Afin d'éviter abandons, placements et autres échecs, Québec songe à imposer une formation obligatoire à ceux qui souhaitent se lancer dans l'aventure parfois chaotique de l'adoption internationale, a appris La Presse.

«Tous les parents devraient être préparés à l'adoption pour comprendre à quoi ils s'engagent. La réflexion au sujet du caractère obligatoire de cette formation est en cours», confie Josée-Anne Goupil, directrice du Secrétariat à l'adoption internationale du Québec (SAI).

«Nous voulons faire en sorte que le plus de gens possible aient accès à une formation qui va sensibiliser les parents, mais aussi les préparer à l'adoption internationale. On est là-dessus», confirme Lucie Charlebois, ministre déléguée à la Protection de la jeunesse.

«Parfois, les parents ont des lunettes roses. Ils ont un désir d'enfant. Mais ils doivent comprendre qu'ils s'engagent à quelque chose de plus grand. Ils doivent être capables d'envisager toutes les possibilités», prévient Mme Goupil.

La ministre Charlebois promet que la formation sera «bientôt» offerte d'un bout à l'autre du Québec. Mais elle dit encore «réfléchir» à la pertinence de l'imposer aux futurs parents adoptifs. «Je ne suis pas convaincue que le fait de rendre cette formation obligatoire ferait nécessairement de meilleurs parents.»

Avec l'accumulation de ratages parfois tragiques un peu partout dans le monde, la pression s'accentue pour que les pays d'accueil préparent mieux les futurs parents à ce qui les attend. «De plus en plus de pays d'origine exigent une préparation obligatoire. Mais au Québec, ça fait des années que ça traîne. Les gens du SAI n'ont pas la colonne vertébrale pour imposer ces cours», dénonce Johanne Lemieux, qui offre une formation privée aux futurs parents.

Une famille d'accueil à qui l'on confie un enfant retiré à des parents québécois négligents a droit à une panoplie de services, souligne Mme Lemieux. «Pourtant, on laisse des parents revenir de Chine, d'Haïti ou de Russie avec des enfants polytraumatisés, et on ne leur offre aucun service!» Pas étonnant, dit-elle, que tant d'adoptions se soldent par des échecs.

«On n'est plus des parents»

Annie Di Tomaso n'avait pas été préparée. Elle pensait tisser un cocon familial ordinaire - ni plus ni moins - avec son conjoint et ses deux enfants adoptifs. Elle en a rêvé longtemps. «On avait fait plein de projets. On voulait faire du camping avec nos enfants, du plein air, des trucs de famille.»

François est arrivé de Corée du Sud en octobre 2004. «Ç'a été la plus belle journée de notre vie», se souvient Mme Di Tomaso.

Peu à peu, elle s'est rendu compte que François n'était pas un enfant comme les autres. Les nuages le terrifiaient. Le vent aussi. À la garderie, les éducatrices devaient tirer les rideaux dès que la brise se levait. Très vite, Mme Di Tomaso a oublié ses rêves de camping.

Puis il y a eu les crises, les fugues, les vols. Un jour de rage particulièrement violente, Mme Di Tomaso a dû appeler la police pour calmer François. «J'avais trop peur de lui. J'avais réussi à verrouiller la porte, mais il l'avait bosselée à force de frapper dedans.» Il avait 10 ans.

François souffre d'un trouble de l'attachement sévère. Quand elle a appelé son agence d'adoption pour obtenir de l'aide, Mme Di Tomaso s'est butée à un refus catégorique. «Je voulais savoir s'ils avaient des cours ou des livres à me recommander. Ils m'ont répondu qu'ils ne savaient pas, qu'ils ne connaissaient personne de confronté à ce problème. On n'en parle pas. C'est tabou. Dans les réunions de préadoption, personne ne parle de ça.»

Depuis un an, François habite en foyer de groupe. «C'est mieux comme cela. Pour lui, c'est moins envahissant qu'une famille, explique Mme Di Tomaso. Il aimerait revenir chez nous, il le dit souvent. Mais il dit aussi qu'il n'est pas capable. C'est trop difficile.»

Même si les parents avaient droit à toutes les formations et à tous les services, il y aurait encore des ruptures d'adoption, admet Mme Lemieux. «Il y a des enfants pour qui c'est trop leur demander de s'attacher à une famille. Mais il y a aussi beaucoup de parents qui ne savent pas ça. Ils restent accrochés à cette image d'enfant rêvé qu'ils n'auront qu'à aimer pour tout arranger.»

Il y a longtemps que Mme Di Tomaso a abandonné cette illusion. «On n'est plus vraiment des parents. On l'aime encore, mais on ne peut pas lui montrer. On est plus des intervenants, pour le guider. Au début, je le prenais très mal, c'était comme si j'avais raté mon coup. Mais j'apprends à faire des deuils. On n'a plus rien d'une famille ordinaire.»