«Un enfant, ce n'est pas un chalet, ce n'est pas un condo indivise. Les parents n'ont aucun droit. Ils n'ont que des obligations.»

Comme d'autres juristes, Marie-Christine Kirouack, avocate en droit de la famille, cache très mal son ras-le-bol devant «de trop nombreuses décisions à la Salomon».

En faveur de la garde partagée quand les bonnes conditions sont réunies, Me Kirouack se désole de voir qu'on en fasse un tel a priori aujourd'hui, sans égard au degré d'hostilité des parents ou de l'âge des enfants.

Or, il arrive de plus en plus souvent que des bébés soient en cause. «Quand j'étais jeune avocate, les gens se séparaient quand les enfants étaient au secondaire. Puis, ça a été au primaire et maintenant, avant l'école. On voit même des pères présenter des demandes avant la naissance d'un enfant.»

À 6 ans, le quart des enfants nés à la fin des années 90 avaient vu leurs parents changer au moins une fois de statut conjugal. Pour 15% d'entre eux, cela sera arrivé au moins deux fois, selon l'Institut de la statistique du Québec.

«On peut bien dire que l'enfant est résilient et qu'il s'adapte, mais en réalité, on n'en sait rien, plaide Me Kirouack. L'enfant, souvent, est trop petit pour parler.»

À son avis, le discours est beaucoup porté ces années-ci sur «le droit à l'enfant». «On devrait plutôt se recentrer sur ce qui est bon pour lui.»

L'intérêt des parents

Suzanne Moisan, avocate en droit familial, ne cache pas avoir elle aussi «un gros malaise». «Malgré ce qu'en disent les tribunaux, moi, ces gardes partagées impliquant des bébés, je ne suis pas d'accord. Il arrive que des mères en train d'allaiter se fassent dire de sevrer leur bébé. J'ai aussi eu des clients qui demandaient des gardes partagées selon le modèle une semaine chez l'un, une semaine chez l'autre. Pour un bébé!»

«On s'attarde de moins en moins à l'intérêt de l'enfant et de plus en plus à l'intérêt des parents», estime aussi son confrère Michel Tétrault, avocat en droit de la famille à Sherbrooke.

«Quand tu entres dans une salle de cour et qu'il s'agit d'un enfant de plus de 18 mois, tu es à peu près certain qu'une demande de garde partagée sera avalisée.»

«La maximisation des contacts avec les deux parents, c'est un véritable mantra ces temps-ci», constate-t-il aussi.

L'ennui, souligne Me Tétrault, c'est qu'il n'existe aucune étude béton démontrant que le très jeune enfant ne portera pas de séquelles de ces gardes partagées.

En existe-t-il qui démontrent qu'elles sont assurément néfastes? Non plus, répond Me Tétrault, «mais il est quand même particulier que l'on fasse de l'expérimentation quand il s'agit d'enfants».

Me Kirouack tient les mêmes propos. «Une première vague de chercheurs s'est demandée si les enfants du divorce finissent par être des personnes troublées, tourmentées. La réponse, c'est non. En général, ça va. Mais que sait-on des effets de la garde partagée, particulièrement chez les bébés? On les ignore. On commence tout juste à faire des recherches là-dessus.»

Les pères s'impliquent de plus en plus et c'est tant mieux, relève pour sa part l'avocate en droit familial Sylvie Schirm. «On a voulu que les pères soient présents dans la salle d'accouchement, il ne faut pas s'attendre à ce qu'ils disparaissent ensuite», dit-elle.

Faire la navette

Mais d'un point de vue pratico-pratique, «on en demande beaucoup aux enfants, de plus en plus nombreux à fréquenter deux garderies. [...] Et aujourd'hui, avec les problèmes de circulation, même une garde partagée entre Ahuntsic et Longueuil, c'est compliqué.»

Cela étant, note Dominique Goubau, professeur de droit à l'Université Laval, il arrive qu'au bout de quelque temps, «une garde partagée se transforme en garde exclusive».

L'enfant, dit-il, ne voudra peut-être plus faire la navette entre deux maisons. L'entrée à l'école, aussi, compliquera souvent sérieusement les choses.

Sans compter qu'il arrive, signale l'avocate Suzanne Moisan, que des gardes partagées soient mises en place en grande partie parce que les parents veulent éviter de payer une pension alimentaire.

Cela se voit, et désormais aussi bien chez les femmes que chez les hommes, insiste-t-elle.