme le principal pourvoyeur. «Il y a juste ma mère qui s'interroge, admet l'employé. Elle me dit: T'es sûr que personne ne te crie après au travail?»

CAMP D'ÉTÉ ORGANISÉ PAR 10 ENTREPRISES

Quant à Mme Lazai, elle arrive à tout concilier en se levant à l'heure des poules. «Je suis au bureau à 6 heures du matin, ce qui me permet d'aller chercher mes enfants à 15 ou 16 heures, explique-t-elle. Les employés choisissent quand ils veulent travailler, dans un horaire allant de 6 heures du matin à 20 heures.»

L'été, ses enfants peuvent fréquenter un camp de jour organisé par Datev et neuf autres entreprises de la région de Nuremberg. «L'été dernier, 700 enfants y ont participé, contre 350 il y a deux ans», indique Mme Lazai. Les parents paient la moitié des frais d'inscription, Datev l'autre moitié.

«On n'a plus besoin d'implanter d'autres mesures, constate lucidement Mme Lazai. Ce qu'il faut maintenant, c'est changer la culture de l'entreprise. Et faire évoluer les mentalités, ça prend du temps.»