Une fois que l'on a vieilli, quel regard jette-t-on sur cette enfance passée entre deux maisons et, surtout, entre deux parents ? Témoignages.

Roxane, 41 ans

J'étais toute petite quand mes parents ont divorcé. Tout est flou dans ma tête. Je sais que ma soeur et moi avons été abandonnées pendant un bout de temps, confiées à une parente. Ma mère était partie, mon père, très pris par son travail. Pendant toute l'école primaire et le début du secondaire, j'ai habité avec mon père. Ma mère me manquait terriblement, surtout vers 8 ou 9 ans. Plus tard, à l'adolescence, j'ai finalement vécu avec elle.

J'aurais juste aimé que mes parents se parlent. Aujourd'hui, je crois qu'ils ont leurs regrets et la haine entre eux n'est plus la même. Parfois, je parle de ma mère à mon père et vice-versa, et il n'y a plus de malaise. Ça fait du bien, mais j'aurais tellement eu besoin de ça quand j'étais plus jeune !

Au lieu de ça, moi, pendant toute ma jeunesse, j'ai eu deux mondes. Ce que je vivais chez ma mère, je ne devais surtout pas en parler chez mon père. Et ce que je vivais chez mon père, c'était tabou chez ma mère. Ce que j'ai pu pleurer !

Je n'en veux pas à mes parents. Oui, ils auraient pu faire passer nos besoins avant les leurs, mais dans le fond, ce sont juste deux personnes qui n'auraient jamais dû être ensemble.

Aujourd'hui, j'évite le plus possible de repenser à mon enfance et, avec mes parents, jamais nous ne l'évoquons.

Les tempêtes que j'ai eu à traverser m'ont peut-être rendue hypersensible à certains égards, mais elles n'ont pas touché ma capacité d'aimer. Je file le parfait bonheur avec mon mari depuis longtemps et nous avons deux grands enfants.

N'empêche, l'autre jour, quand j'ai entendu pour la première fois Julien Clerc chanter Double enfance, j'ai dû arrêter ma voiture. Je pleurais trop. C'était ma vie qu'il chantait.

Julien, 19 ans

Mes parents se sont séparés quand j'avais 2 ans et j'ai vécu en garde partagée pendant les 10 années qui ont suivi.

Même séparés, mes parents étaient des amis, si bien que, pour moi, leur rupture n'a eu aucun impact sur ma vie.

Ils habitaient à cinq minutes de marche l'un de l'autre, je n'avais jamais à trimbaler mes choses chez l'un ou chez l'autre. À mes anniversaires, mes deux parents étaient présents.

En fait, mes parents s'entendent tellement bien que ma mère est la marraine de l'enfant de mon père. Elle et ma belle-mère s'entendent parfaitement bien.

Quand je suis arrivé au secondaire, la garde partagée, c'était plus compliqué. J'avais un uniforme, des livres à transporter, alors à partir de là, on a improvisé. Je vivais trois mois d'affilée chez mon père, parfois, puis un mois ou deux chez ma mère. C'est moi qui décidais. Il n'y avait jamais de malaise.

Mon cas n'est pas typique, je sais que plusieurs enfants de parents séparés sont au coeur des disputes de leurs parents, qu'ils doivent faire plein de kilomètres pour aller chez l'un et chez l'autre. Ça n'a jamais été mon cas.

Avec le recul, je vois aussi que la garde partagée m'a permis d'avoir un très bon lien aussi bien avec ma mère qu'avec mon père.

Marianne, 28 ans

Encore aujourd'hui, bien que je sois dans la vingtaine, je continue d'être prise entre deux feux. À l'anniversaire de mon fils, qui j'invite ?

J'ai toujours été déchirée. J'ai toujours cherché à plaire à mes deux parents, tout en étant toujours rongée par la culpabilité. Quand on a deux soupers de famille le même jour dans les deux clans, on fait quoi ?

Mon père, c'était mon héros, un héros que j'idéalisais probablement d'autant plus que je ne le voyais pas souvent.

À l'adolescence, j'ai finalement vécu la garde partagée. Le régime une semaine ici, une semaine là, ça ne me plaisait pas. J'ai préféré prolonger mes périodes chez l'un et chez l'autre pour éviter d'être tout le temps dans mes valises.

Si je leur en veux ? Nos parents, on les aime, peu importe ce qui arrive.

J'espère que mon couple durera toujours, mais je sais pertinemment que ce qui est arrivé à mes parents pourrait m'arriver aussi. Mais ce dont je suis certaine, c'est que, si jamais je me séparais, jamais je ne mettrais mon fils dans une position où il ne serait pas capable de me dire : « Tu sais, maman, papa m'a emmené à La Ronde hier et c'était super. »

Mélissa, 26 ans

Changer de maison tout le temps, ce n'est pas si lourd. C'est comme partir en voyage d'affaires, tout le temps. Ce qui a été plus difficile, pour moi, c'est cet espoir brisé qu'avec la séparation, mes parents s'entendraient mieux.

Chez nous, les sacs de carottes, ça revolait ! Les policiers ont même dû intervenir, à un moment donné. Si mes parents s'étaient séparés plus tôt, ils n'auraient pas eu le temps de s'en vouloir à ce point et d'échapper autant de paroles malheureuses.

Je les avais entendus s'engueuler toute ma vie, alors quand j'ai eu 15 ans et qu'ils m'ont annoncé qu'ils se séparaient, j'étais très contente.

Le premier Noël, on avait décidé de fêter ensemble. Ç'a été le plus triste Noël de ma vie. Personne n'avait envie d'être là. Mon père est parti très tôt.

Les premiers temps, le contact avec mon père a été difficile. Il s'était fait une nouvelle blonde qui n'aimait pas les enfants. Quand elle est partie, nous, les enfants, on est retournés voir notre père régulièrement.

Ma mère « ventilait » avec moi, elle me passait ses messages, me disait : « Tu rappelleras à ton père que c'est moi qui ai payé telle ou telle facture. » Mon père, lui, envoyait des piques à peine subtiles sur ma mère. C'est ça, le plus dur : être pris entre deux parents et être informé de plein de choses qui devraient rester entre eux.

Même s'ils ont chacun refait leur vie de leur côté, ils continuent de se regarder en chiens de faïence. Quand les deux familles sont chez nous, ma mère va faire son tour dehors quand mon père est en dedans, et vice-versa. J'aime mieux aller chez le dentiste que d'endurer ça.

Jusqu'à 21 ans, je me disais que je ne voudrais jamais d'enfant. Aujourd'hui, je pense que, si j'en ai, je les aurai seule. Comme ça, j'éviterai les déchirures d'une famille brisée. La famille, je n'y crois pas, personne ne m'en a donné le goût.

D'ailleurs, quand mon grand-père est mort, tout le monde a décidé de faire un grand cercle et de se prendre par la main. Moi, je me disais : c'est quoi, ces simagrées ? Non, le sens de la famille, je ne l'ai pas du tout.